Contrôles d’identité incessants, garde-à-vue pour un simple oubli de formalité ou fréquentation d’un lieu de culte, familles démembrées suite à des emprisonnements arbitraires, apparition d’orphelins que l’on cherche à embrigader, un taux de mortalité en hausse, une baisse de l’espérance de vie… C’est le quotidien des Ouighours que le gouvernement chinois veut condamner à la perte d’identité. Retour sur une tragédie humaine dont on ne parle pas ou peu…
Par Jean-Guillaume Lozato *
Question d’angle. Question de point de vue. Question de temps. La tragédie que le peuple ouighour est en train de vivre sur ses propres terres ancestrales s’apparente à un génocide sans précédent en terre officiellement chinoise. Depuis l’enclenchement du processus en 1989, celui-ci est allé en s’accentuant vertigineusement à partir de 2009 au moyen d’arrestations arbitraires, de la mise en place d’une surveillance accrue digne du monde de George Orwell.
Bien entendu, il est toujours difficilement prévisible de savoir en combien de temps on sera en mesure, dans l’absolu, de se mettre à la place d’autrui. Après, qualifier à distance tel ou tel type d’exaction ne constitue pas non plus un exercice facile, en raison de la distance et de la fréquente atténuation qu’elle engendre. Sans compter le facteur temporel allié à la variation d’intensité de la réactivité. Or, il est grand temps que le monde entier réagisse de manière urgente, étant donné l’ampleur d’une situation pouvant se refléter sur bien des plans.
L’épisode tragique que nous traversons en cette année 2020 arrive en guise d’avertissement. Au niveau de la Chine. Puis de la planète. Pour une moralité générale passant par l’appel à la médecine et à la recherche, avant de déplacer les débats sur l’échiquier politique.
Des otages sur leur propre terre
En Chine, il ne fait pas bon vivre lorsque l’on est ouighour. La rétention d’informations pratiquées par les autorités gouvernementales a pour effet la difficulté à obtenir des éléments utiles à la compréhension et à la réaction. Cependant, il y a les témoignages des Ouighours basés à l’étranger.
Exilés de longue date ou fraîchement rescapés des camps. Une ressortissante arrivée en France puis installée dans la moitié nord du pays, désirant conserver l’anonymat, affirme : «Les conditions d’enfermement sont inhumaines. La promiscuité de tous les instants est inimaginable. La détention s’accélère et les cellules sont presque toujours dépourvues de WC décents». Précisant : «La violence des tortures, des pressions et des perversions est insoutenable et s’exerce en cellule confidentielle ou en public. À tel point que même ici en France j’empêche, par réflexe, mon mari de se déplacer hors des heures de travail».
Ces répercussions sur le plan psychologique rivalisent d’habileté avec la mise à l’écart sur le plan social. «Nous sommes otages sur notre propre terre. Ça résume tout», assène Erkin Ablimit, activiste bien connu devenu détenteur de la nationalité française suite à l’obtention de son asile politique il y a plusieurs années.
Par conséquent, à travers les témoignages recueillis depuis deux décennies, il apparaît que l’appartenance à la minorité ouighoure se présente clairement comme un facteur d’ostracisme prononcé et assumé au niveau national. En raison de la croyance en la religion musulmane en tout premier lieu. En raison d’une culture bien différente en second lieu, symbolisée par la pratique d’une langue faisant partie de la branche turcique. Á cela s’est ajouté le racisme pur et aussi extrémiste que le communisme dictatorial concocté par Xi Jinping.
Discriminations à l’embauche, contrôles d’identité incessants, garde-à-vue pour un simple oubli de formalité ou fréquentation d’un lieu de culte, familles démembrées suite à des emprisonnements arbitraires, apparition d’orphelins que l’on cherche à embrigader, un taux de mortalité en hausse, une baisse de l’espérance de vie… C’est le quotidien des Ouighours que le gouvernement chinois veut condamner à la perte d’identité.
Ce n’est pas la faute des Chinois, mais de leurs gouvernants
Vu de l’étranger, la situation des turcophones de Chine mériterait plus d’audience de la part des politiciens et du grand public.
Néanmoins, le peuple autochtone du Turkestan (Grand Ouest chinois nommé aussi Xinjiang) peut encore placer ses espoirs en sa diaspora émiettée aux quatre coins du monde. Particulièrement aux Etats-Unis, en Allemagne, en France. La figure de proue de la lutte pour la survie ouighoure est évidemment Rebiya Kadeer. La dissidente installée aux Etats-Unis décrit le gouvernement chinois comme «un rouleau compresseur qui veut tout étouffer puis écraser puis anéantir».
La dame, désormais d’un certain âge, à l’allure tranquille de celles et ceux à qui la vie a appris à philosopher, et dont le mari avait été éliminé par les politiciens chinois, avait pourtant prévenu l’Occident depuis sa base de Washington ou lors de divers déplacements à l’étranger. Celle dont le mari avait été un opposant notoire à l’annexion socioculturelle et administrative du plus grand pays d’Asie, le rappelle fermement mais tranquillement: «Je ne peux pas l’exprimer plus simplement : les Chinois sont capables de beaucoup de choses et ce dans tous les domaines; réveillez-vous !». Ajoutant : «Mais que le monde se protège tout en restant objectif. Il faut rester en paix tous ensembles. Ce n’est pas la faute de tous les Chinois. C’est prioritairement la faute de leurs gouvernants. Même si les Ouighours demeurent attachés à leurs racines, ils ne haïssent pas les autres. Nous demandons seulement la justice.»
Son de cloche similaire chez la deuxième figure emblématique du moment Erkin Ablimit, cette fois-ci depuis la France : «Ce n’est pas que nous nous proclamons meilleurs que les Chinois. Nous nous proclamons différents. Nous ne nous proclamons meilleurs qu’aucun autre peuple. Tout le monde doit le comprendre. Ce serait logique de nous attribuer notre indépendance. Ou plutôt de nous la redonner pour nous montrer plus précis. Il ne faut pas oublier que même sous domination chinoise nous étions définis comme habitants d’une région autonome. Et je tiens à dire que, y compris parmi les Chinois et leurs descendants installés à l’étranger, par exemple en France où je vis, se produisent des réactions intéressantes. D’accord certains continuent à se montrer indifférents. Mais certains autres commencent à réaliser les choses et nous manifestent de la sympathie.»
Par instinct de résistance, en vue de la préservation de leur culture, ces Turcs d’Asie Centrale ont déployé d’importants moyens pour organiser conférences, manifestations, congrès, réunions, concertations dans d’autres pays. Les trois dernières années ont été capitales, avec l’organisation du Congrès international ouighour se déroulant sur un axe Paris-Washington grâce au dynamisme de militants comme Neminjan Karwan, Talip Talipjan, Mahira Ghopur, Melike Abliz, Mirqedir Mirzat, Adalat Tursun, Erkin Ablimit. Ce dernier (successivement président de l’Association Ouighour de France et de l’Union internationale des Ouighours) ayant été élu président du gouvernement du Turkestan Oriental en exil (au terme d’élections organisées à Washington et à Arlington en novembre 2019).
La Chine est en train de faire disparaître une de ses minorités ethniques
Par-delà ces considérations géopolitiques et ethniques, les Ouighours auraient-ils les compétences requises pour nous aider à comprendre davantage les arcanes énigmatiques de la nation chinoise ?
En effet, la récente apparition du coronavirus replace la Chine au centre de l’attention internationale. Ce phénomène que l’on peut définir comme une grossière erreur prend le chemin d’une catastrophe à l’échelle planétaire. En parallèle, il illustre la difficulté à filtrer des informations à partir de l’Empire du Milieu. Ceci s’appliquant à tous les domaines : sanitaire, scientifique, économique, commercial, politique.
Les Ouighours, comme tous les citoyens officiellement chinois, se trouvent depuis le tout début en première ligne. Les secrets sortent très difficilement du pays. Cette caractéristique héritée depuis l’Antiquité (pensons au secret d’Etat des vers à soie) continue à s’appliquer logiquement à la société chinoise actuelle. Gestion des mentalités qui transparaît aussi bien au niveau des données relatives au Covid-19 que du traitement de sa communauté de souche turcophone. Les deux lignes se rejoignent en une dangereuse parallèle, pouvant aboutir à une courbe confondant politique d’assimilation forcée et extermination facilitée par le manque de soins prodigués aux détenus ouighours durant cette période de pandémie dramatique. Une pandémie qui – le hasard faisant bien les choses – relègue au second plan les atteintes aux Droits de l’Homme perpétrées par le gouvernement de Pékin.
Il est regrettable que la question ouighoure ne soit abordée que par trop peu de spécialistes; parmi ceux-ci des journalistes (Sébastien Boussois; Sébastien Falletti; Hugo Boursier; Federico Giuliani; Brice Pedroletti; Mario Respinti; Sadak Souici), des universitaires ou politiciens (André Gattolin, Mike Pompeo).
La toute récente organisation d’une conférence supervisée par l’eurodéputé M. Gluckmann et l’organisatrice majeure Fiorella Luna, responsable manager de l’ETAC (End Transplant Abuse in China) a indiqué une marche à suivre intéressante avec la dénonciation minutieuse du trafic d’organes humains orchestré par le pays de Mao Tsé Toung et de Xi Jinping.
Question de priorités… Question d’angle. Question de point de vue. Question de temps. L’angle de vue risque à tout moment de devenir un angle mort. Le point de vue général est handicapé par deux facteurs: le monopole de l’attention par le Covid-19 et l’éloignement conjugué à la méconnaissance elle-même plurifactorielle. Le temps, il n’en reste plus beaucoup. Une véritable course contre la montre s’est engagée. Sans déplacement de population, la Chine est en train de faire disparaître perfidement une de ses minorités ethniques.
Si l’on pouvait réagir avec autant de célérité que dans la lutte contre le virus apparu en Chine et sévissant actuellement au niveau mondial… Aussi, tout comme elle l’a démontré dans le cadre de cette lutte, l’Union Européenne et l’OCDE se doivent de multiplier les efforts pour mieux sonder l’envers du décor chinois. Ceci afin de contrer les nombreuses malfaisances se produisant sur le continent asiatique tout en sortant de l’approche minimaliste des choses.
Le coronavirus ne semble que la cime d’un bien gros iceberg, couronnant des calamités disposées en ordre pyramidal.
(Article réalisé avec l’aimable collaboration de Sabine Verhest).
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