Mohsen Marzouk a de bonnes raisons de se sentir incompris et d’avoir souvent besoin de s’expliquer, car il est l’un des plus talentueux hommes politiques de sa génération en Tunisie, mais il n’arrive pas à décoller dans les sondages d’opinion, victime d’un malentendu. Portrait d’un chef au destin contrarié…
Par Imed Bahri
Le président de Machrou Tounes, qui a eu son heure de gloire aux côtés de feu Béji Caïd Essebsi, en cofondant avec lui le parti Nidaa Tounes, en juin 2012, en contribuant activement à son triomphe électoral en 2014 et en étant, pendant plusieurs mois, son principal conseiller politique au Palais de Carthage.
Cette gloire a duré jusqu’au début de l’année 2016, lorsque, écœuré par les micmacs et les manigances du fils de l’ancien président, Hafedh Caïd Essebsi, cet ancien militant de la gauche estudiantine s’est résigné à quitter le parti dont il était promu secrétaire général, la mort dans l’âme, et à fonder Machrou Tounes, parti promis à sa naissance à un grand avenir mais qui n’a vraiment pas réussi à décoller, abandonné, en cours de route, par beaucoup de ses co-fondateurs.
Une «carrière» en dents de scie
Cette «carrière» en dents de scie est d’autant plus inexplicable qu’en comparaison avec les autres acteurs de la scène politique tunisienne post-2011, plus inconsistants les uns que les autres, Mohsen Marzouk pourrait être considéré sinon comme un poids lourd du moins comme une valeur sûre : un homme d’expérience, bon tribun et fin analyste, souvent pondéré et porté sur le dialogue, mais tranchant et intraitable lorsqu’il le faut, et qui connaît les arcanes de la diplomatie et de la géostratégie. Ses réseaux et son carnet d’adresses sont bien étoffés, sur les plans national, régional et international. Il lui manque, cependant, l’essentiel, à savoir cette capacité innée de séduire et de forcer l’admiration de ses semblables. Ce qu’on appelle généralement le charisme, ou, en dialecte tunisien, le «qboul» : cette capacité de faire accepter ses défauts et pardonner ses erreurs.
Autre problème de Mohsen Marzouk : quoiqu’il fasse, il n’arrive pas à inspirer une totale confiance. Il est le contraire même de Kaïs Saïed, le président de la république qui a remporté l’élection avec plus 72% des suffrages sans être adossé à un parti ni sans avoir fait une vraie campagne, et à qui on semble tout pardonner, même ses plus lourdes bavures, et Dieu s’il en fait. Le président de Machrou est moins chanceux, puisqu’on ne lui pardonne rien et on lui reproche souvent tout et, plus souvent encore, n’importe quoi. Des défauts, il en a, sans doute, lui aussi, comme celui d’être pressé (ce que trahit son débit trop rapide), mais on lui en invente souvent beaucoup, pour mieux l’accabler. Ce qui facilite la tâche à ses adversaires, qui le redoutent et ne manquent pas d’alimenter les plus folles rumeurs à son compte.
Le Sisyphe de la scène politique
Au chapitre des explications, Mohsen Marzouk a publié, dimanche 24 mai 2020, un post Facebook, où il dément avoir jamais tendu la main aux «khwanjia», selon son terme, à savoir les Frères musulmans d’Ennahdha. Ce que beaucoup continuent de lui reprocher, à tort selon lui.
«Nous n’avons jamais tendu la main aux Khwanjia au sein du gouvernement Chahed. Nous voulions juste unifier nos forces avant de fonder Tahya Tounes, en tant que grand parti rassembleur et constituer ainsi une majorité face à Ennahdha au gouvernement et au parlement. L’entrée au gouvernement fait partie de ce projet qui n’a pas réussi parce que Chahed et son groupe n’ont pas respecté leurs engagements. Si notre but était d’avoir des portefeuilles ministériels, nous aurions pu avoir le double des maroquins qui nous ont été attribués à la formation du gouvernement Chahed. Et bien avant ce gouvernement, nous aurions accepté le ministère des Affaires étrangères ou gardé notre poste à la présidence de la république. Il est facile de juger les événements et les personnes quand on ignore les faits. Sachant que, n’eussent été nos efforts durant les années 2013-2014, la situation en Tunisie aurait été totalement différente. Lorsque les héros d’aujourd’hui se cachaient et que nous étions aux premiers rangs à nous battre, en ce temps des Ligues de protection de la révolution et d’assassinats politiques», a écrit Mohsen Marzouk dans ce post où il tente de dissiper des malentendus, de démentir des accusations infondées et de se rendre justice lui-même.
À 55 ans, ce vieux routier de la politique est un véritable Sisyphe : il continue à pousser la pierre (de l’hostilité, de l’adversité et de l’incompréhension) au sommet de la montagne, en espérant qu’un jour, par une sorte de justice divine, elle cessera de dégringoler.
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