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Trump : une politique du déni et du bouc-émissaire

Expert de la communication politique et de la téléréalité, Donald Trump dessine aux Américains un monde de merveilles, avec les diables qu’il se choisit et non ceux qui les hantent.

Par Hassen Zenati

«Je suis un jeune noir, qui fait ce qu’il peut pour rester debout, mais quand je regarde autour de moi et que je vois ce qui est fait aux gens comme moi, je me sens chassé comme une proie. Je veux juste vivre». C’est le cri de cœur déchirant d’un adolescent de 12 ans, Keetron Bryant, qui s’est échappé du fond de ses tripes, lorsqu’il a appris le meurtre de son frère de couleur George Floyd, 46 ans, étouffé lors d’une interpellation musclée sous le genou d’un agent de police qui lui refusait le droit de respirer.

Le clip a fait le tour des réseaux sociaux. Il a été partagé de millions de fois par des followers scandalisés par la brutalité de cette police qui en prétendant défendre l’ordre ne fait que créer le désordre.

Une Amérique plus que jamais polarisée

Les protestations, déclenchées il y a une semaine à Minneapolis, lieu du crime, se sont développées en émeutes, en gagnant plusieurs autres villes. Au croisement de la 38e rue et de l’avenue de Chicago, un musée en plein air a été improvisé à la mémoire du supplicié. Son portrait peint avec des couleurs pop est affiché sur la façade de briques d’un grand magasin. Un tournesol géant encadre son visage, pareil à un soleil, couvert en son cœur de dizaines de noms de noirs tués par la police. Sur le trottoir, des centaines de gerbes de fleurs et des bougies en hommage au défunt.

«I can’t breathe» (Je n’arrive plus à respirer). Ce sont les tout derniers mots prononcés par George Floyd, soupçonné d’avoir voulu écouler un faux billet de 20 dollars, avant de succomber sous le genou implacable de Derek Chauvin, un policier blanc de la ville. La séquence a été filmée par Darnella Frazier, une adolescente de 17 ans qui passait par là. Devenue virale dans une Amérique polarisée plus que jamais à l’approche de l’élection présidentielle de novembre, la vidéo est à l’origine d’une flambée de violence portée par un slogan devenu culte : «I can’t breathe», placardé sur les murs et hurlé par des milliers de manifestants, noirs et blancs, descendus dans la rue pour dénoncer ce nouveau drame du racisme aux États-Unis. La liste macabre des victimes noires de la violence policière ne cesse de s’allonger d’année en année.

La police débordée par les émeutiers et les casseurs

Les affrontements ont touché New York, Philadelphie, Los Angeles, Atlanta, Miami et Chicago, Dallas, Houston, ville d’origine de la victime, Las Vegas, Des Moines, Memphis et Portland, avant de déborder sur la capitale, Washington, où l’Eglise des présidents, faisant face à la Maison Blanche, a été incendiée, tandis que le président Trump était poussé par mesure de sécurité à se «confiner» dans le PC ultra-sécurisé de lutte contre le terrorisme. Des couvre-feux ont été imposés un peu partout, là où la police a été débordée par les émeutiers et les casseurs. Signant la gravité de la situation, la Garde Nationale, force militaire de réserve, a été appelée à la rescousse. Une première. Des unités de la police militaire ont été par ailleurs mises en alerte pour pouvoir le cas échéant intervenir à Minneapolis dans un délai de quatre heures, a indiqué le Pentagone.

Englué dans son déni de la pandémie du coronavirus, dont le nombre de victimes a franchi le seuil tragique de 104.000 morts et 1.788.000 cas confirmés aux Etats-Unis, sans infléchissement notable de la courbe de contamination, Donald Trump continue à faire ce qu’il sait faire le mieux : tourner le dos à la réalité pour chercher des boucs émissaires. Après la Chine, accusée à longueur de twitts vengeurs d’avoir laissé se propager le virus sciemment ou par négligence, et d’être ainsi responsable du «massacre» actuel à travers le monde, il est parti bille en tête contre les Démocrates, ses prochains adversaires à l’élection présidentielle, pointés du doigt comme des fauteurs de troubles ou pour le moins comme des complices des casseurs. Pourtant, dès sa première intervention sur le sujet, le candidat démocrate Joe Biden, a fermement condamné la violence, en déclarant «comprendre» la colère des émeutiers, attisée par la passivité des autorités à l’égard des policiers mis en cause. Il a fallu attendre plusieurs jours en effet pour que l’auteur de la «bavure» fatale soit arrêté et présenté à la justice qui l’a inculpé d’«homicide volontaire, avec préméditation» et d’avoir «commis un acte cruel et dangereux ayant causé la mort». Ses trois co-équipiers ont été licenciés sans poursuites judiciaires.

Donald Trump dans son bunker de la Maison Blanche.

Donald Trump avec ses grands sabots

Dans ses premières réactions, Donald Trump n’a manifesté aucune empathie pour la victime, ni pour sa famille. Homme d’ordre d’abord, manifestant des penchants troubles pour les «supremacistes», laudateurs de la race blanche, il s’est porté spontanément au secours des forces de sécurité, contre ceux qui n’étaient pas encore des émeutiers, seulement des protestataires. Sa seule préoccupation : stopper les actes de violence, sans s’étendre sur ce qui les a motivés : les brutalités policières répétitives et impunies. «Nous ne pouvons pas et nous ne devons pas laisser un petit groupe de criminels et de vandales détruire nos villes et saccager nos communautés. Mon administration va stopper la violence collective. Et nous allons la stopper net», a averti le président. «Nous pouvons leur envoyer nos soldats très rapidement», a-t-il menacé, à partir de la pelouse de la Maison-Blanche, en estimant que les responsables locaux manquaient de fermeté et qu’il leur fallait «être plus durs». «La violence et le vandalisme sont menés par Antifa (anti-fachistes) et d’autres groupes de l’extrême gauche radicale», a-t-il dit en ajoutant que les émeutiers déshonoraient la mémoire de la victime, George Floyd.

Sur la même ligne que lui, Timoty James Walz, novice gouverneur démocrate du Minnesota, élu en 2019, estime que les émeutiers ne pouvaient être que des membres de groupes anarchistes, des supremacistes blancs et des trafiquants de drogue, souvent venus d’autres villes. «Notre objectif est de décimer aussi vite que possible cette force qui veut instiller la peur et déstabiliser nos grandes villes», a-t-il statué.

Les supremacistes blancs ont le vent en poupe

Malgré la vigoureuse action du pasteur Martin Luther King, assassiné en 1968 à Memphis, en faveur de la déségrégation raciale et des droits civiques, le fléau racial continue à peser lourdement sur la société américaine. Mais, rares sont ceux qui veulent le reconnaître ouvertement pour expliquer la violence récurrente entre populations noires et policiers. Ils préfèrent se retrancher derrière les phénomènes sociaux : chômage, pauvreté, drogue. Les supremacistes sont réapparus en force ces dernières années, inspirés par un théoricien résolu de la «Droite alternative» (l’alt-Right), Richard Spencer, appelant à une «épuration ethnique», qui ne concernerait pas seulement les noirs, mais aussi les latinos-américains, les musulmans et les asiatiques. Avec le néo-nazisme, c’est une des tendances fortes de l’extrême droite, minoritaire dans le pays. «Heil Trump, Heil notre peuple, Heil la victoire», fait partie de ses slogans.

Les supremacistes ont été propulsés au cœur de l’actualité américaine après la manifestation de Charlottesville (Virginie) en 2017, qui se voulait le creuset du rassemblement des droites extrêmes. Elle s’est soldée par la mort d’une contre-manifestante antiraciste, ainsi que de trois policiers qui ont péri dans la chute de leur hélicoptère.

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