Au-delà de son caractère symbolique, l’élimination de Droukdel, présentée comme un «succès majeur» par Paris, marquera-t-elle la fin de l’enlisement français au Mali ? Bien des interrogations subsistent.
Par Hassen Zenati
On le croyait planqué en Tunisie dans un de ces camps jihadistes du Chaambi, après avoir échappé aux traques de l’armée algérienne en Kabylie, dont il avait fait sa terre de prédation pendant de longs mois dans les massifs montagneux de la région et autour de la forêt de Sidi Ali Bouneb, son refuge principal.
Après s’être fait oublier pendant un temps, Abdelmalek Droukdel, alias Abou Moussaab Abdelwadoud, est réapparu à la lisière de la frontière algéro-malienne. C’est là qu’il a fini sa cavale meurtrière de près de 27 ans de terrorisme sanglant, mercredi dernier, 3 juin 2020, sous un déluge de feu de l’armée française, avertie de son passage par le renseignement américain et sans doute aussi par le renseignement algérien.
Une intervention composée d’hélicoptères et de troupes au sol
Selon le colonel Frédéric Barbry, porte-parole de l’état-major français, «l’action s’est déroulée au nord de l’Adrar des Ifoghas, à 80 km à l’est de Tessalit. Elle a été réalisée par un module d’intervention composé d’hélicoptères et de troupes au sol» des forces spéciales. Droukdel était accompagné d’un «petit groupe» d’hommes lorsqu’il a été «neutralisé», a-t-il indiqué, sans plus de détails.
En réalité, le chef terroriste à la dérive ne jouait plus de rôle majeur au sein de la nébuleuse jihadiste du Sahel, reprise en main par des chefs du cru. Ses troupes ont été décimées par les ratissages successifs de l’armée algérienne en Kabylie, dans les massifs de Jijel et de Tebessa, à la frontière tunisienne, ses anciens fiefs.
En 2018, il a perdu un de ses plus proches compagnons et dernier lieutenant, Djamal Okacha, tué par l’armée, alors que nombre d’autres ont soit péri dans des embuscades, ou se sont discrètement rendus aux autorités, parfois par familles entières, après avoir perdu tout espoir de se remettre à flot.
Certains de ses lieutenants lui reprochaient son caractère autoritaire et son immobilisme. Il ne semblait plus avoir d’autres perspectives à présenter aux fidèles qui lui restaient, que le refus obstiné de toute négociation avec les autorités, qui n’étaient d’ailleurs plus demanderesses. Elles attendaient qu’il tombe dans leur filet aux mailles de plus en plus serrées autour de ses fiefs.
L’homme de la situation au Sahel, notamment au Mali, est désormais le Touareg Iyad Ag Ghali, 62 ans, chef de la coalition jihadiste de Jamaât Nousrat El-Islam Wal Mouslimine (JNIM – Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans). Aguerri aux côtés du Libyen Mouammar Kadhafi, considéré comme «l’ennemi N° 1» de la France, traqué par les Etats-Unis, il serait en négociations à éclipses avec les autorités de Bamako pour mettre fin aux combats, après s’être débarrassé de la tutelle d’Al Qaïda et de son chef présumé, en perte de vitesse, Abdelmalek Droukdel.
JNIM est actuellement l’organisation la plus puissante de la région, en rivalité avec deux entités mineures : l’Organisation de l’Etat islamique dans le Grand-Sahara, dirigée par un certain Adnane Abou Al-Walid Al-Sahraoui, affilié à Daech (Etat Islamique), et une autre de constitution récente, à l’occasion d’une énième dissidence, s’appelant Jound El-Khilafa au Mali (Les soldats du califat au Mali). Leur ascension a marqué le passage du jihadisme, devenu un phénomène local, entre les mains des autochtones. Un tournant.
Abdelmalek Droukdel : la fin un chef ambitieux et cruel
Né en 1971 à Zayane, un quartier pauvre de Meftah, une localité déshéritée de la grande banlieue d’Alger, Abdelmalek Droukdel apparaît comme le dernier des chefs islamistes coopté à l’extérieur de la région sahélienne, mandaté ou pas par Al Qaïda. Après des études en chimie à Blida (ouest d’Alger), il rejoint en 1993 les Groupes islamiques armés (GIA), où il est engagé en tant qu’expert en explosifs. Son mentor politique et militaire était le Jordanien Abou Moussaab Al-Zarkaoui, auteur de multiples attentats-suicides en Irak, tué dans un raid de l’armée américaine en 2006.
Visage rond dévoré par une barbe abondante surmontée d’épais sourcils, forte personnalité, bon orateur et chef charismatique, selon ses lieutenants, il aspirait à jouer le rôle de Guide suprême au Nord Mali, une région entrée en dissidence depuis plusieurs années, avec pour viatique une mixture d’islam politique et de nationalisme arabe. Ambitieux et cruel, sa main n’a jamais tremblé lorsqu’il s’agissait de liquider un rival. On compte à son sinistre palmarès l’attentat à l’explosif contre le Palais du gouvernement au centre d’Alger, en avril 2007 (12 morts, 87 blessés), celui du siège du Haut commissariat de l’ONU aux réfugiés dans le quartier résidentiel ultra-sécurisé de Hydra, en décembre 2007 (37 morts, 177 blessés), et celui de Lakhdaria, à 50 km d’Alger, perpétré en juin 2008, contre le chantier d’un groupe français de travaux publics. Il est condamné en Algérie à la peine capitale par contumace.
Montée en puissance de l’armée française
L’élimination de Droukdel, après la capture, le 19 mai dernier, d’un autre vétéran du jihad dans la région, Mohammed Al-Mrabat, semble marquer une montée en puissance de l’armée française, engagée depuis 2013 dans une vaste opération contre le jihadisme au Sahel. Elle s’est soldée jusqu’à présent par la mort d’au moins 46 militaires français, dont 8 officiers, 2 officiers mariniers, 17 sous-officiers et 19 militaires de rang, en plus de centaines de civils. En 2019, selon l’ONU, les attaques terroristes et les conflits communautaires qui leur sont liés, ont fait quelque 4.000 morts dans la région, cinq fois plus qu’en 2016.
Irrité par les insuccès de l’armée française, l’inefficacité des armées locales et le peu d’empressement de ses partenaires européens à lui apporter leur soutien, le président Emmanuel Macron a décidé de remettre à plat la stratégie suivie jusque-là. Immédiatement après une nouvelle attaque jihadiste meurtrière d’un camp de l’armée nigérienne à Inates (71 morts, 12 blessés et plusieurs disparus), en décembre 2018, il a réuni, en janvier 2020, à Pau (Pyrénées atlantique, France) les chefs d’Etat de la région sahélienne : Mauritanie, Burkina Faso, Mali, Niger, Tchad, pour leur annoncer une réorganisation totale du dispositif d’intervention rebaptisé Takuba, en exigeant d’eux un engagement plus ferme aux côtés du contingent français, porté à 5.100 militaires. La zone des trois frontières entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger a été ciblée comme zone prioritaire d’intervention. Les armées africaines soumises à une formation intense semblent désormais plus efficaces au combat, mais elles commettent parfois aussi des exactions qui lui aliènent les populations, ouvrant ainsi la voie à l’implantation de groupes terroristes accourant pour les «protéger».
Depuis le coup d’état militaire qui a renversé l’ancien président Amadou Toumane Touré (ATT), en 2012, le Mali a sombré dans une crise politico-sécuritaire qui a entraîné de proche en proche l’ensemble du Sahel dans l’instabilité, s’accompagnant de l’implantation d’un nombre croissant de groupes terroristes ayant désormais des ramifications dans toute l’Afrique de l’Ouest. Ces groupes sont le plus souvent nés de la rébellion touarègue et de diverses scissions au sein du Mouvement national de libération de l’Azawed, qui revendique la séparation du Nord-Mali, pour y constituer un nouvel Etat indépendant.
L’élimination de Droukdel et d’Al Qaïda, ne devrait pas mettre pas fin aux affrontements féroces entre groupes rivaux qui se battent pour s’assurer l’hégémonie dans cette région, qui est aussi une voie de passage d’une multitude de trafics.
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