Il a parlé. Là, on ne peut pas prétendre que c’était le taiseux de Carthage. Il est passé aux aveux. Au cours de sa «visite d’amitié et de travail» en France, en début de semaine, le président de la République Kaïs Saïed a accordé une interview au ‘‘Monde’’ au cours de laquelle plusieurs thématiques ont été abordées. Pour la plupart déjà développées dans l’entretien sur France 24 sauf celle relative à son exercice du pouvoir pour lui qui vient du monde académique et non politique.
Par Imed Bahri
Dans l’interview du ‘‘Monde’’, Kaïs Saïed semblait plus se confesser sur le divan. Non pas chez le docteur Freud à Vienne mais aux journalistes Maryline Baumel et Charlotte Bozonet dans les colonnes du quotidien parisien du soir. Il était visiblement à l’aise, plus à l’aise en tout cas qu’avec les médias tunisiens que, du reste, il semble bouder, car pas assez intègres à ses yeux ou, carrément, tous pourris.
S’il n’est pas De Gaulle, il serait au moins Bourguiba
Répondant à la question pertinente: «Votre parcours de professeur de droit ne vous prédestinait pas à la politique. Que retenez-vous de vos huit premiers mois d’exercice du pouvoir?», Kaïs Saïed répondit: «J’ai appris que je n’appartiens pas à la même galaxie que les hommes qui se qualifient de ‘‘politiques’’». Il poursuit et explique: «Ma candidature a été le choix des jeunes. C’est un lourd fardeau, mais c’est un parcours qu’on fera ensemble.»
Dans une approche quelque peu victimisante, il enchaîne, lui l’électron libre et le réfractaire: «Les forces politiques, ceux qui ont l’argent, ne laisseront pas faire. Mais c’est mon rêve: non d’être président, mais d’être au rendez-vous avec l’histoire.» Traduire : «De Gaulle ou rien !» Et cela donne une idée sur la manière dont le chef de l’Etat se perçoit lui-même : il ne se considère pas comme un «vulgaire» président de la république (trop peu pour lui), mais comme un homme providentiel qui a un rendez-vous avec l’Histoire, avec un grand H bien sûr. Autrement dit, s’il n’est pas De Gaulle, il serait au moins Bourguiba, c’est-à-dire l’homme qui transcende tous les clivages et survole tous les partis.
Certes M. Saïed n’est pas en lune de miel avec les forces politiques en place en Tunisie mais a-t-il tenté de dialoguer avec eux ou d’établir des deals avec les plus responsables d’entre eux, car il est difficile de croire qu’il n’y en a pas. Non, M. Saïed est dans une attitude solitaire de détachement; il ne reçoit pas, ne discute pas, ne consulte pas, n’échange pas avec les autres protagonistes de la scène, et après, il vient dire qu’ils ne le laisseront pas faire. Il y a là une approche victimisante de sa part.
Un visionnaire empêchée au-dessus de la mêlée
De plus, son discours prend de haut et toise des hommes et des femmes qui se qualifient de «politiques» et auxquels il ne semble avoir que du mépris. Mais maintenant, avec le Fakhfakh Gate qui éclabousse celui-là même qu’il aura choisi pour la Primature, comment fera-t-il afin d’imposer sa République irréprochable et comment combattra-t-il la corruption? Mystère et boule de gomme.
L’avenir est plus que jamais un grand point d’interrogation pour cet homme, qui pose pour la postérité plus qu’il n’agit sur le présent, mais aussi pour le pays qui l’a porté à la magistrature suprême avec près de 73% des suffrages exprimés, non pas, on s’en doute, parce qu’il l’apprécie particulièrement ou qu’il en attend monts et merveilles, mais, pour la plupart des électeurs, à contrecœur, pour barrer la route à son adversaire du second tour, Nabil Karoui, le magnat de télévision et de publicité poursuivi par la justice pour évasion fiscale, corruption financière et blanchiment d’argent.
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