Chez la majorité de l’élite tunisienne, il a toujours existé une confusion entre l’Etat, l’administration, la république et même la patrie… Un champ sémantique «confusionnel» élaboré explicitement par «le pouvoir personnel» d’Habib Bourguiba et de Zine El Abidine Ben Ali… et même par Béji Caïd Essebsi… La raison de cette situation inique est simple : personne ne devrait faire de la politique sauf le chef. Et cela a laissé des traces dans la société tunisienne, où la vie politique, malgré l’habillage vaguement démocratique, est d’une décevante pauvreté.
Par Helal Jelali *
Au lendemain de l’indépendance, Bourguiba ne voulait ni de Premier ministre, ni même de ministre, des secrétaires d’État, c’est déjà suffisant, disait-il. Le «Combattant Suprême» considérait les secrétaires d’Etat et plus tard les ministres comme des hauts fonctionnaires de son cabinet présidentiel ou souvent comme de simples «collaborateurs»…
La politique était son domaine réservé… Feu Radhia Haddad, ancienne présidente de l’Union nationale des femmes tunisiennes (UNFT) déclarait que Bourguiba ne supportait jamais une opinion contraire à la sienne. Ben Ali n’a pas fait mieux… Inimaginable, les deux dernières années de son règne, il avait même interdit à tout fonctionnaire de rencontrer un étranger même à titre privé sans autorisation préalable du ministère de l’Intérieur… Hallucinant encore, cette mesure concernait aussi les hauts fonctionnaires retraités. Au sein des différents gouvernements, le débats et les échanges étaient totalement absents… Cette absence de débat politique avait mis la haute administration devant le fait accompli : gérer le pays par des directives présidentielles et exécuter des textes de loi adoptés par le parlement sans avoir les moyens financiers pour les «décliner»…
Les partis n’étaient que des chambres d’allégeance au chef suprême
Quant aux partis politiques comme le Néo- Destour (sous Bourguiba) ou le RCD (sous Ben Ali), ils n’étaient que des chambres d’allégeance où les luttes des clans permettaient au chef de l’Etat de choisir ses hommes et ses femmes. Une basse-cour bien décrite par Gustave Flaubert dans ‘‘Madame Bovary’’ qui méprisait les personnalités politiques de la IIIe République.
Nous pouvons donc constater que de 1956 à 2011, la République a été celle de la haute administration et qu’il n’y pas eu d’orientation politique claire en dehors de discours de flagornerie pour maintenir une propagande désuète… En plus, Bourguiba et son équipe n’avaient aucune culture économique. Après l’indépendance, il avait adopté le programme économique de L’UGTT – au menu du congrès du Néo-Destour de Sfax de 1955 : étatisation et collectivisme –. Tout ceci pour que les dirigeants de la centrale syndicale n’aillent pas renforcer le camp de son ennemi juré Salah Ben Youssef. On cite souvent l’ancien Premier ministre Hédi Nouira comme grand économiste, grande erreur, à la fondation de Banque centrale de Tunisie (BCT). C’était le jeune énarque de Paris, Mansour Moalla, qui dirigeait l’institution monétaire. Quant à la première banque du pays, c’était Serge Guetta, natif de Gabès, qui avait préparé le projet avant de passer à la Banque mondiale. Pour la petite histoire, sans lui, Béchir Ben Yahmed n’aurait pas pu lancer ‘‘Jeune Afrique’’.
Les droits humains et les libertés publiques ne suffisent pas pour construire un projet politique
À partir de 2011, ce sont les défenseurs des droits de l’homme, persécutés par Ben Ali, qui animeront les débats politiques… Mais, comme les partis politiques étaient interdits sous Ben Ali, leur seul projet était la consolidation des droits humains… Point de programme social, économique ou culturel… Mais on ne peut bâtir un projet politique juste avec le volet des droits de l’homme… les droits humains et les libertés publiques sont un fondement essentiel dans le processus démocratique, mais ils ne peuvent nullement être suffisants pour construire un projet démocratique!
Encore une fois, la haute fonction publique se trouve aux premières loges pour gérer le pays sans boussole politique… Ce que l’élite et certains médias refusent de comprendre, les meilleurs diplômes du monde ne pourraient faire d’un homme une personnalité politique quand la fibre est absente… L’ancien ministre français de l’Economie et Premier ministre de François Mitterrand, Pierre Bérégovoy, était un ancien métallurgiste sans le baccalauréat… Juste avec un baccalauréat , Alain de Pouzilhac à hissé l’agence de publicité Havas au premier rang mondial et c’était lui qui lancera, plus tard France Médias Monde avec France 24, RFI, et Monte Carlo Doualiya…
La pépinière des hommes politiques, ce sont d’abord les partis, les syndicats, la vie associative et surtout le travail sur le terrain… Ce ne sont pas les universités qui initient cette vocation… Ce ne sont pas non plus les colloques dans les hôtels 5 étoiles et certaines Ong ou think-tanks, qui sont en fait des sièges de lobbys aux desseins parfois obscurs…
Combien de députés dans l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) connaissent le nombre des patients, d’élèves, de personnes âgées sans ressources, d’unités manufacturières, ou les chiffres exactes de la production agricole de leur propre région… Très, très peu… La majorité des partis politiques créés après 2011 ressemblent plus à des officines et parfois même à des épiceries…
Revenons à nos antiques savants: la politique, c’est la chose publique et non pas un plan comptable…
* Ancien rédacteur en chef dans une radio internationale.
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