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Monsieur Fakhfah, vous êtes piégé, démissionnez !

Le 28 février 2020, Elyès Fakhfakh prenait le témoin de Youssef Chahed.

Dans cette lettre ouverte au chef du gouvernement Elyès Fakhfakh, l’auteur estime qu’un homme politique doit militer dans sa jeunesse, se faire élire à 30 ans, devenir responsable régional ou national à 40. Or, ce n’est pas le cas de la majorité des dirigeants tunisiens actuels, qui sont souvent parachutés.

Par Helal Jelali *

Vous faites partie, comme deux de vos prédécesseurs, Mehdi Jomaa et Youssef Chahed, de la génération des managers… Pour cette génération, l’Etat n’est qu’une entreprise et la politique fait partie désormais de l’ancien monde…

En France, dont la révolution remonte à plus de deux siècles, depuis 1990, une dizaine de ministre sont passés par la case justice, dont Bernard Tapie, Hervé Gaymard, Michel Noir, Jérôme Cahuzac – et dernièrement l’ancien Premier ministre François Fillon, qui a été condamné, hier, à 5 ans de prison dont 2 ferme…

La politique n’est pas un casino

Le manager ne peut comprendre la politique que sous son angle tactique… Tout le discours d’Aristote dans ce domaine est construit autour de la vertu… et j’ajouterai le courage … Comment peut-on se porter candidat au poste de Premier ministre, avec 0,3% de suffrages recueilli à l’élection présidentielle… C’est vrai que l’outrecuidance ne reconnaît jamais de lignes rouges… La politique n’est pas un casino où «oser tout pour le tout» pourrait rapporter gros…

C’est vrai que nous sommes dans un État presque «désagrégé» par la corruption, l’insécurité et la flambée de la délinquance et du banditisme, une administration vieillissante, des services publics inadaptés face aux besoins des citoyens… Mais tout citoyen est en droit de vous poser cette question : est-ce que votre nomination au poste de chef de gouvernement n’est-elle pas une ruse dans la guerre déclarée entre le Palais de Carthage et celui du Bardo… Car même sans cette affaire de conflit d’intérêts, dont vous êtes aujourd’hui le «héros», votre marge de manœuvre était presque nulle…

Depuis 2011, tous les gouvernements ont été dirigés par des premiers ministres fragilisés, affaiblis et sans un véritable soutien politique ou populaire. Posez-vous cette question : pourquoi ? Et vous commencerez déjà à comprendre ce que c’est la politique.

Un bon technocrate n’est forcément pas un bon politique. L’État est livré à une haute administration où l’absence de directives politiques oblige à improviser.

Il y a cinq siècles, Antoine De Monchestien demandait à ses contemporains de «placer l’homme au dessus du marchand», c’était l’un des bâtisseurs de l’économie politique…

La coalition qui a formé votre gouvernement est un «patchwork incompatible»… Dans votre situation, vous ne pouvez nullement prendre une décision qui déplairait à Ennahdha ou à L’UGTT. Ces deux organisations ont su construire un consensus implicite dans l’adversité que peu d’observateurs ont compris.

La Tunisie a grand besoin d’un visionnaire charismatique

En Tunisie, le poste de chef de gouvernement est devenu honorifique, pour ne pas dire un piège… Et ce pays est devenu une république de théoriciens et d’universitaires. Alors qu’il a grand besoin de visionnaires, de volontaristes et d’hommes et de femmes dont l’autorité charismatique ne peut faillir devant l’adversité…

L’ancien ministre Ahmed Mestiri disait qu’en politique, il faut faire «ses classes»… Ce qui veut dire qu’on est militant à 18 ans, élu à 30 ans, responsable régional à 40 ans… Or, depuis 2011, la classe politique tunisienne est complètement coupée des réalités sociales du pays…

* Ancien rédacteur en chef à Radio France Internationale (Rfi).

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