Le Syndicat tunisien des médecins libéraux (STML) ne s’est pas départi de son péché originel, qui consiste à servir la frange des médecins favorisés dans les cliniques privées. Aussi est-il douteux qu’il obtienne une révision significative des conventions de 2006, établies avec la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam), le contexte ne s’y prêtant pas.
Par Dr Mounir Hanablia *
La convention entre la et le STML établie en décembre 2006 avec Cnam est arrivée à son terme fin juin 2020. Des négociations ont donc été entamées entre les deux parties afin de la renouveler. Le STML demande évidemment une revalorisation à la hausse des honoraires des praticiens pour les différents actes médicaux et chirurgicaux tenant compte du surenchérissement du coût de la vie et élargissant la liste des prestations remboursables.
On peut supposer que dans l’état actuel des choses, la Cnam ne se trouve pas dans les meilleurs dispositions pour le faire, la conjoncture politique ne la conforte que trop dans sa volonté d’abord de prolonger les pourparlers jusqu’à l’intronisation du nouveau gouvernement, ensuite de ne concéder que le minimum à des médecins dont beaucoup haussent déjà le ton sur la page favebook du STML. Alors que le nouveau gouvernement Mechichi n’est pas assuré d’avoir la confiance de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), toute nouvelle convention éventuelle devrait être ratifiée d’abord par le ministre des Affaires sociales, ensuite par le chef du gouvernement, avant d’être soumise à l’approbation des représentants du peuple.
Or il est notoire que le secteur de la santé constitue pour l’Etat un fardeau dont il veut se désengager au plus vite autant pour se soumettre aux injonctions des bailleurs de fonds internationaux que pour trouver de nouvelles ressources lui permettant de s’acquitter de ses obligations financières.
Va-t-on vers un abandon collectif de toute convention avec la Cnam ?
Il faudrait donc savoir si l’Etat puisse voir un intérêt quelconque autre que la reconduction de la convention établie en 2006 telle quelle, et dont le Syndicat des propriétaires des cliniques privées (SPCP) avait déjà annoncé unilatéralement qu’il ne tiendrait plus compte dans la facturation des frais d’hospitalisation dans les établissements privés, particulièrement dans le cas de la chirurgie cardiaque, où les chirurgiens et les médecins anesthésistes se font directement rembourser leurs honoraires auprès des malades, en général avant les interventions, en violation totale des conventions établies.
Ce précédent pèsera donc d’un poids indéniable dans tout nouvel accord éventuel, pour peu que celui-ci voie le jour. Il est en effet de plus en plus question d’un abandon collectif de toute convention avec la Cnam par les médecins libéraux qui préfèrent désormais fixer eux-mêmes leurs honoraires sans aucune restriction.
On peut donc supposer que l’actuelle négociation en cours n’est au fond qu’un simulacre entre deux parties peu désireuses de s’entendre. La différence est qu’en 2006 l’Etat avait été en position d’imposer un accord. Cette volonté politique n’existe plus aujourd’hui, ou du moins elle ne peut plus s’exercer de la même manière.
Le facteur important qui semble retenir encore les médecins de quitter la table des négociations en claquant la porte, c’est évidemment que quelques uns parmi eux puissent continuer à travailler avec la Cnam, ce qui leur assurerait une clientèle nombreuse, au détriment de leurs collègues, à l’instar de ce qui s’était déjà passé en 2006 , quand les membres de la corporation nouvellement installés avaient tiré profit du boycott général de la nouvelle assurance maladie pour s’assurer une place au soleil.
La mainmise des professeurs hospitalo-universitaires sur la médecine libérale
L’autre paramètre dont doivent tenir compte les négociateurs du STML c’est évidemment l’activité privée complémentaire des professeurs. Ceux-ci n’ont jamais été en position de contester les conventions puisque l’activité libérale est pour eux une faveur révocable, accordée par le ministre de la Santé, théoriquement du moins, et les adhérents de la Cnam y avaient déjà trouvé en 2006 une alternative au défaut de conventionnement des médecins libéraux. Après l’échec du premier grand mouvement corporatiste médical entre 2003 et 2006 dû à la désunion des médecins libéraux et à l’absence de solidarité démontrée par les bénéficiaires de l’APC, il eût été logique que le STML entreprenne une action au niveau juridique et politique contre la mainmise des professeurs hospitalo-universitaires appuyés par les cliniques privées sur la médecine libérale. Il n’en a rien été. Ceci tient à plusieurs facteurs dont le principal est que les figures les plus en vue du STML entretiennent des liens très étroits autant avec les conseils d’administration des cliniques qui leur procurent un nombre important de malades qu’avec les APC dont ces mêmes cliniques recherchent la collaboration.
Dans ces conditions, on ne peut nullement parler d’un STML œuvrant dans l’intérêt de ses membres sans évoquer les deux autres composantes du triangle auxquelles il soit organiquement lié, c’est-à-dire les cliniques et l’activité privée complémentaire des professeurs (ACP).
D’aucuns sont même allés plus loin en situant simplement le STML comme l’ombre ou le représentant ou l’apparence ou l’avatar du SPCP au sein de la corporation médicale libérale. Le manifeste du STML du 11 juillet 2020 ne peut que conforter cette thèse. Il évoque en effet le refus de tout discours «populiste» établissant un fossé entre la médecine privée de celle publique. Il fait l’apologie des cliniques privées, assurant selon lui plus de 100.000 emplois, pourvoyeuses de précieuses devises (dont souvent on ignore la provenance), et exportatrices de soins. Enfin d’une manière surprenante il critique l’action syndicale dans les établissements publics pour l’interruption des services qu’elle occasionne, et conclut qu’en fin de compte il soit le seul à réclamer une revalorisation des services des médecins remboursables par les caisses de prestations sociales.
Le STML a-t-il vraiment jamais servi les médecins libéraux dans leur disparité ?
Cette critique de l’interruption des services attire suffisamment l’attention, d’autant qu’un mot d’ordre a été lancé concernant la nécessité pour tous les médecins libéraux de ne plus remplir des bulletins de remboursements de soins aux patients, la convention étant désormais caduque, ce qui revient ni plus ni moins à un appel pour interrompre au moins en partie les services dus par la Cnam à ses adhérents. Ceux qui refusent de se conformer sont taxés d’opportunistes, pour ne pas dire traîtres, ce qui est une nouveauté par rapport à l’action entreprise en 2006, que personne ne tient à évoquer, et pour cause; elle avait été instrumentalisée par des fractions en lutte au sein du sérail de Ben Ali, en particulier contre le ministre de la Santé de l’époque, Mondher Znaidi. Quand on en parle, ou qu’on invoque n’importe quel autre problème, on s’entend répondre tout simplement que ce n’est pas le sujet; même si entre 2006 et 2020 on ne sait tout bonnement pas à quoi le STML a pu servir.
Mais si on envisage la caducité de la convention, qui est réelle, il est bien évident qu’on ne puisse pas abandonner à leur triste sort des dizaines de milliers de malades éprouvés dont l’assurance maladie constituait le seul moyen de financer au moins partiellement des coûts de soins, qui autrement eussent été pour la majorité d’entre eux, inaccessibles. Si ce retrait collectif de la convention est envisageable par la corporation en tant que moyen de pression discutable durant les négociations, il n’est moralement pas soutenable vis-à-vis des malades qui se retrouvent ainsi pris en otage. S’il s’agit de créer par là un fait accompli, dont on rejettera plus tard la responsabilité sur le vis-à-vis, alors l’efficacité de la méthode est sujette à caution; les patients iront tout bonnement prendre d’assaut les activités privées des professeurs en médecine comme ils l’avaient fait auparavant.
En conclusion le STML ne s’est pas départi de son péché originel; né pour servir la frange des médecins favorisés dans les cliniques privées, il n’a jamais voulu aborder les questions de fond, cela n’a jamais été son objectif; il ne peut donc pas servir les intérêts de l’ensemble de la corporation qui est disparate. Son avantage est qu’il existe mais il est douteux qu’il obtienne une révision significative des conventions de 2006, établies avec la Cnam, le contexte ne s’y prêtant pas. Et en réalité, les mots d’ordre qu’il lance en faveur du retrait des ses adhérents de ces conventions, au nom de leur caducité ou d’une illusoire solidarité professionnelle, ne doivent pas faire illusion, ils sacrifient les médecins de cabinets dont les chiffres d’affaires dépendent étroitement de la capacité des malades à se faire rembourser leurs soins. Le mieux est donc bien réfléchir avant de choisir de s’y conformer; ou de s’y refuser.
* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.
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