À partir de l’an prochain, il n’y aurait rien de surprenant que les nouveaux musulmans en provenance du Golfe désertent la Mecque et accomplissent désormais le hajj à Jérusalem, en faisant le tour du Temple de Salomon, reconstruit sur les remblais des mosquées, détruites pour la circonstance par Daech, et en y fêtant l’Aid commémorant le sacrifice d’Isaac, en portant la kippa au lieu du keffieh.
Par Dr Mounir Hanablia *
‘‘Jerusalema’’, la chanson de Master KG est en train de remporter un succès vraisemblablement international. Elle est devenue le tube que sur les chaînes de radio privées du pays on entend pratiquement chaque heure. En vertu de quels critères une chanson franchit-elle les barrières culturelles et les antagonismes nationaux, religieux, raciaux, pour être plébiscitée par un public disparate que rien ne paraît à priori pouvoir unir ? Prétendre que le contexte politique y soit étranger serait toutefois nier les réalités.
Lors du voyage du président égyptien Sadate à Jérusalem en 1977, précurseur des accords de Camp David de 1979, ‘‘Salma Ya Salama’’, chantée par la chanteuse Dalida, s’était propagée sur les ondes de toutes les radios francophones comme une traînée de poudre. Le temps n’était – il est vrai – pas encore à la mondialisation.
Tous les chemins mènent à Washington et Tel-Aviv
Ces jours-ci, la scène internationale est le lieu d’un évènement assez remarquable. Trois pays arabes du Golfe, les Emirats arabes unis, Bahreïn, et Oman, sont quasi simultanément en train d’établir des relations diplomatiques normales avec l’Etat d’Israël, sous l’égide du parrain américain Donald Trump. Celui-ci, à chaque fois, est le premier à annoncer l’accord en cours d’aboutissement. C’est que les sus dits accords de Camp David, qui n’ont jamais été aussi bien nommés, demeurent le modèle obligé de la normalisation – le mot honteux – entre l’Etat sioniste et les Etats arabes, avec la garantie américaine. Et cela explique bien pourquoi tout ce beau monde fait le voyage à grand spectacle de Washington pour la plus grande gloire du candidat républicain à la présidence des Etats Unis.
Nul n’est prophète en son pays, et Donald Trump se révèle l’être moins qu’un autre. Avec la succession de désastres, sanitaires, raciaux et sécuritaires, et environnementaux causés par les incendies géants de Californie et d’Oregon, l’actuel président américain après les affaires de Russie, sexe, corruption, est en train de clore son mandat sur une perspective apocalyptique de guerre civile, que sa menace réelle de ne pas reconnaître les résultats des élections ne fait qu’aviver.
Dans ces conditions que les enturbannés aux poches pleines du Golfe aillent à Canossa en venant lui rendre visite à la Maison Blanche est pour lui pain bénit. Il n’a rien à perdre, et il espère en retirer des dividendes politiques substantiels, les mêmes que ceux qu’il espérait en transférant l’ambassade américaine à Jérusalem.
La situation est à peu près comparable pour Benjamin Netanyahu, celui qui avait promis à son peuple la paix sans renoncer aux fondamentaux colonialistes de la politique sioniste, et qui est en train de l’obtenir, même si les liens économiques et sécuritaires établis avec les Emirats et le Qatar depuis des années ne sont plus un secret pour personne. Netanyahu, en butte à des poursuites judiciaires pour des affaires de corruption, est promis à un nouveau record de longévité à la tête de son pays.
Pour les pays du Golfe, tous les moyens sont permis pour contrer l’Iran
Il reste les Etats du Golfe, dont les dirigeants semblent issus de ‘‘Tintin au pays de l’or noir’’. Le fait que des Etats arabes se soient avérés pour une fois unis est déjà en soi un événement rare, et qu’ils l’eussent été pour normaliser leurs relations avec l’ennemi d’hier est encore plus remarquable. Il semble qu’effectivement pour ces Etats, la crainte d’une réactivation des accords établis par l’ancien président Obama avec l’Iran, par une éventuelle nouvelle administration démocrate issue des élections, ait joué, une crainte sans doute inspirée ou partagée par le Premier ministre israélien. En instaurant la «paix» dite d’Abraham, ces Etats prétendent donc établir un fait accompli engageant la garantie politique et militaire de l’Etat américain, d’une manière identique à celle de la signature des accords de paix entre Israël et l’Egypte en 1979. C’est que tous ces Etats partagent apparemment, quoique à des degrés divers, une même volonté de s’opposer à l’Iran, considéré comme menaçant, mais neutralisé par un embargo international rigoureux.
Il faut reconnaître également que les Emirats, depuis leur engagement militaire au Yémen, semblent financièrement à bout de force, tout autant que ne l’est l’Arabie Saoudite, un pays qui a ouvert son espace aérien aux avions israéliens, assurant la liaison avec le Golfe, mais qui pour le moment, n’a pas franchi le pas fatidique. En effet, après la mise sous l’éteignoir, au moins provisoire, de l’épouvantail chiite, ce sont désormais les ambitions hégémoniques turques en Méditerranée orientale et au Maghreb qui suscitent des inquiétudes aussi vives dans le camp sunnite, et même en Europe. Et l’affaire Khashoggi a mis en lumière l’ampleur du contentieux politique opposant Ankara, épaulée par le Qatar et l’organisation des Frères Musulmans, à Riyad soutenu par le Caire.
Les Etats du Golfe pensent donc, en franchissant le pas de la normalisation diplomatique avec Israël, obtenir le soutien indéfectible des Etats Unis d’Amérique, que tout éventuel accord ultérieur avec l’Iran ne saurait remettre en question. Autrement dit, ils aspirent à devenir de nouveaux Porto Rico, dans la péninsule arabique, mais dans le cadre d’un co-dominion américano israélien. Il demeure de savoir si en obtenant de Donald Trump le retrait américain du précédent accord avec l’Iran, Israël avait préalablement l’accord de ces mêmes pays. C’est bien possible, la précédente politique du Président Obama dans la région considérée comme une trahison avait suscité une levée de boucliers dans le Golfe. Mais il est encore trop tôt pour dire si la politique américaine actuelle sera ou non poursuivie par une nouvelle administration issue des élections.
Les Palestiniens ont perdu leur pays, mais leurs dirigeants n’ont pas le courage de le leur avouer
Mais, normalisation avec Israël ou pas, le pacte du Quincy lie toujours les Etats Unis à l’Arabie Saoudite, on a du mal à penser que l’Amérique eût jamais envisagé un jour d’abandonner le Golfe arabo persique tellement cette région est vitale pour le contrôle du commerce pétrolier et gazier international. Et Israël à lui seul ne peut pas en assurer la garde. Il n’est donc pas sûr qu’en abandonnant la cause palestinienne à son triste sort, les Etats arabes aient gagné au change. Il y a certes longtemps, avec les accords de Camp David de 1979, puis la 1ère guerre du Golfe de 1991, que la solidarité arabe n’est plus qu’un slogan creux. Et depuis les accords d’Oslo, et avec le développement intensif des implantations juives dans les territoires occupés, la création d’un Etat palestinien viable n’est plus envisageable. L’autonomie concédée par les précédents accords s’est réduite comme une peau de chagrin, dans un espace militairement verrouillé de toutes parts, soumis à des problèmes insolubles d’habitat et de disponibilité des ressources. Quant à l’échec des discussions sur le statut définitif des territoires occupés qui devait clôturer les pourparlers de paix entre Ehud Barak et Yasser Arafat en 2000, sous l’égide du président Bill Clinton, il a mis définitivement fin à toute perspective de retour des réfugiés de 1948, une réalité qu’aucune direction palestinienne n’a voulu avouer, et celle-ci, moins que les autres.
Le peuple palestinien a perdu son pays, mais aucun de ses dirigeants n’a le courage de le lui avouer. Le combat continue avec les loqueteux de Gaza, soumis à un implacable blocus, et dont la seule perspective soit de recevoir encore plus de balles, de bombes et de missiles, et de souffrir encore plus de la soif et de la maladie.
En fin de compte le monde arabe dans sa totalité émerge du conflit avec Israël et de la guerre américaine contre le terrorisme, défait, divisé, hagard, et ruiné, sans perspectives autres que le texte sacré, ou la fitna (discorde), celle de Daech et des Frères Musulmans.
Le président Nasser avait un jour dit que dans la guerre contre Israël, si les juifs se battaient le dos à la mer, les Arabes se le faisaient le dos au néant. Sans doute prophétisait-il alors ce qui arrive depuis 30 ans dans le monde arabe. Sur un plan théologique, c’est l’accommodement avec la religion qui semble une nouvelle fois surprenant, dans des sociétés réputées être de plus en plus rigoristes, sans pour autant l’être dans la consommation.
En se battant entre eux, les musulmans sont devenus identiques aux anciens juifs d’Arabie
Cujus Regio, Ejus Religio; chaque peuple professe la religion de son prince, et si celui-ci choisit de mettre en exergue les commandements instaurant la paix, et il y en a, il peut en être ainsi, même si les femmes sont voilées dans des burqas et l’adultère lapidé en public. Et en dépit des injonctions du Coran, il faudrait admettre que des Musulmans s’allient contre d’autres Musulmans, considérés comme hérétiques, avec des juifs négateurs de la prophétie de Mohamed, qui haut les armes expulsent leurs frères et occupent leur territoire, avec le soutien d’alliés chrétiens. C’est exactement ce qui est reproché dans des versets polémiques du Coran, aux tribus juives de Médine, s’allier aux païens pour se battre entre elles en violation des commandements de la Thora. Les musulmans en se battant entre eux sont donc bien devenus identiques aux anciens juifs d’Arabie et sont donc passibles du même destin cruel. La boucle est ainsi bouclée.
Moshé Dayan, le général israélien vainqueur de la guerre des six jours, disait bien qu’une part de l’héritage de Médine et de la Mecque revenait aux Juifs. Il aurait ainsi peut être pu ajouter, du Coran, et au vu des développements actuels, du pétrole aussi.
On dit que Abdel Malek Ibn Marouane avait construit les mosquées de Jérusalem afin d’en faire un nouveau lieu de pèlerinage substitutif de la Kaaba de la Mecque, tombée aux mains du calife rival, Abdallah Ibn Zoubeir. À partir de l’an prochain, il n’y aurait donc rien de surprenant que les nouveaux musulmans en provenance du Golfe désertent la Mecque et accomplissent désormais le hajj à Jérusalem, en faisant le tour du Temple de Salomon, reconstruit sur les remblais des mosquées, détruites pour la circonstance par Daech, et en y fêtant l’Aid commémorant le sacrifice d’Isaac, en portant la kippa au lieu du keffieh.
Moise avait cru détruire le veau d’or. C’était compter sans les marchands du Temple. Ne voilà-t-il pas qu’il soit acquis par les Arabes ? Et dire qu’on a nommé cela la paix d’Abraham!
* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.
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