Etant issu d’un milieu modeste, Maradona fut sans doute aux yeux de ses fans proche d’être un Dieu pour avoir autant fait vibrer et rêver, et l’hommage colossal tardif auquel il eut droit à sa mort signifie que plus de vingt cinq ans après la fin de sa carrière de joueur, et après son échec monumental en tant qu’entraîneur de l’équipe d’Argentine, les gens se souviennent toujours de l’immensité du talent qui l’avait conduit sur la plus haute marche de la gloire du football.
Par Dr Mounir Hanablia *
L’Argentin Diego Maradona, l’idole mondiale du football, est mort, subitement, le 25 novembre 2020, probablement victime d’un arrêt cardiaque. En général la mort subite est provoquée par un trouble du rythme cardiaque grave consécutif à un infarctus du myocarde. L’usage très précoce du choc électrique externe, associé à une ventilation artificielle, au besoin par la technique du bouche-à-bouche, et au massage cardiaque externe, peut parfois récupérer le malade, au moins le temps de le transporter en urgence dans un service de réanimation.
Les circonstances d’une issue fatale
Dans les pays les plus avancés, les défibrillateurs, d’usage très simple, sont ainsi devenus accessibles au public pour sauver des vies humaines, particulièrement dans les lieux très fréquentés, tels que les gares, où le taux de morts subites révélé par différentes études s’avère particulièrement élevé.
Indépendamment de l’émotion soulevée par la mort du «pibe de oro» parmi ses compatriotes, les circonstances l’ayant entourée ont soulevé quelques polémiques. On a estimé que le délai d’arrivée simultanée des ambulances sur les lieux avait été trop long. Cela n’aurait d’ailleurs rien d’étonnant. En général rares sont les ambulances immédiatement disponibles et il n’est pas toujours évident qu’elles se situent près du lieu de l’appel. Comme ces ambulances appartiennent à des sociétés privées, comme leur activité obéit aux normes de la concurrence, elles ne refusent jamais l’appel même si elles se situent à plusieurs dizaines de kilomètres, et elles ne respectent pratiquement jamais les délais annoncés pour leur arrivée. Et rare sont les personnes suffisamment averties pour imposer d’emblée un délai maximum. Dans le cas de Maradona, ceci pourrait expliquer l’arrivée simultanée de plusieurs véhicules. Et il n’est même pas sûr que l’arrivée d’une seule ambulance dans les trois minutes eût changé le cours des choses.
En général le taux de succès d’une tentative de ressuscitation, même quand elle est bien conduite, ne dépasse pas les 10%. Or Maradona souffrait de plusieurs tares, et la corticothérapie, à laquelle il a été soumis pendant des années, a entraîné chez lui des modifications morpho-biologiques telles que l’issue en était devenue très probable. Et l’addiction n’a pas arrangé certes les choses.
Des artistes et des bouchers
Ceci amène évidemment à parler des contraintes médicales auxquelles les sportifs de haut niveau se soumettent pour pouvoir être dignes des attentes que leurs employeurs, leurs sponsors, ainsi que le public, placent en eux. Et rares sont les sports qui échappent au phénomène du dopage. Et si Maradona a eu recours aux corticoïdes, c’est d’abord parce que ses adversaires, tous les dimanches, ne lui faisaient pas de cadeaux, c’est le moins que l’on puisse dire, et parce que ni les règles du football, un sport qualifié de virile, ni les arbitres, ne protègent vraiment sur le terrain les artistes, des bouchers.
Or le prodige argentin avait eu quand il évoluait à Barcelone la jambe fracturée par un certain Goikoetxea, on avait cru sa carrière brisée, et trois semaines avant sa mort il avait subi une intervention de neurochirurgie dont on ignore la nature et si elle était ou non liée au sport qu’il avait pratiqué.
On savait que le football américain était un sport brutal et dangereux. On commence à peine à découvrir combien les séquelles qui en résultent peuvent être lourdes et invalidantes, et surtout combien cette organisation de l’omerta, du silence, peut aussi être, dans ce sport, contraignante et efficace.
Aux Etats Unis la NFL a ainsi tenté de dissuader d’anciens joueurs de révéler tous les problèmes de santé auxquels ils avaient été exposés du fait de leurs activités. Dans le sport roi, rien de tel n’existe encore. Le public continue de penser que le seul risque auxquels ses vedettes soient exposées sont les fractures et les complications musculo- tendineuses, qu’on a appris finalement à considérer comme faisant partie du jeu.
Le cas de l’ancien joueur de la Fiorentina, Borgonovo, cloué sur une chaise roulante après la fin de sa carrière, semble bien prouver au moins dans certains cas que les dégâts neurologiques du football existent, en particulier du fait des multiples chocs sur la tête, et qu’ils peuvent au final faire autant de dégâts que dans la boxe. Mais les études sur la question demeureront sans doute rares. Il ne viendrait en effet à l’idée d’aucun chercheur d’aller réaliser une expertise médicale poussée sur l’état de santé actuel de Lionel Messi ou de Cristiano Ronaldo pour peu qu’ils acceptent de s’y prêter dans la perspective de le comparer à ce qu’il en adviendrait dans 30 ans. Il y aurait évidemment autant les clubs que les fabricants d’équipements sportifs pour s’y opposer et il serait douteux que les fans le comprennent. Mais il serait surprenant que ces séquelles neurologiques ne s’accompagnent pas parallèlement de répercussions psychiques même s’il est difficile d’en établir la relation de cause à effet.
Au-delà du succès médiatisé
Dans les milieux du succès médiatisé, de la jet-set, et particulièrement dans le cinéma et le showbiz, des affaires ont défrayé la chronique judiciaire d’agressions contre des épouses ou des petites amies, et même d’homicides. L’affaire O. J. Simpson en constituera toujours l’exemple le plus typique. Mais avant même que la star de l’Argentine ait été enterrée, des articles publiés dans la presse ont rappelé combien il avait pu être brutal dans sa vie privée, parfois en public, avec ses compagnes, ainsi que l’étendue de la complaisance dont il avait pu bénéficier malgré cela dans le public et la presse. Maradona, malgré ses œuvres philanthropiques, fut donc loin d’être un saint, il faut d’autant plus le rappeler qu’un véritable hommage à la limite du culte lui a été rendu à sa mort autant par le peuple argentin que par celui de Naples, en violation de toutes les règles de prophylaxie contre la pandémie de la Covid-19. Il est même très probable que la cité parthénopéenne ainsi que Buenos Aires connaîtront une flambée épidémique, qui endeuillera de nombreuses familles.
Etant issu d’un milieu modeste, Maradona fut donc sans doute aux yeux de ses fans proche d’être un Dieu pour avoir autant fait vibrer et rêver, et cet hommage colossal tardif signifie que plus de vingt cinq ans après la fin de sa carrière de joueur, et après son échec monumental en tant qu’entraîneur de l’équipe d’Argentine, les gens se souviennent toujours de l’immensité du talent qui l’avait conduit sur la plus haute marche de la gloire du football. Il n’empêche. Sa mort a tout autant révélé combien il avait été fragile dans sa vie d’être humain, et combien il avait souffert, risqué, et sacrifié, pour devenir cette locomotive du foot business dont seule l’étendue des bénéfices engrangés comptera toujours. Et en fin de compte, même si son souvenir demeurera immortel, c’est ce bien le business qui aura eu aussi prématurément raison de son corps.
* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.
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