Si aujourd’hui les Etats arabes sont dans l’obligation de passer sous les fourches caudines de l’administration américaine, en établissant des relations avec l’Etat d’Israël, cela n’aura pas été parce ce dernier aura changé de politique, que son armée sera devenue moins inhumaine, mais parce que tous unis, ces Etats minés de surcroît par l’islamisme et le terrorisme, ne pèsent d’aucun poids sur la scène internationale. Et on ne voit pas la Tunisie seule faire exception à ce qui est devenu la règle, pour les beaux yeux de messieurs Makhlouf, Affès, ou Taboubi, ou de tous ceux qui n’ont de cesse d’exiger des lois criminalisant la normalisation, en pensant aux prochaines élections.
Par Dr Mounir Hanablia *
Un avion civil israélien s’est posé au Maroc au terme du vol inaugural de la ligne reliant Tel Aviv à Casablanca. En effet, Israël et le Royaume Chérifien viennent d’établir des relations diplomatiques officielles mettant un terme à celles qui furent officieuses mais bien réelles durant plus de 50 ans.
Mais il ne s’agit pas ici de se mêler des affaires d’un pays frère qui a estimé de son intérêt de franchir le pas ainsi que l’avaient fait d’autres pays arabes, à commencer l’Egypte en 1977, ou encore l’OLP de Yasser Arafat, en 1993.
Quant à la Turquie, pour autant qu’elle appartienne à la «oumma» de l’islam de plein droit, elle n’en fut pas moins le premier Etat musulman à reconnaître officiellement l’Etat sioniste dès sa création, et le président Erdogan n’a pas jugé nécessaire d’abroger les relations entre les deux pays malgré ses déclarations fracassantes en faveur du peuple palestinien lors des agressions israéliennes contre Gaza.
Le Pacte d’Abraham fait son chemin
Mais là n’est pas la question. Ce dont il s’agit, c’est le survol éventuel de l’espace aérien tunisien par l’appareil israélien et plus spécifiquement l’autorisation qui lui a ou aurait été accordée à le faire. Certains ici y ont vu les prémices d’une reconnaissance diplomatique faisant suite au processus engagé par l’Etat hébreu avec les Etats du Golfe, sous égide américaine, qualifié de Pacte d’Abraham. Selon le ‘‘New York Times’’, la Tunisie serait l’un des prochains pays arabes à le rejoindre.
Des associations tunisiennes ont donc condamné une telle éventualité qui cautionnerait la poursuite de la politique colonialiste de l’Etat sioniste contre les Palestiniens en ignorant les droits qui leur ont été reconnus par la communauté internationale, en particulier celui d’établir leur propre Etat dans les territoires occupés après Juin 1967.
Parmi les partis politiques, celui qui a fait de la cause palestinienne et du refus de la normalisation son cheval de bataille est évidemment l’insurmontable coalition Al-Karama, pour la bonne raison que sa défense demeure populaire dans l’imaginaire collectif du peuple. Quant au président Kaies Saied, malgré ses opinions bien connues condamnant toute normalisation en tant qu’acte de traîtrise, il est douteux qu’il puisse s’opposer à la volonté du président Trump qui veut peser de tout son poids en créant un fait accompli diplomatique en faveur d’Israël avant l’arrivée aux affaires de la nouvelle administration démocrate.
Israël et la Tunisie : une si longue histoire
La Tunisie connaît tellement de problèmes, économiques et sécuritaires, et est à ce point dépendante du FMI et de la Banque Mondiale que le moindre allègement de sa dette ne pourrait être que le bienvenu. Historiquement, les sionistes étaient déjà bien présents en Tunisie du temps du protectorat depuis les années 20. Ils avaient collecté de l’argent pour le Yishouv, y compris, comble d’ironie, auprès d’Arabes peu au fait de ce qui se tramait en Palestine. Zeev Jabotinski, le futur fondateur de l’Irgoun, était venu et avait été empêché de faire un discours à Tunis, sans doute par des nationalistes tunisiens.
C’est pourtant Bourguiba qui en 1965 a été le premier chef d’Etat arabe à réclamer publiquement à Jéricho une solution négociée au conflit israélo-arabe, en appelant les Palestiniens à faire preuve de sagesse et de réalisme, compte tenu du rapport des forces très défavorable, et à accepter le fait israélien. Il avait été cloué au pilori. Deux années plus tard, avec la guerre des Six jours, les Palestiniens avaient tout perdu. Pourtant en 1982, après l’invasion israélienne du Liban, il avait accueilli les combattants et la direction de l’OLP. Cela nous avait valu des représailles israéliennes en 1985 avec le bombardement de Hammam-Chatt, suite auquel un Bourguiba furieux avait exigé de l’ambassadeur américain dans des termes énergiques que son pays n’oppose pas son veto à une condamnation d’Israël par le Conseil de Sécurité.
Plus tard, sous Ben Ali il y avait eu l’assassinat par un commando israélien d’Abu Jihad dont la villa se situait à 100 mètres du palais de Carthage. Puis il y eut celui d’Abou Iyad. Ceci n’avait pas empêché Ben Ali d’établir avec Israël des relations au niveau des chargés d’affaires, et Sylvain Shalom, le ministre israélien des Affaires étrangères d’origine tunisienne, venu dans un avion arborant les couleurs de son pays, avait participé à un congrès sur les technologies de l’information, en 2005.
Les Israéliens avaient continué à venir en Tunisie, en particulier pour le pèlerinage de la Ghriba, mais avec des passeports d’autres pays. Il y avait certes eu aussi en 2002 l’attentat de la Ghriba perpétré par des jihadistes tunisiens dont les victimes furent essentiellement allemandes. Et il y eut également, après la chute de Ben Ali, un assassinat perpétré par le Mossad à Sfax contre un activiste tunisien du Hamas, Mohamed Zouari, suivi d’un reportage de la télévision israélienne sur les lieux du crime, en plein jour, sans susciter aucune réaction de la part des autorités tunisiennes.
Les Etats arabes sous les fourches caudines des Etats-Unis
L’important aujourd’hui, 53 ans après l’occupation des territoires palestiniens, c’est que, en dépit des résolutions internationales, demeurées lettre morte, il n’y a plus rien à négocier, les terres ayant été soumises à une colonisation juive aussi extensive que intensive, avec la bénédiction des Américains. La solidarité arabe pour peu qu’elle eût vraiment existé, en 1973, a volé en éclats depuis la guerre du Golfe et l’occupation du Koweït en 1991. L’Irak a été occupé en 2003, la Syrie détruite, le Yémen n’en finit pas de mourir, la Libye est divisée et occupée, et le Soudan partagé. L’Egypte en butte au terrorisme est menacée de disette depuis la construction du grand barrage éthiopien sur le Nil Bleu. Quant au Liban, ruiné, il n’a plus d’autre choix que d’obtempérer lui aussi aux désirs de Washington. Il est subsidiairement douteux qu’un refus de reconnaître les réalités serve les Tunisiens; tout autant que les Palestiniens d’ailleurs.
Il y a certes l’Algérie, qui se révèle ainsi être le grand perdant dans l’affaire du Sahara, mais si la liaison établie entre le Maroc et l’Etat juif traverse le territoire tunisien, il paraît raisonnable de penser que notre voisin ait tout autant donné son accord au survol de son territoire et pour les mêmes raisons. Si aujourd’hui les Etats arabes sont dans l’obligation de passer sous les fourches caudines de l’administration américaine, en établissant des relations avec l’Etat d’Israël, cela n’aura pas été parce ce dernier aura changé de politique, que son armée sera devenue moins inhumaine, mais parce que tous unis, ces Etats minés de surcroît par l’islamisme et le terrorisme, ne pèsent d’aucun poids sur la scène internationale. Et on ne voit pas la Tunisie seule faire exception à ce qui est devenu la règle, pour les beaux yeux de messieurs Makhlouf, Affès, ou Taboubi, ou de tous ceux qui n’ont de cesse d’exiger des lois criminalisant la normalisation, en pensant aux prochaines élections.
Quant aux Palestiniens, nous ne sommes pas bien placés pour les conseiller sur la meilleure manière de résoudre leurs problèmes. Étant intelligents, éduqués, et instruits, ils trouveront la voie la plus à même à les conduire à la reconnaissance de leurs droits politiques dans leur propre patrie. Des droits qui demeureront, quoiqu’il arrive, inaliénables.
* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.
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