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L’Etat «in absentia» : deus ex machina, derviches, faux culs, et culot du diable

Ghannouchi, Al-Jaziri, Makhlouf, Affes, Karoui et Mechichi.

Si, comme le préconise cheikh Saïd El-Jaziri, on veut marier les fillettes à 14 ans pour en faire des quatrièmes épouses, c’est avant tout pour les empêcher, par des grossesses précoces qui nuiront à leur santé, de faire des études, d’aller à l’université, et d’être en mesure un jour d’assumer leurs libertés, économique, mais aussi politique, qui empêcheront les partis islamistes de disposer de majorités confortables et d’imposer leurs normes sociales.

Par Mounir Hanablia *

En Espagne du temps de l’Inquisition, dont la mission principale était de traquer les faux convertis chrétiens (juifs et musulmans qui continuaient à se conformer à leurs rites religieux et à leurs coutumes en secret) et de susciter chez les «vrais» chrétiens la délation par la confession, un homme fut condamné par l’inquisiteur pour s’être accusé d’avoir juré devant témoins «me vaille le cul de Dieu», ainsi que le faisaient les gens de Valence.

Il semble que le cheikh Said Al-Jaziri, le patron de la Radio du Saint Coran, l’intrépide adversaire et tourmenteur de la Haute autorité indépendance de la communication audiovisuelle (Haica), ne soit tout compte fait pas originaire d’Algesiras, ainsi que le laisserait supposer son nom, mais plutôt de la ville chère au Cid Campeador, si on s’en réfère à ses dernières déclarations, sur les ondes de sa radio, toujours en situation irrégulière, attribuant au Grand Architecte la fabrication de la machine sexuelle dite femme, la «sex machine» du chanteur James Brown, programmée pour s’accoupler, et procréer, entre 14 et 40 ans.

Des opinions comparables à celles des talibans afghans

Le grand cheikh, non dénué de provisions, pour couper court à toute contestation ultérieure de ses propos, grâce à l’onction du rationnel, a affirmé que nul ne pourrait prétendre connaître jamais de la machine plus que son fabricant. Ainsi le cheikh Al-Jaziri, qui critiquait il n’ y a pas si longtemps le parti Ennahdha lors de sa campagne électorale, a tourné casaque en signifiant publiquement sur les ondes d’une radio illégale, toujours en service et bravant l’autorité de l’Etat, que la femme n’était qu’un organe sexuel à durée déterminée, qu’il ne convenait pas d’éduquer ou instruire, et il aurait pu ajouter, en dehors des écoles dont l’exemple le plus achevé demeure sans aucun doute celle dite coranique de Regueb. Et si donc cette machine atteint sa date de péremption, à 40 ans, ainsi soit il; telle est la loi du Seigneur, son constructeur.

Que le très saint cheikh eût estimé implicitement qu’une fillette âgée, et qui ne fréquenterait pas l’école publique (ou privée), n’en saurait jamais plus que ce que lui-même lui dirait sur les ondes de sa radio, cela serait conforme à sa sainte vision de l’ordre normal des choses. Qu’il eût suggéré qu’il fût normal pour un homme de prendre une épouse plus jeune après 25 ans de bons et loyaux services ne détonnerait pas, cela fait bien partie de l’ensemble imaginaire qu’un mathématicien prétend perpétuer, celui d’un monde aux règles immuables issues de l’antiquité où le rôle dévolu à la femme, outre de donner du plaisir, serait de perpétuer la tradition.

Evidemment tout cela n’est pas très compatible avec la doctrine des droits de l’homme, celle de l’enfant, ou les conventions internationales dont l’Etat tunisien est le signataire. Mais il y a longtemps que ce dernier ne se montre plus aussi soucieux de les faire respecter, à commencer par le président Kais Saied, Deus ex machina attardé, pourtant juriste constitutionnel de formation. Ce qui survient régulièrement au Kram, à deux pas du palais présidentiel, dont le maire est l’instigateur, se passe à cet effet de tout commentaire. Et en effet depuis que la mer Méditerranée est devenue le vaste linceul bleu pour ceux nombreux parmi les jeunes considérés comme des terroristes par le chef du gouvernement, Hichem Mechichi, qui n’avaient plus eu d’autre ambition dans la vie que de fuir le magnifique pays, devenu terrible depuis qu’il a été revu et corrigé par messieurs Caïd Essebsi, Ghannouchi, Al- Jaziri, Makhlouf, et Karoui, la liberté d’expression et la démocratie sont devenues l’alibi commode dont se prévalent publiquement les tenants d’opinions comparables à celles des talibans afghans ou pakistanais… malgré les lois anti terroristes en vigueur.

Les grands scandales se suivent et se terminent aux oubliettes

Quant à la justice, les récents développements du conflit opposant un ex-procureur de la République au président de la Cour provisoire de constitutionnalité des lois, interpellent, une fois encore, relativement à son indépendance. Pourrait-il en être autrement alors que, depuis bientôt 7 ans, l’Etat demeure dans l’inconstitutionnalité en l’absence de Cour Constitutionnelle, et uniquement du fait de la mauvaise volonté étalée par des partis politiques, Ennahdha en tête?

Les grands scandales se suivent et se terminent en règle aux oubliettes. L’impunité instaurée par M. Caid Essebsi est de rigueur dans les affaires. Des produits toxiques importés d’Italie sont déversés dans les ports tunisiens, au risque de provoquer des catastrophes comparables à celle de Beyrouth. Les céréales moisissent dans les silos alors que l’Etat continue d’en importer. Même une affaire ayant entraîné mort d’homme par négligence, comme celle de l’hôpital de Jendouba, n’a abouti qu’à l’arrestation purement formelle de deux techniciens de maintenance de l’hôpital qui n’avaient rien à voir avec celle des ascenseurs, et qui ont été finalement relâchés.

Quant à toutes ces morts, en violation de l’obligation d’assistance aux personnes en danger, victimes des règlements institués par les sociétés de médecine libérale, qui ont pris le pas sur celles de la république, elles n’ont que rarement suscité d’intérêt particulier.

Et alors que Boris Johnson instaure le confinement à Londres et le sud-est anglais pour la durée des fêtes de fin d’année après la découverte de nouvelles souche de la Covid-19, les normes de confinement sont moins que jamais appliquées et respectées; les restaurants et les hôtels tunisiens ouvriront au réveillon comme si la pandémie n’était plus qu’un souvenir.

Dans le domaine des normes sociales et de l’ordre moral, c’est l’impunité établie par M. Ghannouchi qui a cours. Les blogueurs trop audacieux n’échappent pas à son courroux, mais les tribuns qui, comme le docteur en médecine Mohamed Affes, l’auteur du Sermon Séditieux de l’ARP, qui a avoué appartenir à un «autre Etat» (islamique ?), ou bien le Docteur (en mathématiques ?) Said El-Jaziri, qui tous deux prétendent instaurer un apartheid sexuel, n’encourent pas les dures rigueurs des lois, pour peu qu’on veuille bien les ignorer, comme celles ayant trait à la polygamie.

Le Tunisiennes éduquées ne renonceront pas à leurs droits

Les islamistes, après le sit-in devant le siège de l’Association internationale des ulémas musulmans, d’obédience Frères musulmans, organisé par le Parti destourien libre (PDL) de sa présidente Abir Moussi, ont réalisé qu’il y avait encore deux obstacles majeurs à leur mainmise totale sur la société : la volonté des femmes tunisiennes éduquées de ne pas renoncer aux droits que leur avait reconnus l’Etat national de Bourguiba à travers le Code du statut personnel; et l’UGTT, malgré tous ses défauts, qui a conservé une tradition laïque moderniste dans le choix de ses dirigeants.

Les récentes campagnes contre les femmes qui font la distinction entre les «bonnes» et les «mauvaises», et appellent à se conformer à un ordre qualifié de divin, visent à les intimider et à en discréditer les figures modernistes les plus agressives, sinon extrémistes, comme Maya Ksouri. Si on veut marier les fillettes à 14 ans pour en faire des quatrièmes épouses, c’est avant tout, il ne faut pas l’oublier, pour les empêcher par des grossesses précoces qui nuiront à leur santé, de faire des études, d’aller à l’université, et d’être en mesure un jour d’assumer leurs libertés, économique, mais aussi politique, qui empêcheront les partis islamistes de disposer de majorités confortables et d’imposer leurs normes sociales.

D’autre part, il apparaît que le privilège d’avoir plusieurs épouses ne puisse être qu’un luxe s’insérant parfaitement dans la fracture sociale née du libéralisme et de la mondialisation. Une fracture sociale que la privatisation de l’enseignement n’a d’ailleurs fait qu’aggraver au point de faire de l’éducation un autre privilège dont seuls les enfants des familles aisées pourront bénéficier et qui perpétuera leur accès privilégié aux ressources disponibles.

Que MM Ghannouchi, El-Jaziri, Makhlouf, ou Affes, qui sont les plus virulents fossoyeurs de l’Etat national instauré par feu le président Habib Bourguiba, n’aient pu devenir ce qu’ils sont actuellement que grâce à l’enseignement public gratuit instauré par ce dernier, ne relèvera certes que de l’anecdote. Malgré des discours lénifiants utilisant largement les ressources du facebook et la rhétorique religieuse sur l’égalité, le projet obscurantiste des faux prophètes de l’islam s’insère en fait parfaitement dans la mondialisation, en imposant des normes sociales néolibérales instaurant des privilèges héréditaires, en liquidant les syndicats, en aggravant les inégalités, en concentrant les richesses entre les mains de quelques uns, à l’instar de M. Nabil Karoui, en excluant les pans vulnérables de la population, pauvres, femmes et enfants confondus, mères célibataires, des droits à l’éducation, à la santé, et en hypothéquant l’avenir grâce à la dette contractée sur les marchés financiers.

Et pourquoi ne pas le dire, l’immigration clandestine et le terrorisme qui ont pris leur essor depuis ce qu’on a qualifié de «printemps arabe», ciblent et déstabilisent l’Europe. Ils concourent à sa désunion, ainsi que l’a illustré le Brexit, et à la disparition de la zone Euro.

À l’heure où l’administration Biden prend les rênes du pouvoir, dans la continuité de celle d’Obama, il est d’autant plus nécessaire de barrer la route à tous ceux qui, pour sauvegarder leurs intérêts égoïstes ou partisans, ont prétendu faire de notre pays un pion sacrifié dans le grand jeu de l’affrontement entre les blocs. Et ceci ne pourra se faire qu’en retournant dans la mesure du possible aux valeurs fondatrices de l’Etat national : accès de tous, filles et garçons, à l’éducation et à la santé; promotion sociale sur le mérite; égalité des chances; et respect de la souveraineté nationale et des lois internationales.

* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.

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