Si elle a provoqué la risée des internautes dans les réseaux sociaux, la polémique autour de la «double toucher» (sic), suscitée par le député de la coalition Al-Karama, Didhal Saoudi, part d’une louable intention : rentabiliser, à la fois, les aéroports régionaux en Tunisie et certaines lignes de la compagnie Tunisair. Il existe pour cela des formules comme les repliements et les triangulations, mais elle nécessitent des études préalables, une réorganisation du système de réservation et toute une logistique adaptée et, surtout, certifiée par les organismes de régulation internationaux. Et ce n’est pas un jeu d’enfant…
Par Abdelaziz Hamzaoui *
En aviation civile commerciale, les compagnies aériennes composent avec un certain nombre de règles, appelées dans le jargon du domaine «libertés». Il s’agit d’un ensemble de règles octroyées par les pays à des compagnies aériennes.
Ces libertés se négocient entre les pays. L’Open Sky est un exemple d’accord en cours de discussion entre l’Union européenne et la Tunisie. Il permettra aux compagnies aériennes européennes de desservir la Tunisie sans quota (dérégulation), mais aussi aux compagnies aériennes tunisiennes d’opérer sur le marché européen. Actuellement, le nombre de vols est limité à un certain seuil pour chaque pays destination. Le dernier accord bilatéral signé en 2014 lie la Tunisie et la Chine à raison de 21 vols par semaine et ne pouvant desservir que 3 villes chinoises.
Les compagnies aériennes sont des porte-drapeaux de leurs pays respectifs. Air-France, Lufthansa, American Airlines… mais restent tout de même des entreprises dont le but est lucratif avant tout.
Rentabiliser les lignes pour amortir les dépenses
Pour amortir les investissements (achat d’avions, système d’information, infrastructure…) et les coûts opérationnels (salaires, carburant, taxes aéroportuaires…), ces entreprises doivent vendre le maximum de billets d’avion, améliorer le taux de remplissage des avions et maximiser les temps de vols (un appareil cloué au sol représente une perte sèche). L’exemple le plus connu de compagnie qui tire ce concept au bout est la low-cost irlandaise Ryanair. Le temps de clouage au sol entre 2 vols est de 40 minutes maximum. Les avions de cette compagnie opèrent jusqu’ à 12 vols par jour et parfois plus.
Et Tunisair dans tout ça. Si la compagnie publique tunisienne existe aujourd’hui c’est grâce au protectionnisme qui limite l’accès au marché de la desserte de la destination Tunisie. Ceci implique une concurrence limitée et une qualité de service inférieure à ce qui est attendu.
Tunisair est devant plusieurs défis : restructuration profonde, amélioration des services, consolidation de l’entreprise pour faire face à l’Open Sky et jouer son rôle de pavillon national.
Les lignes intérieures sont des lignes opérées à perte (sauf pour Tunis-Djerba en certaines périodes). Afin de les rentabiliser, une idée est d’inclure ces liaisons dans des trajets internationaux.
Ce procédé est utilisé par les compagnies aériennes à travers le monde et s’appelle «triangulation». Pour exemple, Air France opère le vol Paris-Conakry (Guinée) avec un «repliement» à Nouakchott (Mauritanie). Autre exemple, Turkish Airlines opère le vol Istanbul-Lusaka (Zambie) avec un repliement à Dar Essalam (Tanzanie).
Tunisair elle-même utilise ce procédé sur ses liaisons vers l’Afrique sub-saharienne.
L’idée maintenant est de maximiser le remplissage des passagers sur les vols, desservir les villes régionales tunisiennes depuis Tunis et desservir ces mêmes villes régionales depuis l’étranger.
La viabilité du schéma de triangulation
Ainsi si Tunisair souhaite opérer les vols suivants : Tunis-Toulouse, Toulouse-Tunis, Toulouse-Gafsa, Gafsa-Toulouse, Tunis-Gafsa et Gafsa-Tunis; dans le schéma classique de 3 vols aller/3 vols retour en point à point… le risque que le vol Tunis-Gafsa soit quasi vide est très grand. Donc la desserte est peu rentable et sera non viable, surtout que Tunisair exploitera, dans ce cas, 2 vols à destination de la France.
Dans un schéma de triangulation, un appareil qui quitte Tunis pour Gafsa puis Toulouse, ensuite qui fait sa rotation de Toulouse à Gafsa puis Tunis aura un taux de remplissage supérieur et permettra au passager d’acheter soit un billet Tunis-Gafsa, ou bien Tunis-Toulouse ou encore Gafsa-Toulouse. Un système de réservation intelligent saura gérer facilement le remplissage de l’appareil sur tous ces segments. Un billet acheté de Tunis à Gafsa signifie qu’il y aura une place libre de Gafsa à Toulouse et ainsi de suite… Tout cela sera complètement transparent pour le client, n’enfreint pas les règles et consommera un seul vol vers la France.
Le choix des triangulations à effectuer devra aussi se baser sur des études des destinations de la diaspora tunisienne en Europe, la destination des touristes…
La relative petite taille de la Tunisie fait en sorte qu’un repliement sur une ville régionale ne rallongera pas excessivement le temps de trajet total.
Pour permettre la réalisation d’un tel scénario, des contraintes logistiques s’imposent. Le système de réservation doit pouvoir supporter la gestion précitée. Ensuite, les aéroports régionaux doivent être certifiés par les organismes de régulation européens. Les équipes de maintenance sur les appareils sélectionnés doivent être disponibles sur ces aéroports.
* Ingénieur tunisien installé en France.
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