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Où en est le projet de l’inscription de Djerba sur la Liste du patrimoine mondial?

La proposition d’inscription de l’île de Djerba sur la Liste du patrimoine mondial est aujourd’hui en phase finale de révision. Le Centre du patrimoine mondial, après examen du dossier lui ayant été soumis au mois de janvier de l’année dernière, a émis quelques remarques relatives à la complétude du document final soumis et a recommandé une révision du document en vue de quelques réajustements à apporter.

Par Naceur Bouabid *

Devant être entamés aussitôt, les travaux de réajustement recommandés, essentiellement de terrain, de réunions incessantes, de coordination entre Tunis et Djerba, n’ont pas pu avoir lieu à cause de la pandémie et des mesures restrictives drastiques prises conséquemment : confinement général décrété, couvre-feu instauré et interdiction de déplacements imposée. De telles mesures n’ont eu pour effet que d’entraver le bon déroulement de la mission et son achèvement dans les délais initialement escomptés, à savoir au mois de janvier 2021.

Les raisons d’un report du dépôt

Prévus pour débuter au mois de mars de l’année dernière, les travaux n’ont repris qu’au tout début de l’été, pour s’étaler sur les quelques mois de relative atténuation des effets de la pandémie, avant d’être de nouveau perturbés suite à la résurgence de la crise sanitaire.

Par ailleurs, l’activité intitulée «Sauvegarde du patrimoine urbain au Maghreb», décidée par le Bureau de l’Unesco pour le Maghreb, et ayant dû être conduite en pareille période, a dû être reportée, pandémie prévalant, à 2021. Cette activité s’inscrit dans le cadre du plaidoyer en faveur de la reconnaissance du rôle de la culture dans le développement urbain durable; elle consiste en une série de projets-pilotes, dont la mise en œuvre devra s’étaler sur six à huit mois, avec pour objectif de soutenir l’intégration de la problématique de la sauvegarde du patrimoine dans les stratégies locales de développement.

Chaque projet-pilote, conduit dans chacun des pays du Maghreb, devrait bénéficier à un ensemble urbain abritant un site du patrimoine mondial ou un site inclus dans la Liste indicative des trois pays concernés. Pour la Tunisie, l’Institut national du patrimoine (INP), de concert avec le Bureau de l’Unesco pour le Maghreb, a porté son choix sur l’île de Djerba, incluse dans la Liste indicative de la Tunisie depuis 2012 et dont une partie du patrimoine constitue le bien proposé pour inscription sur la Liste du patrimoine mondial.

Dès lors, à quelques jours de la date fatidique initialement décidée pour le dépôt du dossier, l’heure était à l’autoévaluation des réajustements apportés et du degré de satisfaction des conditions requises par le Centre du patrimoine mondial en rapport avec la complétude du dossier. Après concertation, toutes les parties, Institut national du patrimoine (INP), Agence de mise en valeur et de protection du patrimoine culturel (AMVPPC), Commissions technique et scientifique, ont jugé plus opportun d’éviter d’agir dans la précipitation et de reporter le dépôt à la session de février 2022. Il était question d’accorder davantage de temps aux différents intervenants dans la mission d’élaboration de la proposition d’inscription, experts, coordinateur scientifique et consultant, pour leur permettre de s’acquitter convenablement de la besogne, lourde, exhaustive et minutieuse.

Par ailleurs, en optant pour le report du dépôt, il a été tenu compte du parti à gagner, tant des activités inscrites dans le cadre du projet pilote à mener incessamment par le Bureau de l’Unesco pour le Maghreb et l’INP à Djerba, que de la présence d’au moins deux experts internationaux chevronnés qui animeront les travaux des différents ateliers prévus.

Mieux vaut tard que jamais

L’élaboration d’une proposition d’un bien culturel ou naturel sur la Liste du patrimoine matériel mondial est un processus de longue haleine. D’après certains experts en parfaite connaissance de cause, les dossiers d’inscription les plus réussis ont pris plusieurs années pour être finalement fin prêts et déposés auprès du Centre du patrimoine mondial.

Le processus d’élaboration de la proposition d’inscription de l’île de Djerba n’a pas dérogé à cette règle, ayant été parsemé de multiples fâcheux contretemps qui ont considérablement affecté son aboutissement dans des délais plus courts. La situation politique dans notre pays, depuis 2011 n’a pas été de tout repos, marquée par une instabilité gouvernementale, devenue désormais règle. À la tête du ministère des Affaires culturelles, par exemple, dont relève exclusivement le sort de toute candidature nationale d’inscription sur la Liste du patrimoine mondial, dix ministres se sont succédé depuis.

Face à cette instabilité pénalisante, toute tentative de mise en œuvre effective du processus d’élaboration du dossier relevait de l’impossible, et sans l’acharnement de la société civile locale, dont principalement l’Association pour la sauvegarde de l’Île de Djerba (Assidje), la candidature de l’île de Djerba, la seule en lice des quatorze autres biens culturels inscrits sur la liste indicative, aurait connu le même sort dans lequel ont fini par sombrer ces biens inscrits, et qui ne sont pas des moindres : le Permien marin de Jebel Tebaga (24/02/2016), Chott El Jerid (28/05/2008), les frontières de l’Empire romain : Limes du Sud tunisien (17/02/2012), l’habitat troglodytique et le monde des ksours du sud tunisien (10/01/2020), l’île de Djerba (17/02/2012), la Table de Jugurtha à Kalaat-Senen (29/09/2017), le complexe hydraulique romain de Zaghouan-Carthage (17/02/2012), le Stratotype de la limite Crétacé-Tertiaire (limite K-T) (24/02/2016), les carrières antiques de marbre numidique de Chimtou (17/02/2012), les Mausolées Royaux de Numidie, de la Maurétanie et les monuments funéraires pré-islamiques (17/01/2012), la médina de Sfax (17/02/2012), l’oasis de Gabès (28/05/2008), le Parc national d’El Feija (28/05/2008), le Parc national de Bouhedma (28/05/2008).

Force est, donc, de signaler que l’entame effective du processus d’élaboration de la proposition d’inscription n’a pris effet qu’en 2018. Certains facteurs y ont largement contribué : la relative stabilité à la tête du ministère des Affaires culturelles avec l’avènement de Mohamed Zinelabidine (août 2016, février 2020), la nomination de Ghazi Ghraïri en tant qu’ambassadeur permanent de la Tunisie auprès de l’Unesco (2016), et la nomination de Faouzi Mahfoudh à la tête de l’INP (mars 2017).

Avec la création par décret ministériel de la commission scientifique chargée de l’élaboration du dossier présidée par Professeur Mongi Bourgou en qualité de coordinateur national (janvier 2018), avec la désignation d’un expert consultant en la personne de Mustapha Khannoussi, avec la nomination toute récente de Amel Zribi Hachana à la tête de l’AMVPPC, et la conclusion de deux conventions de partenariat entre l’Assidje, le ministère et l’INP, l’engagement de l’Etat n’est plus heureusement que dires et promesses farfelus, toujours sans lendemain. L’implication de ses différentes structures concernées, en effet, est désormais chose acquise, et la volonté de porter le projet à terme est communément et manifestement avouée. Ne vaut-il pas mieux tard que jamais…

* Ancien président de l’Assidje.

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