La situation hydrique en Tunisie est de plus en plus difficile. L’agriculture hors-sol permet d’économiser jusqu’à 90% d’eau. C’est une excellente opportunité pour une autosuffisance en légumes et fruits. Les autorités doivent encourager ce secteur «high tech» et très prometteur.
Par Ridha Bergaoui *
La Tunisie est un pays pauvre en eau et l’agriculture peine à produire suffisamment de produits alimentaires. Le pays doit importer de plus en plus de céréales, d’huiles végétales et ces derniers temps des légumes comme les tomates, piments et oignons. Les barrages sont à moitié vides alors que la saison des pluies est presque achevée. Des difficultés sont en vue pour satisfaire à la fois aux besoins de l’eau potable et l’irrigation des cultures. On s’oriente vers la limitation et même l’interdiction de la mise en place des cultures annuelles d’été. Pastèques, melons, tomates et piments risquent de manquer cette année.
L’agriculture hors-sol est connue pour l’économie d’eau qu’elle occasionne, une économie de 70 à 90% comparée à une culture en plein champ. Elle représente une réponse intéressante au déficit hydrique et un substitut logique aux cultures des périmètres irrigués.
C’est quoi l’agriculture hors-sol ?
Très ancienne, l’agriculture hors-sol remonte aux Aztèques (16e siècle). Dans ce mode de production, les plantes sont cultivées dans des abris ou des serres dont l’ambiance (lumière, température, humidité, air) est complètement maîtrisée indépendamment des saisons et des variations des conditions climatiques. Les plantes poussent dans un support généralement inerte minéral ou organique (laine de roche, perlite, billes d’argile, tourbe, sable…). Un système d’irrigation amène l’eau et les fertilisants nécessaires jusqu’aux racines. Dans ces conditions, il n’y a ni mauvaises herbes, ni insectes, ni parasites et l’utilisation des pesticides est rare. La température et l’humidité peuvent toutefois favoriser le développement des champignons et nécessiter l’utilisation de fongicides.
De nombreuses variantes sont proposées : utilisation d’un substrat ou sans substrat. Dans le dernier cas les racines se trouvent soit plongées dans une solution nutritive (hydroponie), soit reçoivent l’eau et les nutriments par pulvérisation (aéroponie). Un autre système consiste à associer un élevage de poissons d’eau douce (aquaculture) à une culture hors-sol classique ou hydroponie. Ce type de culture s’appelle aquaponie. Les déchets des poissons sont utilisés comme fertilisants pour alimenter les plantes.
De nombreuses variantes se différencient selon le système d’irrigation (goutte à goutte, aspersion, film nutritif…), le type d’installation (un ou plusieurs niveaux…) et le recyclage ou non (circuit ouvert ou fermé) de la solution fertilisante
Les plantes doivent bénéficier des conditions optimales pour un maximum de croissance. Il s’agit de maîtriser l’ambiance et également l’irrigation, la fertilisation et l’acidité-conductivité de la solution fertilisante. Ces paramètres doivent être ajustés d’une façon permanente pour tenir compte de la croissance des plantes. La culture hors-sol nécessite une excellente technicité.
L’agriculture hors-sol fait partie de l’agriculture urbaine. Ce dernier terme englobe l’ensemble des systèmes visant la production d’aliments en milieu urbain et périurbain sans que se soit nécessairement du hors-sol.
Dans de nombreux pays (Japon, Hollande, le Canada…), la culture hors-sol a progressivement remplacé à grande échelle les cultures classiques comme la tomate, les fraises, la laitue, le concombre… D’immenses fermes-usines existent déjà dans le monde. Elles produisent des salades et autres légumes toute l’année sans pesticides quelles que soient les conditions climatiques. L’activité est tout à fait rentable grâce à la productivité très élevée de ces installations complètement automatisées et hyper-connectées. La Nasa envisage même d’utiliser l’agriculture hors-sol pour produire des aliments sur Mars pour nourrir les astronautes.
Pourquoi l’agriculture hors-sol ?
L’agriculture hors-sol s’est développée dans certains pays en premier pour suppléer au manque de terrain et la nécessité de produire des quantités importantes d’aliments. Elle présente de nombreux autres avantages :
- économie substantielle d’eau (de 70 à 90%), intéressant surtout dans un contexte de raréfaction des ressources hydriques;
- travail facile et ergonomique;
- utilisation d’eau et de fertilisants avec une quantité juste nécessaire pour la plante, donc sans gaspillage;
- productivité très élevée par unité de surface;
- pas d’utilisation d’herbicides et rarement de pesticides;
- production toute l’année indépendamment des saisons;
- croissance optimale des plantes et raccourcissement des cycles de production;
- produits de qualité, cueillis à maturité optimale, sains et sans résidus. Les qualités gustatives des produits ne semblent pas être affectées;
- agriculture de proximité et les produits frais sont mis rapidement à la disposition des consommateurs;
- il est possible de cultiver plusieurs espèces végétales différentes en même temps sans problème de gestion;
- pas de travail du sol et économie de carburant.
L’agriculture hors-sol présente néanmoins certains inconvénients, dont on citera les plus importants :
-grande consommation d’énergie électrique, pour la lumière nécessaire pour la croissance des plantes, le fonctionnement des différents systèmes et la climatisation; il est possible de recourir au photovoltaïque pour remplacer l’électricité; ce moyen permettant également d’éviter des coupures catastrophiques du courant électrique; - technicité importante pour le réglage des systèmes d’irrigation et de fertilisation;
- investissement important pour les serres, les installations et les équipements;
-problème de l’élimination et du recyclage des substrats de culture et des déchets.
La culture hors-sol s’adapte bien surtout à la tomate. Elle peut être utilisée pour d’autres cultures comme le concombre, fines herbes et plantes aromatiques, laitues et légumes à feuilles, fleurs et plantes d’ornement….
Situation des cultures hors-sol en Tunisie
En Tunisie les cultures hors-sol remontent à plus d’une trentaine d’années. En effet, les régions du sud (Gabes, Kébili et Tozeur) utilisent les eaux géothermales provenant des forages profonds des nappes continentales intercalaires profondes. Ces eaux chaudes (65-70°C) permettent de chauffer les serres et d’irriguer les cultures. Ceci a permis de pratiquer des cultures intensives de primeurs et d’arrière-saison de tomate, concombre, melon… Malheureusement ces eaux étaient très chargées en sel et le sol des serres finissait par devenir stérile. Par ailleurs, des problèmes de contamination du sol par des nématodes et autres parasites obligeaient les agriculteurs à renouveler le sol de la serre ou à la déplacer ailleurs.
Pour surmonter ce problème certains serriculteurs ont eu recours à la culture hors-sol, tout d’abord par l’utilisation du sable de carrière placé en couche sur des bâches en plastique dans des fosses creusées dans les serres, puis le recours à des sacs en plastique tressé remplis de sable, enfin l’utilisation de petits pots remplis de perlite. Le Centre technique des cultures protégées et géothermiques (CTCPG), créé en2010 et basé à Gabes, est chargé de l’encadrement et de la promotion du secteur.
Juste après la révolution, un promoteur a essayé de lancer un système de culture de l’orge par hydroponie. Les graines d’orge sont cultivées dans des plateaux disposés sur plusieurs étages et recevaient des arrosages fréquents par pulvérisation de l’eau. Après une semaine, les plants atteignent une vingtaine de centimètre et peuvent être utilisés comme fourrage pour les animaux. Malheureusement, le coût très élevé de ce fourrage très riche en eau et très peu nutritif font que cette culture n’était pas intéressante.
De nombreux projets, en collaboration avec des promoteurs étrangers, ont été menés ces dernières années dans la région de Tunis et dans le sud tunisien et ont connu plus ou moins de succès. De nos jours de nouvelles tentatives sont menées par des jeunes promoteurs afin de relancer l’agriculture hors-sol et même l’aquaponie.
La surface en hors-sol reste très limitée et la culture hors-sol est actuellement très marginale.
Avenir de l’agriculture hors-sol en Tunisie
Le déficit hydrique, face à l’augmentation du besoin en eau des différents secteurs économiques, représente un réel défi surtout suite au réchauffement climatique et la sécheresse qui l’accompagne. Réduire les pertes et le gaspillage de l’eau à tous les niveaux est un devoir national primordial. L’agriculture utilise 80% des ressources hydriques. Avec le déficit hydrique de plus en plus grave, les surfaces cultivées en irrigué risquent de se réduire et la production de légumes et fruits de se restreindre. Cependant les besoins ne cessent de croitre.
L’agriculture en hors-sol peut remplacer partiellement les périmètres irrigués, combler le déficit en produits maraicher et envisager même l’exportation de l’excédent. Suite aux coûts élevés des investissements et de fonctionnement, les cultures de primeurs et d’arrière-saison seront les plus intéressantes.
L’Etat se doit d’encourager l’agriculture hors-sol et de stimuler son développement. Le Groupement interprofessionnel des légumes doit prendre en charge cette spécialité et œuvrer pour sa promotion. Il doit vulgariser les techniques de production et prendre en charge la formation et le recyclage des personnes intéressées par cette branche. Il faut également encourager la recherche et les études pour maîtriser complètement les procédés et élaborer des systèmes simples, pratiques et peu onéreux.
Les nouvelles technologies, la robotisation… auront leur place dans ce type de production «high-tech». Le soutien de ce secteur encouragerait les jeunes à créer des projets et des start-up innovantes dans le domaine des substrats, les systèmes et les équipements de culture et d’irrigation, le pilotage automatique et informatisé de la climatisation… Ceci est de nature à créer de l’emploi à de nombreux diplômés du supérieur.
Conclusion
La situation hydrique nationale est préoccupante. Elle risque de s’aggraver dans les années à venir suite au réchauffement climatique auquel la Tunisie est pleinement exposée. L’agriculture hors-sol présente de nombreux avantages dont une véritable économie d’eau.
L’agriculture hors-sol mérite d’être prise au sérieux et considérée comme un système de production à part entière. La mise en place d’une telle filière demande du temps et des moyens. Elle demande surtout une volonté politique pour réagir à temps et faire face au fléau dévastateur du réchauffement climatique, de la sécheresse et du déficit hydrique. Le développement de l’agriculture hors-sol sera notre chance pour renforcer notre autosuffisance en produits agricoles.
* Professeur universitaire.
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