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Médecins : mourir face au coronavirus, à la gloire du corporatisme ?

Les médecins, opérant en première ligne et plus exposés que les autres, continuent de tomber au champ d’honneur de la guerre contre le virus Sars Cov 2… Et face à cette situation, dommageable au pays tout entier, et pas seulement à la profession médicale, qui perd ainsi certains de ses piliers, on ne peut pas blanchir l’autorité politique de toute responsabilité, surtout que la campagne de vaccination peine à avancer, faute d’un nombre suffisant de vaccins, et que le dispositif de protection et de lutte contre la pandémie présente de graves lacunes.

Par Dr Mounir Hanablia *

Les docteurs Habib Jenayah et Habib Latrous, viennent de décéder. Que leurs âmes reposent en paix ! Mais suffit-il de le dire pour être en règle avec soi-même ? Si on a bien spécifié que la mort du premier était due au virus Sars Cov 2, la cause du décès du second n’a pas été précisée sur le faire part du décès.

Le décès d’un médecin quelle qu’en soit la cause est toujours une tragédie parce qu’il signifie pour la collectivité la perte d’une chance supplémentaire de survie et de guérison, et pour tous ses patients, avec qui s’étaient établis des liens de confiance et d’affection, une période d’inquiétude et d’incertitude relativement à leur avenir. Quand il s’agit de praticiens chevronnés qui se sont formés à l’étranger, c’est toute une expérience et un savoir-faire accumulés au cours des années qui disparaissent avec eux et qui ne seront que difficilement remplaçables.

La médecine tunisienne n’a pas fini de compter ses morts

Il est à tout le moins dommageable pour l’avenir de la pratique médicale dans le pays que les médecins expérimentés du secteur libéral n’aient pas l’occasion de former les jeunes, et ceci est dû à une organisation de la médecine prétendant accaparer la compétence au niveau de son versant académique, et poussant la jeunesse à émigrer vers des contrées plus accueillantes, sans espoir de retour. Mais en cette période de pandémie une perte dans la corporation médicale prend un relief particulier parce qu’elle rappelle que dans la guerre contre le coronavirus les médecins se situent en première ligne, et que étant plus exposés que les autres, ils nécessitent en principe plus de mesures de protection, qu’ils sont prioritaires par rapport au reste de la population, et que malgré toutes les mesures de prévention possibles, le risque zéro n’existe pas.

On est toujours à la merci d’un lot de vaccin inefficace ou mal administré, à une maladie inhibant l’immunité, quand le variant de virus en cause n’est pas lui-même tout simplement résistant aux anticorps générés par la vaccination. Mais comme les variants se multiplient du fait de la contamination massive issue du comportement barbare des populations qui refusent de se plier aux normes prophylactiques, et de l’absence de volonté politique de les faire respecter, il est à craindre que dans un avenir proche et malgré la vaccination, de tels drames ne cessent de se produire. Et les mesures de protection doivent donc toujours demeurer de rigueur.

La position égoïstement ambiguë des propriétaires des cliniques privées

En effet, on ne peut que difficilement blanchir l’autorité politique de toute responsabilité, particulièrement quand, face aux critiques de plus d’une dizaine d’associations de la société civile, le chef de gouvernement Hichem Mechichi a dû reconnaître que les cliniques privées n’aidaient pas l’État dans la lutte contre la pandémie, et qu’il pourrait à l’avenir recourir à des réquisitions. Ce à quoi le président du syndicat des propriétaires de cliniques a répondu que le chef du gouvernement attaquait par de tels propos l’ensemble de la médecine libérale et qu’il ne faisait ainsi que semer la division au sein de la corporation. Il aurait pu tout aussi bien ajouter qu’il avait proposé dès le début de la pandémie que les établissements privés soient remboursés de leurs frais sur la même base qui a cours pour les hôpitaux publics mais que son offre avait été dédaignée.

On ignore encore si une telle proposition était ou non véritablement sérieuse de la part d’institutions habituellement peu enclines à sacrifier leurs intérêts financiers, mais si on en croit ce qu’ont déclaré des médecins membres de la commission nationale de lutte contre la pandémie, on est actuellement dans les hôpitaux publics souvent obligé de faire le tri entre les patients relativement à l’accès aux respirateurs dans les cas graves nécessitant une ventilation artificielle. Et il n’a jamais été fait mention de tentatives d’adresser ceux qui ne trouvaient pas de respirateurs disponibles dans les hôpitaux et qui étaient condamnés à mourir, aux cliniques privées, pour peu qu’elles ne soient pas elles-mêmes submergées, ni d’y réquisitionner des lits.

Si donc une telle volonté se fait soudainement jour à l’échelon politique, le moins que l’on puisse dire est qu’elle ne soit encore suivie d’aucun début d’exécution. En revanche, le discours du syndicat des cliniques privées se posant en représentant de l’ensemble de la médecine libérale apparaît une nouvelle fois inopportun.

Une imposture lourde de conséquences

En matière de prévention de risque professionnel et du respect des normes prophylactiques, il n’ y a aucune commune mesure entre un médecin protégé de sa seule bavette avec ou non une visière, exerçant au fond de son cabinet situé dans un quartier populaire, dans une ville de l’intérieur ou dans un petit village, et son collègue consultant dans un cabinet huppé de la capitale avec une clientèle sélect et opérant dans une clinique privée dont il est l’un des actionnaires principaux. Et c’est même l’assimilation de sociétés commerciales, dont l’objectif naturel est le profit à tout prix, à une profession payant le prix du sang de son dévouement, qui constitue une imposture lourde de conséquences.

Il faudrait que Boubaker Zakhama accepte de se départir de sa double casquette quand il parle en tant que président du syndicat des cliniques, en n’endossant que celle de l’homme d’affaires. Ce serait de sa part faire montre de plus de respect envers l’Ordre des Médecins auquel il est affilié, ainsi qu’à ses collègues tombés au champ d’honneur de la guerre contre le virus.

* Médecin de libre pratique.

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