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Meurtre de Refka Cherni : Campagne contre les violences conjugales et les féminicides en Tunisie

Sawsen Maalej prenant part à la campagne / la victime Refka Cherni.

Le meurtre de Refka Cherni, tuée avant-hier, dimanche 9 mai 2021, au Kef, par balles par son époux, agent de la garde nationale, a relancé le débat en Tunisie sur les violences conjugales et les féminicides, ainsi que sur l’application de la loi 58, relative à l’élimination de la violence à l’égard des femmes.

Par Yüsra Nemlaghi

Refka Cherni, une jeune maman de 26 ans, a été tuée par son époux violent, qui avait comparu, deux jours avant le drame, devant le procureur pour violences conjugales, mais fût relâché après que sa femme eut décidé de lui pardonner et de retirer sa plainte. C’est, en tout cas, la version des faits relatée par le porte-parole du tribunal du Kef.

Deux jours après, l’époux qui promettait de ne plus lever la main sur sa femme, a pris son arme à feu et a tiré cinq coups sur la mère de son enfant, qui a été grièvement blessée et transportée à l’hôpital régional du Kef, où elle rendit l’âme.

Ne plus se taire, ne plus pardonner et ne plus rien laisser passer

Ce féminicide n’est certes pas le premier en Tunisie mais il est de trop : le 2 avril dernier, un individu âgé d’une quarantaine d’années a tué son épouse en la frappant avec un bâton sur la tête; le 1er mars un mari a violemment battu sa femme avec une barre de fer à Kasserine, elle succombera à ses blessures une semaine après les faits; le 4 janvier 2020 à Béja, un autre époux de 43 ans a tué sa femme en l’étranglant avec une corde avant de cacher le corps dans la chambre des enfants, qui sera découvert 4 jours après le drame; le 17 janvier c’est à Zarzis qu’un jeune marié de 26 ans a tué son épouse à coups de couteau… pour ne citer que ces drames survenus en 2021.

Le meurtre de Refka a relancé le débat sur les violences conjugales, sur la mentalité sociale face à ces violences, sur les lois et sur les droits, et de nombreux Tunisiens appellent à ne plus se taire, à ne plus pardonner et à ne plus rien laisser passer : les femmes qui se sentent en danger doivent quitter leur domicile avec leurs enfants et l’État doit les prendre en charge.

«Je suis la prochaine victime. Aujourd’hui c’est Refka, demain c’est ta sœur. Aujourd’hui c’est Refka, demain c’est ta fille. Votre mentalité est tuante ! Appliquez la loi», a commenté pour sa part, l’actrice Sawsen Maalej, qui prend part à cette campagne et qui a dénoncé les fameux «conseils» que les familles donnent aux femmes, à qui l’on demande souvent de «laisser passer, de pardonner, de comprendre qu’un époux puisse être parfois sur ses nefs car fatigué et stressé par le travail, de ne pas détruire sa famille et d’être patiente, de se sacrifier pour ses enfants et de rester au domicile conjugal car la société ne pardonne pas !»

Contre la banalisation de toutes les formes de violences à l’égard des femmes

De son côté, le ministère de la Femme, de la Famille et des Seniors, a fermement condamné ce crime odieux en dénonçant la montée des violences conjugales et sexistes, observée ces derniers temps, en Tunisie, en particulier depuis le début de la crise sanitaire, en mars 2020, tout en mettant en garde contre la banalisation de toutes les formes de violences à l’égard des femmes, et en appelant à rompre avec l’imputé : «Il faut agir et intervenir immédiatement, en appliquant la loi contre des agresseurs, avant qu’ils ne mettent à exécution leurs menaces».

«Ce drame devra marquer un tournant pour mettre en application la loi n ° 58 de 2017 pour l’élimination de toutes les formes de violence à l’égard des femmes», appelle le ministère, car en réalité, cette loi se heurte à des obstacles et obtenir justice demeure très difficile, surtout si l’épouse retire sa plainte.

S’il existe une brigade spécialisée dans la lutte contre les violences faites aux femmes relevant de la sûreté nationale, qu’un numéro vert (1899) permet de signaler ces violences, il n’en reste pas moins que sur le terrain, la réalité est moins facile : les victimes sont confrontées à des obstacles; souvent on dissuade les femmes de porter plainte; elles ne trouvent parfois ni refuge, ni ressources, et sont surtout confrontées à une société, une famille et à une mentalité qui lui demanderont de pardonner «pour préserver son couple et sa famille»

La campagne lancée sur les réseaux sociaux exige justement de soutenir toutes ces femmes violentées, de les pousser à dénoncer leurs bourreaux et de leur permettre de trouver un cadre pour s’en sortir et refaire leur vie dignement, avant qu’il ne soit trop tard comme pour Refka et toutes les autres victimes…

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