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Le poème du dimanche : ‘‘Miroir de la luge noire’’ d’Adonis

Né à Qassabine, un village des montagnes du nord de la Syrie, en 1930, Adonis, de son vrai nom Ali Ahmad Sa’id, est aujourd’hui considéré comme l’un des plus grands poètes arabes vivants. Iconoclaste et influent, son œuvre révèle plusieurs thèmes : injustice, dictature, guerre, misère… Il se saisit des événements contemporains pour en faire des mythes, sans pourtant devenir un «poète engagé».

Formé dès son très jeune âge à la poésie, par son père, un paysan lettré, Adonis publie ses premiers poèmes dès l’âge de dix-sept ans dans un journal de Lattaquié. Il signe déjà du nom d’Adonis, pseudonyme se référant au dieu d’origine phénicienne, symbole du renouveau cyclique.

Après avoir fait des études de philosophie à l’université de Damas, Adonis s’engage pour une poésie libre et universelle, dégagée de toute entrave, de toute frontière linguistique, idéologique ou culturelle.

En 1955, le jeune militant pour le renouveau intellectuel arabe est emprisonné six mois pour appartenance au Parti nationaliste syrien, qui préconise une grande nation syrienne au Moyen-Orient. Après sa libération en 1956, il s’enfuit pour Beyrouth au Liban, où il fonde, en 1957, avec son ami, le poète Yûsuf Al-Khâl, le groupe Chi’r (Poésie) et la revue du même nom. L’influence de cette revue sur la littérature arabe contemporaine est considérable. Elle offre une ouverture à la poésie moderne occidentale dont la forme et le fond se répercutent sur la poésie arabe jusqu’alors plus traditionnelle.

Le recueil ‘‘Les Chants de Mihyar le Damascène’’ paraît en 1961 et symbolise l’un des actes fondateurs de la poésie arabe moderne. La traduction en français, qui aura lieu en 1983, marquera pour Adonis le début de sa reconnaissance mondiale.

Ayant obtenu la nationalité libanaise en 1962, Adonis se consacre aussi plus principalement à ses activités littéraires qu’à ses activités politiques. En 1968, il fonde la revue Mawâkif («Positions») – aussitôt interdite dans plusieurs pays arabes – qui s’avère un espace de liberté en même temps qu’un laboratoire de rénovation «destructurante» de la poésie. C’est là qu’il traduit en arabe Baudelaire, Henri Michaux, Saint-John Perse et en français Aboul Ala El-Maari.

Adonis cherche le renouvellement de la poésie arabe contemporaine en s’appuyant sur son passé glorieux mais aussi en regardant la richesse de la poésie occidentale. À la suite de la guerre civile libanaise, il fuit le Liban en 1980 pour se réfugier à Paris à partir de 1985. Il est le représentant de la Ligue arabe à l’Unesco. 

Tu as dit : Mon visage est navire, mon corps est une île,
et l’eau, organes désirants.
Tu as dit : Ta poitrine est une vague,
nuit qui déferle sous mes seins.

Le soleil est ma prison ancienne,
Le soleil est ma nouvelle prison,
La mort est fête et chant.

M’as-tu entendu ? Je suis autre que cette nuit, autre
Que son lit souple et lumineux.
Mon corps est ma couverture, tissu
Dont j’ai cousu les fils avec mon sang.
Je me suis égaré et dans mon corps était mon errance…

J’ai donné les vents aux feuilles,
J’ai laissé derrière moi mes cils,
De rage j’ai joué l’énigme avec la divinité
Et j’ai habité l’évangile de l’allaitement
Pour découvrir dans mes vêtements
la pierre itinérante

M’as-tu reconnu ? Mon corps est ma couverture,
La mort est mon chant et palais de mes cahiers,
L’encre m’est tombe et antichambre,
Mappemonde clivée par la désolation
En laquelle le ciel a vieilli,
Luge noire que traînent les pleurs et la souffrance.

Me suivras-tu ? Mon corps est mon ciel,
J’ai ouvert tout grand les couloirs de l’espace
J’ai dessiné derrière moi mes cils,
Routes menant vers une idole antique.

Me suivras-tu ? Mon corps est mon chemin.

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