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Le poème du dimanche : ‘‘La maison de Cavafy’’ de Saâdi Youssef

Le poète irakien Saâdi Youssef vient de nous quitter il y a une semaine. C’est l’une des grandes voix de la poésie arabe contemporaine.

Né à Bassora en 1934 et décédé à Londres en 2021, son œuvre compte plus de trente recueils, des traductions en arabe des grands noms de la poésie contemporaine ainsi que des romans de la littérature mondiale. Poète, journaliste, il exerça le métier d’enseignant.

Militant communiste, il fut emprisonné pour ses opinions, vécut en exil, au Liban, en Algérie, en France, en Grèce, à Chypre, etc. Il fit de son œuvre poétique un chant de pérégrinations, de résistance, marqué par une mélancolie élevant l’intimité des lieux et des êtres au rang de l’Histoire individuelle et collective.

Parmi ses oeuvres (en arabe) : ‘‘Des chansons pas pour d’autres’’, 1955. ‘‘Des poèmes à voir’’, 1965; ‘‘Les nuits, toutes’’, 1976; ‘‘Qui connait la rose ?’’, 1981; ‘‘Poèmes de Paris, arbres d’Ithaque’’, 1992; ‘‘Le dernier communiste entre au paradis’’, 2007; ‘‘Le Diwan italien’’, 2010.
Tahar Bekri

La maison de Cavafy

6 Rue Lepsus :
Ton Alexandrie était-elle la mer ?
Ou est-elle la bifurcation
où se rétrécit la ruelle
et se répand la lumière comme des escargots cuits ?
Peut-être que ton Alexandrie est-elle
cette porte
que je ne vois pas
Peut-être était-elle les murmures embrouillés
sur les lèvres
et n’ont pu être prononcées…
Peut-être était-elle le vase à fleurs
Ou le balcon du palais
où le Dieu
vainquit Antonio…
6 Rue Lepsus :
D’où sont-ils venus les Grecs de la nuit ?
D’où est venu le vin ?
D’où est ce chant qui chancelle ?
Ce bouzouqui brisé ?
Cet air O regrets regrets regrets
Cet air dans le fossé du Ah, Ah ?
6 Rue Lepsus :
La chambre est devenue sombre …
La chambre s’est retirée à travers le miroir de son garde-robe
La chemise s’est envolée vers la mer
Et la mer s’est absentée…
…..
…..
Si tu es Antonio attends
Peut-être qu’à travers le miroir un Dieu t’appelle

Tunis, 12/2/1990

Hôtel Saint-Michel

Que fait une Grecque à cette heure
à l’hôtel ?
Elle s’amuse avec une enfant bruyante
Ou oublie la clef sur la chaise
Ou se retourne de temps en temps…
Rien ici dans le hall de l’hôtel
Les chaises
ont perdu leurs couleurs
Le chien ne sait que dormir
Le marin
est encore loin en mer…
Que fait une Grecque à cette heure
à l’hôtel ?
………………
………………..
A minuit
Quand le dernier des amants baisse ses paupières
sur une autre amante
Elle s’en va fermer la porte contre la rue
et le froid
Et revient chanter
Toute seule
*

Paris 30/11/1990

*‘Poèmes de Paris, arbres d’Ithaque’’, éd. Al Jamal, 1992.

Traduit de l’arabe par Tahar Bekri

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