Pour les Tunisiens, et les musulmans en général, la fête de l’Aid Al-Idha et les restrictions sanitaires imposées par la pandémie de Covid-19 se sont télescopées cette année les mettant devant un dilemme: choisir entre l’odeur du méchoui ou celle de la mort. Ils auront finalement les deux…
Par Mohsen Redissi *
Le cœur de nos citoyens balance à l’approche du jour du sacrifice, Aïd Al-Idha, fêté zujourd’hui, mardi 20 juillet 2021, pleins de ferveur mais avec des poches vides. Ils sont comme assis sur des braises ardentes. La Covid-19 a eu raison de leur fière prestance. Doivent-ils suivre un rite tracé depuis des milliers d’année bien avant l’avènement de l’islam en suivant la pratique prophétique? Ou écouter la voie de la raison et les avertissements des spécialistes de la santé et leurs appels incessants à éviter au maximum le bêlement des moutons et les bains de foules?
Entre le sacré et le profane, notre raison balance
Les autorités locales et des revendeurs indépendants n’ont pas manqué d’imagination. Des e-moutons en chair et en os sont mis en ligne une broche à l’oreille pour dissuader les acheteurs à se contenter de quelques clics pour faire leur choix. Rien ne vaut la tradition de se mêler à la foule pour les puristes, de tâter et de soupeser la bête avant de jeter son dévolu dessous.
Certains utilisent ces moments pour faire étalage de leurs connaissances des races et de leurs critères de sélection. Les religieux, le mufti de la république en l’occurrence, et les pontes de la santé se succèdent sur les ondes et sur les plateaux. Ils s’encornent. Qui donnera l’estocade? Le sacré et le profane cherchent tous deux à sauver l’âme de nos citoyens, chacun selon ses convictions.
Le capital affectif joue un rôle prépondérant dans l’exercice de la foi. Il nous renvoie cette fois à notre histoire collective. Mentalement et machinalement, le musulman vit en son for intérieur ce périple. Le Mont Arafat, Mouzdalifa, la lapidation de la grande stèle, l’immolation d’une belle bête digne de sacrifice en mémoire d’Abraham, enfin «Tawaf Al Ifadha», sept nouvelles circonvolutions autour de la Kaâba marquant ainsi la fin du Hajj. Ce rituel est ancré dans les habitudes. Le sang doit couler.
Sacrifice virtuel sans effusion de sang
Seront nous les moutons de Panurge? Ou la chèvre de Monsieur Seguin? Suivre ou se rebeller? L’idée semble saugrenue mais peut-on faire le souhait et le vœu du sacrifice de la bête en version virtuelle sans effusion de sang, sans se mêler à la foule. Cet acte sera-t-il considéré comme avoir accompli le rite et toucher le mérite d’avoir obéi aux préceptes de la religion?
Aux oulémas de se pencher sur ce cas si la Covid persiste encore quelques années et devient difficile de se mêler à la foule sans risquer de se contaminer. Il faut avoir des tripes.
Le citoyen tunisien est devant un dilemme: choisir entre l’odeur du méchoui ou l’odeur de la mort qui rode tout autour. Certains préfèrent le silence des agneaux et le jeûne du palais aux cœurs brisés par la perte d’êtres chers aux leurs. Pour cette année, il est conseillé d’avoir la bavette sur la bouche que sur la planche.
* Fonctionnaire international à la retraite.
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