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Tunisie : Les dirigeants d’Ennahdha perdent la boussole

Photo d’archives : Rached Ghannouchi et Abdelkarim Harouni.

Les dirigeants du parti islamiste Ennahdha ne savent plus sur quel pied danser pour sortir de leur isolement actuel et reprendre l’initiative. Doivent-ils tendre la main au président Kais Saïed dans l’espoir de le voir reprendre langue avec eux, ou poursuivre leurs pressions sur lui pour l’obliger à lâcher du leste ? Les deux stratégies sont loin d’être «garanties»…

Par Imed Bahri

La crise bat son plein au sein du mouvement Ennahdha, dont les dirigeants, habitués à être au cœur des centres de décision de l’Etat, ont du mal à se remettre du coup d’éclat du président Kaïs Saïed qui, en mettant en œuvre, le 25 juillet 2021, l’article 80 de la Constitution de 2014, gelant l’Assemblée et limogeant le chef du gouvernement, a mis Rached Ghannouchi et les siens hors-jeu.

Hier soir, mercredi 4 août, la réunion du Majlis Choura, bien que reportée de deux jours pour essayer de calmer les esprits et de rapprocher les positions, s’est déroulée dans un climat très tendu. Les positions sont restées d’autant plus tranchées que Rached Ghannouchi et ses proches collaborateurs du bureau exécutif n’ont pas voulu lâcher du leste, estimant sans doute que l’heure n’est pas aux dissensions internes mais à l’union sacrée face aux adversaires du mouvement qui cherchent à l’abattre définitivement et à le marginaliser sur la scène politique nationale.

Une guerre de tranchées

Les dissidents et les réformistes, qui exigeaient il y a quelques jours la dissolution du bureau exécutif et le départ de Ghannouchi et de sa bande, ont eu le temps, pour leur part, de mettre de l’eau dans leur vin pour essayer de ramener ces derniers à une appréciation plus réaliste et plus pragmatique de la situation et à tendre la main au président Saïed, dans l’espoir de se remettre momentanément en selle, en perspective des évolutions attendues sur les plans interne, régional et international, et de voir le président de la république céder aux pressions internes et externes et se résigner à accepter l’idée d’un dialogue national sur les réformes politiques à mettre en route dans le pays.

Les positions ne semblent cependant pas avoir évolué dans le sens d’un consensus, car la réunion d’hier soir a dégénéré en guerre de position, aggravant davantage les divisions au lieu de réduire le fossé.

Il faut dire que les uns et les autres paniquent et ont du mal à se mettre d’accord sur la stratégie à suivre, car le risque est grand de voir le président aller de l’avant dans son projet d’assainissement en déclenchant des séries de poursuites judiciaires contre le mouvement et certains de ses dirigeants, et ce sur la base des enquêtes déjà disponibles et qui risquent de fournir suffisamment de preuves à charge pouvant justifier de lourdes condamnations.

Un casse-tête appelé Kaïs Saïed

Tendre la main au président de la république dans l’espoir de le voir succomber à la tentation de la realpolitik, la situation dans le pays étant déjà suffisamment explosive pour le dissuader d’ajouter de l’huile sur le feu, ou poursuivre les pressions sur lui pour l’obliger à revenir à de meilleurs sentiments à leur égard ? Le débat est loin d’être tranché parmi les dirigeants nahdhaouis.

A vrai dire, aucune des deux démarches n’est «garantie», pour employer un terme cher à Ghannouchi, car Kaïs Saïed, dont tout dépend aujourd’hui, est à la fois imprévisible, obstiné et rigide. Il n’a décidément rien à voir avec son prédécesseur Béji Caïd Essebsi, plutôt joueur, malléable et porté sur le consensus mou.

La stratégie de la main tendue ne peut réussir à tous les coups et puis, entre 2015 et 2021, beaucoup d’eau a coulé dans le lit de la Medjerda. Et Ennahdha a beaucoup perdu en crédibilité et son électorat s’est réduit comme peau de chagrin.

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