La présidence de la république a publié tard dans la soirée d’hier, vendredi 10 septembre 2021, un communiqué officiel mettant l’accent sur le fait que le président de la république insiste dans tous les entretiens avec les partenaires étrangers sur la souveraineté de l’État tunisien qui trouve sa source dans le peuple tunisien et que la Tunisie n’est pas le bon élève qui accepte à se soumettre à des appréciations et des évaluations… Y avait-il besoin de rappeler avec force insistance cette évidence dans un communiqué officiel du Palais de Carthage publié après la rencontre avec Josep Borrell, haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité?
Par Raouf Chatty *
La réponse est tout simplement non, car il ne vient à l’idée de personne de contester cette vérité. Tout le monde sait l’attachement indéfectible de Kais Saied à la souveraineté de la Tunisie. Celle-ci ne souffre aucune discussion ni négociation tout comme son rejet de toute ingérence étrangère dans les affaires intérieures du pays.
Tout le monde sait très bien que le président de la république a affirmé haut et fort à ses visiteurs américains et européens qui se sont succédé au Palais de Carthage depuis l’annonce des mesures d’exception, le 25 juillet dernier, l’attachement de la Tunisie à ces principes majeurs. Pourquoi y a-t-il besoin urgent de réaffirmer solennellement cette évidence ? Cette souveraineté a-t-elle été remise en question ou mise à mal, et, dans ce cas, par qui ?
Un communiqué tombé comme un cheveu dans la soupe
Conséquence : ce communiqué va alimenter les discussions et les polémiques à l’intérieur et, peut-être même aussi à l’extérieur. Le microcosme politique, la société civile et les médias vont s’en saisir et s’en donner cœur joie. Il pourrait aussi être mal interprété par nos partenaires internationaux et donner à penser que le président commence à être irrité par les visites qui sont succédé en Tunisie depuis le 25 juillet suite aux décisions historiques annoncées par lui et appuyées par une majorité de Tunisiens.
Nos partenaires étrangers, notamment de l’Union européenne, sont en droit d’être inquiets de la situation prévalant dans notre pays, qui se trouve au cœur d’un espace géopolitique, le Maghreb, de plus en plus instable, ce qui pourrait porter des menaces sérieuses à leur propre sécurité et à leurs intérêts dans la région.
Il ne sert à rien de rappeler que nous vivons plus que jamais, aujourd’hui, dans un univers mondialisé, digitalisé et fortement interdépendant. La notion de souveraineté nationale dans le sens juridique strict du terme n’est plus vraiment de mise dans le sens «je n’ai de compte à rendre à personne».
Dans l’ordre international post 2001, la démocratie et les droits de l’homme sont devenus une préoccupation légitime de la communauté internationale. Cela est un fait politique avec lequel les États doivent savoir traiter. Et c’est pour cette raison, souvenons-nous, que la révolution tunisienne du 14 janvier 2011 a été fortement soutenue par la plupart des grandes puissances partenaires.
Dans un monde interdépendant, il faut avoir la diplomatie de ses besoins
La souveraineté nationale est une œuvre qui doit être chaque jour bâtie et consolidée. Pour tous les États sans exception, le monde étant basé sur les intérêts, la compétition et non les sentiments.
Plus tôt le président de la république fait connaître sa feuille de route pour la Tunisie post 25 juillet, plus tôt il fermera la porte à toutes les interrogations et à toutes les ingérences d’où qu’elles viennent. D’autant qu’un pays comme le nôtre, qui vit grâce aux aides et prêts internationaux et qui qui n’a même pas de quoi boucler son budget pour l’exercice en cours et qui, pour y parvenir, sollicite l’aide des pays amis et des bailleurs de fonds internationaux, doit avoir sinon la diplomatie de ses moyens, du moins celle de ses besoins. Et, surtout, éviter la grosse tête, comme on dit en termes triviaux…
Alors, pourquoi ce malheureux communiqué qui prête à confusion ? Si c’était pour répondre à quelque malveillant commentaire Facebook de l’un de ses adversaires politiques habituels, le président de la république aurait bien pu, de la position qui est la sienne, nous épargner la polémique que cette vraie fausse «histoire de souveraineté» ne manquerait pas de provoquer.
* Ancien ambassadeur.
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