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Tunisie : comment Kais Saied réagirait-il aux pressions internationales ?

La Tunisie a besoin d’une feuille de route réaliste, faisable et crédible pour savoir où elle va. Et, surtout aussi, le faire savoir. Car nos partenaires étrangers ont besoin, eux aussi, de savoir où va notre pays, dont la position géostratégique au cœur de la Méditerranée lui interdit tout dérapage pouvant mettre en péril la stabilité régionale.

Par Raouf Chatty *

La Tunisie constitue aujourd’hui une préoccupation réelle pour ses partenaires européens, notamment pour la France, l’Italie et l’Allemagne, pour les États-Unis et pour son environnement régional. Les grands espoirs nés, dans le pays et à l’étranger, le 25 Juillet 2021, suite aux décisions historiques annoncées par le président de la république Kais Saied sont en train de se dissiper à une grande vitesse, le chef de l’Etat n’ayant pas toujours pas fait connaître sa feuille de route.

Tous les ingrédients sont réunis pour que nos partenaires s’inquiètent de la situation : ils savent que notre pays vit, depuis le 25 juillet, une nouvelle ère politique qui ne sera pas forcément rose ou stable. Les prémisses sont déjà là. Ils appréhendent les réactions du parti islamiste Ennahdha  qui est en perte de vitesse après avoir essuyé un rejet franc et radical de larges franges du peuple exprimé le 25 juillet à travers toute la république et dont les médias étrangers ont fait l’écho. Ils considèrent que le pays reste très fragile.

En effet, ils constatent que la Tunisie n’a pas aujourd’hui les ressources nécessaires pour relever les défis auxquels elle fait face. Le pays continue de s’enfoncer dans la crise politique, économique, financière, sociale et sanitaire. Ses finances publiques sont en piteux état. Ses rapports avec le Fonds monétaire international (FMI) sont très mitigés. La sécurité à ses frontières sud est également un motif de préoccupation.

La Tunisie ne donne pas des signes crédibles prouvant qu’elle est capable de s’en sortir. Sa classe politique est plus que jamais divisée. Elle est également dans une zone géographique de grandes turbulences. Son grand voisin, l’Algérie, vient récemment de rompre ses relations diplomatiques avec le Maroc. Et la situation en libye est marquée par une forte tension.

Un président imprévisible et fantasque

Le président lui même constitue une énigme pour ces puissances étrangères. Il leur fait peur. Ils le savent imprévisible. Il fait planer beaucoup de doutes en Tunisie et à l’étranger sur son projet  pour notre et sur sa capacité à mener la barque à bon port. Les difficultés qui pourraient accompagner la mise en œuvre de son hypothétique feuille de route sur le terrain les inquiètent sérieusement. On sent qu’ils voient d’un mauvais œil ses idées révolutionnaires et ses sources  idéologiques qui font allusion au gouvernement direct des masses populaires, à l’instar des comités populaires de feu Kadhafi qui avaient largement contribué à l’affaissement de l’autorité de l’Etat central en Libye et à ses déboires actuels.

Cette situation indécise explique les ingérences de plus en plus visibles des puissances étrangères dans les affaires intérieures de la Tunisie, et qui se font de plus en plus directement, sans souci de préserver les formules diplomatiques d’usage. Ces puissances se montrent très pressantes comme si ces elles ressentent que des débordements pourraient avoir lieu et voudraient pouvoir nous en prémunir et se prémunir elles-mêmes de leurs conséquences.

En moins de cinquante jours, depuis le 25 juillet, la Tunisie a reçu la visite de deux délégations officielles américaines de haut rang. Les ministres des Affaires des États-Unis et de la France ont pris attache avec le président de la république. Les ambassadeurs du Groupe des 7 ont publié, le 6 septembre, un communiqué officiel s’apparentant à une feuille de route destinée au président. La Commission européenne, la Commission de Venise, Amnesty International s’y sont mises également. Les organisations internationales de défense des droits de l’homme n’ont pas tardé à s’intéresser à notre pays.

L’avenir politique de la Tunisie et de sa démocratie naissante sont au centre de tous ce branle-bas diplomatique. Et cela a un air de déjà vu et nous rappelle ce que nous avons vécu au cours des dernières années de l’ancien régime.

La pression extérieure va crescendo

Cette pression extérieure persistante va crescendo. Elle pourrait s’accroître dans les prochaines semaines et se muer progressivement en une quasi mise sous surveillance de la Tunisie si la situation politique, sociale et sécuritaire dégénère. Ce qui n’est pas totalement écarté.

Si aujourd’hui, ces puissances semblent s’accommoder de la nouvelle situation politique née des décisions présidentielles du 25 juillet parce qu’acclamées massivement par de larges franges du  peuple et faisant suite à leur rejet massif et sans appel de l’islam politique, elles pressent néanmoins le président d’agir très rapidement, de faire connaître sa feuille de route et de favoriser la création d’un véritable État de droit. Elles agissent ainsi pour anticiper des événements qui pourraient se produire dans les semaines ou mois à venir. Car elles savent que la situation sera très difficile pour le président, dont le calme apparent a de quoi inquiéter.

Elles savent que le parti islamiste qui a été mis sèchement à l’écart dispose d’une véritable force de nuisance et qu’il va continuer de s’agiter pour se maintenir à tout prix sur l’échiquier politique. Il a d’ailleurs déjà envoyé un député du parlement gelé pour s’exprimer dans une conférence internationale à Vienne. Et pourrait être tenté de fomenter des troubles pour maintenir la pression sur le président de la république.

Pour ne rien arranger, les groupes d’intérêt, malmenés par le combat que mène le président contre la corruption, feront tout pour lui compliquer la tâche. Et la situation économique étant ce qu’elle est, le peuple qui s’impatiente ne tardera pas à exiger des résultats…

Rassurer les partenaires et éviter un saut dans le vide

Ce sont là autant de facteurs objectifs qui pourraient handicaper le projet politique du président et l’empêcher de le mettre en œuvre. Et cela inquiète les partenaires étrangers qui n’ont aucun intérêt à voir la Tunisie sombrer dans l’instabilité, car cela fera peser une menace pour leur propre sécurité. Aussi appréhendent-elles l’affaissement de l’Etat avec ses deux principaux corolaires, l’accroissement des flux d’immigration illégale et la résurgence des menaces terroristes.

Les pays du G7 n’ont pas attendu que le président de la république présente sa feuille de route. Ils ont préféré lui proposer, indirectement, une feuille de route réaliste avec des actions claires et précises, une sorte de minimum requis qu’ils souhaitent voir mis en œuvre sans plus tarder. Il reste à savoir si le président Saïed va tenir compte de ces propositions ou s’en inspirer pour élaborer “sa” feuille de route à lui. Il reste aussi à espérer que cette feuille de route sera à même de rassurer les Tunisiens et leurs partenaires internationaux et d’éviter à la Tunisie tout saut dans le vide.

* Ancien ambassadeur.

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