Le président de la république Kaïs Saïed vient de nommer une femme, Najla Bouden, à la tête du gouvernement. Un événement historique en soi car elle sera la première femme chef de gouvernement en Tunisie depuis l’indépendance du pays et également la première femme désignée à ce poste dans le monde arabe. Une belle reconnaissance, certes un peu tardive en Tunisie, pays connu, depuis la promulgation du Code du statut personnel, le 13 août 1956, pour avoir rehaussé la place de la femme dans la société, même s’il lui reste encore beaucoup à faire pour instaurer une égalité réelle entre les deux moitiés de la société. Mais c’est une avancée qui doit être appréciée à sa juste valeur et qu’on doit à un homme réputé plutôt conservateur.
Par Raouf Chatty *
En recevant Mme Bouden, jeudi 29 septembre 2021, pour lui confier le poste, le président Saïed a reconnu explicitement que le pays a perdu beaucoup de temps. Il a insisté sur deux points : la lutte contre la corruption qui gangrène l’État et la société et la réponse aux multiples attentes légitimes des Tunisiens, notamment la concrétisation de leurs droits économiques, sociaux et culturels (alimentation, santé, éducation, travail…). Il a ainsi défini sobrement les dossiers sur lesquels la cheffe du gouvernement et l’équipe qu’elle constituera dans les prochains jours sont appelées à plancher. Il laisse ainsi implicitement entendre que les dossiers politiques seront traités par le président de la république.
C’est en somme le retour, en cette phase transitoire inaugurée par l’annonce, le 25 juillet dernier, des mesures exceptionnelles, au régime présidentiel auquel la Tunisie était habituée depuis son indépendance en 1956, et la fin de l’expérience calamiteuse du régime hybride mais à forte dose parlementaire qui a valu au pays la descente en enfer au cours des dix dernières années.
Une Kairouanaise au caractère bien trempé
Il ressort de la biographie de la nouvelle cheffe de gouvernement qu’elle est originaire de Kairouan : une ville qui a toujours brillé à travers le monde musulman depuis des siècles pour son esprit de tolérance, ses savants, ses poètes, ses médecins, comme Ibn Al-Jazzar et Ibn Rachiq, sans oublier que c’est bien Kairouan qui avait donné à la Tunisie la princesse Aroua Al-Kairaouania, au 2e siècle de l’hégire (8e siècle de l’ère chrétienne) connue pour avoir exigé du calife de Bagdad, son époux, de stipuler dans le contrat de mariage son droit de réclamer le divorce et de l’obtenir au cas où son mari épouse une autre femme. C’est le fameux «divorce kairouanais», premier acte d’émancipation de la femme dans l’histoire des pays musulmans. On peut estimer que l’origine de la nouvelle promue a pesé dans le choix de Kaïs Saïed qui affectionne beaucoup les symboles historiques, lui qui aime évoquer l’exemple de rectitude morale et d’attachement à la justice du calife Omar Ibn Al-Khattab.
La nouvelle cheffe du gouvernement est issue des grandes écoles en France. Elle est docteur d’Etat en géologie. Elle est depuis quelques années directeur général au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique chargée de la préparation du Programme de gestion par objectifs pour l’adéquation des enseignements universitaires avec le marché de l’emploi, déployé avec le concours de la Banque Mondiale.
Une grande bûcheuse dans un pays aux rouages grippés
Saurait-elle être l’«Angela Merkel de la Tunisie», comme l’espèrent et le disent beaucoup de ses compatriotes qui font plus confiance aux femmes qu’aux hommes et pas seulement en politique? L’Allemande étant elle aussi docteur d’État en physique, réaliste et pragmatique, peu portée sur les idéologies stérilisantes. Nous l’espérons, même si le contexte dans les deux pays est très différent. Celui de la Tunisie foisonnant de défis dans tous les domaines sur lesquels se sont brisées les plus fortes volontés et les ambitions les plus affirmées.
Au lieu de sacrifier à notre péché mignon, à savoir les interminables palabres politiciennes, retroussons nos manches, et aidons cette femme réputée grande bûcheuse à travailler pour relever tous les défis, avec science, méthode et esprit d’équipe. Sachons également être positifs et constructifs même si la tâche de Mme Bouden peut paraître, à première vue, rebutante et les obstacles à surmonter énormes. Et disons bon vent à madame la cheffe de gouvernement, même si on entend déjà les couteux des médiocres s’aiguiser dans quelques chambres obscures… Ils ont déjà fait trop de mal à ce pays et nous ont montré toute l’étendue de leur incompétence, de leur arrogance et de leur corruption. Ils ne passeront plus !
* Ancien ambassadeur.
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