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La Tunisie a-t-elle un autre choix dans l’immédiat que la création monétaire?

L’Association des Tunisiens des grandes écoles (Atuge) a organisé le 30 septembre 2021 un webinaire pour débattre de la situation actuelle des finances publiques et des moyens de parvenir à financer les déficits et de boucler le budget 2021.

Il s’agissait de discuter de la pertinence de recourir à la planche à billets et de présenter des alternatives à cette solution souvent décriée, face à un panel composé par Moez Labidi, universitaire, économiste, ancien administrateur de la BCT, Safouane Ben Aissa, économiste universitaire et Georges Ghorra, représentant résident de l’IFC, le débat étant modéré par Mouna Ben Halima, présidente de l’Atuge.

Une situation financière catastrophique

La Loi de finance 2021 (LF2021) a été votée avec beaucoup de difficultés et avec la promesse d’une loi de finances complémentaire qui n’a toujours pas été présentée. Les hypothèses de départ ne se sont pas réalisées. Côté dépenses, le budget a tablé sur un cours du pétrole à 45$ le baril, il frôle actuellement les 80$, soit environ 3 milliards de dinars supplémentaires à trouver.

Côté recettes, le budget s’est basé sur une croissance de 4%, taux qui ne sera pas atteint. Nous avons donc moins de recettes et plus de dépenses, et pour y faire face.

On choisit d’arrêter les investissements publics pour faire face aux dépenses de l’État, principalement les salaires et les caisses de compensation. Ce qui aboutit à des délais de paiement des entreprises privées qui se rallongent et des risques de faillites sur ces entreprises, avec toutes les conséquences sociales et financières.

Face à cette situation, où trouver les financements dans l’immédiat? Peut-on affirmer que le seul choix qui reste est la planche à billets? Quels seraient les risques et comment les minimiser? Quelles en seraient les limites? Quelles sont les alternatives envisageables?

C’est en brossant ce tableau catastrophique que Mme Ben Halima a posé les termes du débat.

La création monétaire alimente l’inflation

Safouane Ben Aissa explique que le financement direct Banque nationale de Tunisie (BCT)-Trésor public accordé l’an passé à hauteur de 2,8 milliards a alimenté l’inflation avec un effet à retardement.

Aujourd’hui toute création monétaire va servir à la consommation de biens importés, ce qui alimentera encore plus l’inflation.

La dette actuelle pourrait devenir soutenable si les financements se destinaient vers la machine de production, comme cela avait été le cas dans le passé. La dette avait toujours été corrélée à des projets structurants. A titre d’exemple, avant de parler des énergies renouvelables il faudrait penser à une ligne électrifiée sous-marine vers l’Italie pour acheminer notre production vers l’Europe. Ce qui nous manque c’est la rationalité économique pour assurer une relance pérenne et durable.

Nous avons épuisé tous les délais et il est urgentissime d’avoir une feuille de route économique claire, mais également sociale. Il ne pourra pas y avoir de relance si on entame une nouvelle ère de revendications sociales. La partie déjà utilisée des DTS du FMI a servi à payer les salaires de septembre ! Les 10 ans écoulés se sont limités à des effets d’annonces en matière de réformes, et même les quelques lois intéressantes votées sont toujours en attente des décrets d’application depuis 2018 : RSE, ESS, crowdfunding…

Si nous entamons de nouveau des discussions avec le FMI, deux chantiers sont incontournables: la convertibilité du dinar de manière progressive pour réduire la bulle entre le taux nominal et le réel; et le ratio masse salariale / PIB, qui doit descendre autour de 14%, soit via un plan social, ce qui est très compliqué à faire accepter aux syndicats, soit via la hausse du PIB si on se remet à produire.

La bonne nouvelle concerne les activités extractives qui accusent une hausse spectaculaire tant pour le gaz que pour le pétrole et le phosphate, nous en ressentirons les bénéfices à moyen terme.

La nomination d’une cheffe de gouvernement a inversé une tendance baissière depuis plusieurs semaines sur les Eurobonds de la dette tunisienne et nous devons concrétiser maintenant ces bonnes intentions.

Les financements internationaux ne sont plus accessibles 

Prenant la parole à son tour, Moez Labidi rappelle que la crainte du financement direct concerne son instrumentalisation à des fins électorales. Si la question s’impose aujourd’hui parce que la porte du FMI nous est fermée après 2 programmes inachevés, et les marchés internationaux ne sont plus accessibles : le taux d’intérêt sur la dette tunisienne dépasse les 15%!

Le choix de la planche à billets est un choix de lâches des décideurs politiques : lâcheté face aux syndicats ouvriers pour imposer une bonne gouvernance des entreprises publiques; lâcheté face au patronat pour combattre l’économie de rente qui gagne du terrain; lâcheté face à l’informel et au recouvrement, face aux barons du parallèle et au banditisme organisé; et, last but not least, lâcheté face aux blocages administratifs pour développer par exemple les énergies renouvelables.

Les dépenses d’investissements destinées à améliorer la qualité de vie des citoyens (santé, éducation, transport) sont supprimées en faveur des négociations salariales !

Les pays «amis» pourraient-ils sauver la mise ?

L’alternative au financement direct serait dans des négociations bilatérales avec certains pays «amis». Le FMI n’acceptera pas d’accord avec un gouvernement provisoire, il recherche la stabilité car son plan s’étale sur 3 ans. Si le gouvernement s’engage sérieusement dans une dynamique de réformes et arrive à convaincre de sa crédibilité, il se pourrait que le FMI nous soutienne en redéployant une partie des droits de tirage spéciaux, (DTS) affectés à d’autres pays riches.

La dette tunisienne est insoutenable parce que notre croissance est anémique et les taux auxquels nous empruntons sont exorbitants. Le rythme d’augmentation des recettes fiscales est nettement inférieur à l’augmentation du service de la dette, et cette situation ne peut durer. La seule solution durable est le retour de la croissance, par la relance de l’investissement.

Pour revenir sur les risques engendrés par le financement direct, l’exemple du Venezuela peut être cité, où le président populiste Maduro a affirmé «imprimer les billets pour corriger les inégalités dans le pays». L’inflation est passée de 21% en 2012 à 2719% en 2021, le salaire minimum est passé de 476$ à 2,5$ et ne suffit même pas à acheter 1kg de viande. L’autre risque est la dégradation de la note du pays. Il est également probable que l’accord avec le FMI en soit repoussé, surtout si l’on dépasse le seuil des 3 à 4% du PIB en financement direct. Ceci donne une petite marge de manœuvre, particulièrement si le financement direct est dédié à des projets structurants pour l’économie, dans lesquels la transition écologique aurait une part importante.

Pour un recours raisonnable à la planche à billets

De son côté, Georges Ghorra estime le «trou» dans le budget 2021 à 9 milliards de dinars, selon les chiffres présentés par le ministère des Finances. Les bailleurs ont hâte de soutenir la Tunisie mais ont besoin d’un partenariat crédible. La nomination d’une cheffe de gouvernement a été bien accueillie par les marchés et les bailleurs attendent la formation de son équipe et le démarrage d’une dynamique de réformes convaincante pour restaurer la confiance perdue et entamer des discussions, idéalement en faisant participer la société civile. Côté investissements publics et vu le peu de ressources dont dispose l’Etat, il faudrait solliciter le secteur privé via le PPP, pour créer de la croissance et des emplois. Avec une réelle volonté politique, cela peut se faire rapidement, à l’image de plusieurs autres pays : énergie solaire, traitement des eaux, infrastructure, transport…

Si la Tunisie venait à recourir à la planche à billets, dans la limite du raisonnable, il n’y a pas de risques de rupture du soutien des bailleurs.

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