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Habib Essid: «Mon premier objectif en tant que conseiller de Caïd Essebsi était d’évincer Youssef Chahed»

Habib Essid et Youssef Chahed au palais de Carthage, le 9 août 2016 : les couteux ne tarderont pas à être tirés.

Dans la tonne de langue de bois caractérisant habituellement les livres de mémoires des hommes politiques qui cherchent à embellir leur parcours et à en laisser une trace lumineuse dans l’histoire, comme ils voudraient qu’elle soit écrite, on trouve parfois, au gré des pages, des révélations et quelques pépites qui valent le détour.

Par Imed Bahri

C’est le cas des mémoires de l’ancien chef de gouvernement Habib Essid (6 février 2015–27 août 2016) «Hadith Edhakira» (en arabe, éd. Leaders, Tunis, novembre 2021, 492 pages), dont nous avons tiré dans un précédent article des éléments relatifs à l’attentat terroriste contre le musée du Bardo, le 18 mars 2015. Aujourd’hui, nous en évoquons les passages relatifs au court passage de l’intéressé comme ministre conseiller spécial auprès du président de la république chargé des affaires politiques (du 6 août 2018-1er novembre 2019) auprès de l’ancien président Béji Caïd Essebsi et aux manœuvres politicardes auxquelles il avait participé pour tenter de faire destituer le chef du gouvernement Youssef Chahed, son successeur à la Kasbah.

Humilié par Caïd Essebsi, lâché par Ghannouchi

Il convient d’abord de rappeler les conditions dans lesquelles M. Essid a été remercié, sans ménagement, par celui qu’il servira avec un zèle aveugle jusqu’au bout, même au prix de quelques humiliations. L’ancien chef de gouvernement a été poussé à la démission par une kabbale orchestrée contre lui par Béji Caïd Essebsi et son fils Hafedh, dont il ne satisfaisait pas tous les caprices, notamment en termes de nominations et de limogeages de hauts cadres de l’Etat, et le conseiller politique du chef de l’Etat, Noureddine Ben Ticha, qui lui lança un jour au téléphone : «Si vous ne démissionnez pas, on vous traînera dans la boue». Ambiance !

Lâché par Rached Ghannouchi, président du parti islamiste Ennahdha, alors allié de Béji Caïd Essebsi, il a dû donc jeter l’éponge après 1 an, 6 mois et 21 jours au poste où, du reste, il ne laissa pas un souvenir impérissable. On lui doit, entre autres, l’accord de prêt avec le FMI qui va ouvrir devant la Tunisie la porte de l’enfer du… surendettement extérieur, porte qui n’est pas près de se refermer.

Dire que M. Essid a été «chassé de la Kasbah» est presque un euphémisme. Ayant refusé de présenter sa démission comme on l’exigeait de lui et en des termes peu amicaux, il préféra remettre son mandat en jeu devant l’Assemblée des représentants du peuple, l’occasion d’un chant du cygne pour défendre son maigre bilan ou dans l’espoir naïf de voir les députés islamistes voler à son secours. Et c’est tout naturellement que le 30 juillet 2016, la représentation nationale, dont on connaît l’inconsistance, la versatilité et, surtout, la docilité de moutons de Panurge lui retira sa confiance, son gouvernement n’ayant reçu que le soutien de… trois députés.

Pourquoi en veut-il tant à Chahed ?

Ce rappel s’imposait pour expliquer que le retour de M. Essid sous la coupe du clan Caïd Essebsi qui l’avait humilié a choqué de nombreux Tunisiens qui ne comprenaient pas qu’il pouvait adorer à ce point ses «tombeurs». L’explication viendra dans les mémoires de l’intéressé publiées cette semaine.

C’est ainsi que le 6 août 2018, en plein été politiquement cruel entre les deux têtes de l’exécutif, Béji Caïd Essebsi et le jeune chef de gouvernement Youssef Chahed, sa «créature» qui s’est révolté contre lui et dont il n’arrive pas à se débarrasser, le locataire du palais de Carthage nomme Habib Essid ministre conseiller spécial chargé des Affaires politiques. Et dans ses mémoires, ce dernier révèle enfin que le premier objectif qu’il s’était fixé en prenant le chemin de Carthage était d’évincer son successeur à la Kasbah et de le faire remplacer par le ministre de la Défense Abdelkrim Zbidi, Sahélien comme lui, soit dit en passant. C’est ainsi, expliquera-t-il, qu’il a essayé de convaincre Rached Ghannouchi de mettre fin à son soutien au gouvernement Chahed et de faciliter ainsi sa chute. 

Le second objectif de M. Essid en allant à Carthage était, dit-il, de se débarrasser, dans une seconde phase (il pensait avoir l’éternité pour lui !) de Hafedh Caïd Essebsi, estimant sans doute, dans son immense indulgence à l’égard de Béji Caïd Essebsi, que ce dernier n’était pour rien dans son quasi-limogeage. Et là, il nous donne preuve éclatante de son manque de flair politique voire de sa naïveté, ce qui ne l’a sans doute pas aidé à durer à la Kasbah. Tous ses collaborateurs de l’époque vous le diront…

Quoi qu’il en soit, la manœuvre, dont on n’arrive pas à trouver d’autre raison que… régionaliste – le groupe hostile à Chahed était, à l’époque, n’ayons pas peur des faits, en grande partie composé de Sahéliens –, a finalement fait pschitt et Chahed restera en poste jusqu’au 27 février 2020. Il «survivra» à Béji Caïd Essebsi, qui décédera le 25 juillet 2019, et à son fils, l’un des piliers de la corruption dans le pays, qui prendra le chemin de l’exil volontaire quelques jours après le décès de son père : il y est d’ailleurs encore.

Quant à Habib Essid, il ne nous restera qu’à admirer sa franchise : il assume tout dans son parcours politique, y compris les petitesses, dont la vie des acteurs politiques n’est jamais exempte, les croche-pieds et les coups bas assénés à ses adversaires.

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