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Tunisie : Ennahdha n’a pas fini d’enquiquiner Kaïs Saïed

Le futé Rached Ghannouchi sait rester en embuscade, en attendant le jour où la patience de la rue tunisienne montrera ses limites et se retournera contre Kaïs Saïed.

Il ne faudrait peut-être pas aller trop vite en besogne et mettre définitivement à l’écart Ennahdha. Le parti islamiste a plus d’un tour dans son sac et il l’a prouvé à plusieurs occasions. Certes, depuis l’élection de Kaïs Saïed, et peut-être même avant cette date, les conditions n’ont plus été favorables pour les Nahdhaouis, mais le gourou de Montplaisir, quartier d’affaires au centre-ville de Tunis où se trouve le siège de la secte islamiste, n’ont pas dit leur dernier mot…

Par Moncef Dhambri *

La réalité du terrain donne clairement à voir qu’Ennahdha n’a pas baissé les bras. Il est vrai que Kaïs Saïed a renversé la table, en cette fameuse journée du 25 juillet 2021, qu’il détient aujourd’hui la totalité des pouvoirs –ou presque– et qu’il surfe encore sur une vague de popularité très élevée –s’il est encore permis de faire confiance aux résultats des sondages d’opinion.

Cela suffit-il pour déclarer que le locataire du Palais de Carthage a plié le match, qu’il est vainqueur et que l’on pourrait passer au chapitre suivant ?

Il faudrait bien plus que cela…

Ce serait trop facile. Le wishful thinking (vœu pieux) des anti-nahdhaouis de voir Ennahdha disparaître, une bonne fois pour toutes, de la circulation ne se réalisera pas par la simple élection d’un Kaïs Saïed –si intègre, si ferme et si assuré soit-il ! –, par son vague «le peuple veut», par son interprétation de l’article 80 de la Constitution et les différents décrets qu’il a mis à exécution, depuis le 25 juillet dernier. Il faudrait bien plus que cela pour mettre un terme définitif à l’activisme des islamistes, sans parler de leur idéologie, de leur organisation, leurs structures et leur socle électoral. Tout cela a une longue histoire; tout cela a des enracinements.

De plus, être nahdhaoui est le choix spirituel de toute une vie… Epouser l’islam politique ainsi que le font les Nahdhaouis ne laisse aucun espace au doute sur cette adhésion. Cette dernière est définitive –quoi que puissent en dire les résultats de quelques enquêtes d’opinion ou l’issue de quelques élections…

Qu’observons-nous donc actuellement ? Tout simplement, après le choc initial du 25 juillet, où ils ont donné l’impression de prendre peur et de se terrer, les Nahdhaouis n’ont pas fini d’enquiquiner Kaïs Saïed. Ils parviennent toujours à refaire surface et même à reprendre l’initiative. Il semble aussi que leur théorie du «coup d’Etat» trouve de plus en plus d’adeptes, que leurs rangs se resserrent et qu’ils pourraient aller jusqu’au bout du bout… D’autant qu’ils ont le dos au mur, donc rien à perdre et tout à gagner.

L’amateurisme politique, le populisme de quat’ sous du chef de l’Etat et son obsessionnelle crainte de tous les autres permettent au gourou de Montplaisir de marquer des points. Certes, cela ne change pas la donne de manière significative, mais ces points, même petits, accordent un sursis supplémentaire à Ennahdha et lui permettent de jouer encore les prolongations. Sait-on jamais?

Les faiblesses de Saïed, la force de ses opposants

Laisser, par exemple, les gouverneurs de Ben Arous et de Tunis faire cavaliers seuls, c’est-à-dire agir avec trop de maladresses –le premier pour expliquer les «subtilités» techniques de la consultation et du référendum populaires; le second pour justifier l’interdiction des rassemblements et manifestations populaires, par ces temps de montée en flèche de la contamination au Covid-19–, ces faux pas, et bien d’autres, donnent facilement raison aux adversaires de M. Saïed… et servent d’argument massue à ceux qui, de plus en plus nombreux, dénoncent le retour de la dictature en Tunisie…

Ennahdha et ses alliés ont également trouvé d’autres fragilités chez le locataire du Palais de Carthage, notamment sa gestion des sérieux dossiers économiques et financiers du pays.

Nous savions tous que la Tunisie a été ruinée, que les caisses sont vides, que nos créanciers ont perdu patience et que les investisseurs ne souhaitent plus miser sur notre pays. Nous savions tout cela. Mais, quelle alternative Kaïs Saïed offre-t-il pour sortir la Tunisie de cet abîme? Aucune solution sérieuse ou presque. A longueur de monologues, il dit et répète que le peuple a été spolié et des milliards et des milliards dorment dans les coffres de banques étrangères et promet de les récupérer… Il dit et redit, à qui veut le croire, que la Tunisie est riche et que bientôt elle le sera encore plus…

Au diable Oummek Sannafa et vive la Tunisie souveraine !

Kaïs Saïed, qu’a-t-il vraiment changé dans le réel du quotidien des Tunisiens? Pas grand-chose, il faut le reconnaître.

Il a signé un budget de l’Etat de 2022 en accompagnant cet OK par un «je ne suis pas convaincu» qui en dit long sur son manque de compétence en économie et finances. Pour gouverner un pays comme la Tunisie, force est de constater qu’il ne suffit pas d’être un brillant constitutionnaliste capable de faire dire à un texte de loi ce que l’on veut. Il faut plus que cela, bien plus que cela.

Nourrir «le peuple qui veut» de slogans creux peut servir un certain agenda pendant un certain temps, mais il ne saurait être indéfiniment inusable. Tous les populismes ont une fin. Et ceux qui ne portent pas Kaïs Saïed dans leurs cœurs comptent bien sur cette usure du temps.

Rached Ghannouchi, dans sa tanière, attend ce basculement, c’est-à-dire le jour où la patience de la rue tunisienne montrera ses limites et qu’elle se retournera contre l’homme du 25 juillet 2021.

* Universitaire à la retraite et journaliste.

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