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« Shake Hands with the Devil » : au Rwanda, le diable n’est pas Tunisien*

Partout où ils ont été déployés, les casques bleus tunisiens n’ont pas démérité. Le témoignage du lieutenant-général canadien Roméo Dallaire en est la preuve.

Le Commandant Mohamed Ben Belgacem est cet officier qui, à la tête du contingent tunisien de la force des Nations Unies pour le Rwanda, avait en 1994 assuré une mission du maintien de la paix au Rwanda dans les difficiles conditions qui avaient conduit au déclenchement de la guerre civile et des massacres interethniques dans ce pays.

Par Dr Mounir Hanablia *

En dépit des demandes répétées du Commandant en chef du contingent de l’Onu, le lieutenant-général canadien Roméo Dallaire, le secrétaire général de l’époque, l’Egyptien Boutros-Boutros Ghali, et son responsable pour l’Afrique, Kofi Annan, avaient réduit l’effectif des forces mises à sa disposition, faute de moyens. Et avec le début des hostilités, plusieurs centaines de civils avaient trouvé refuge dans les locaux de l’hôpital Roi Fayçal de la capitale rwandaise Kigali, sous la protection du seul contingent tunisien, composé de soixante soldats.

Le sérieux et la discipline du contingent tunisien

Les soldats du Front patriotique rwandais (FPR), l’une des parties en conflit, disposant d’armement lourd, avaient encerclé l’hôpital, et exigé d’y pénétrer. Les soldats tunisiens, armés de fusils et de pistolets, avaient répliqué qu’ils avaient ordre de ne laisser passer personne, et qu’ils s’opposeraient à quiconque tenterait de le faire.

Finalement les Rwandais, bien plus nombreux et puissamment armés, avaient jugé préférable de se retirer.

Cet incident avait confirmé le jugement du général canadien, selon lequel il n’avait pu réellement compter pendant sa présence au Rwanda que sur le sérieux et la discipline du contingent tunisien et de son commandant.

En fait, la mission assignée aux forces de l’Onu avait été à l’origine de maintenir la paix et de veiller à la tenue des élections prévues par les accords de Dar Es Salaam entre le gouvernement d’une part, et le FPR de l’autre. Ces accords avaient fait suite à la brève guerre qui avait opposé les deux parties et qui avait été interrompue avec la défaite des forces gouvernementales soutenues par la France, face aux insurgés anglophones venus d’Ouganda, que d’aucuns avaient accusés d’être des unités de l’armée régulière ougandaise.

A la veille des élections, les hommes de Paul Kagame, un officier rwandais qui avait fait ses classes dans l’armée ougandaise puis effectué un stage aux Etats-Unis à fort Worth, avaient déjà conquis 30% du pays.

La longue marche de Paul Kagame

De l’avis de tous les spécialistes, le FPR possédait les moyens nécessaires pour prendre le pouvoir, et cela signifiait bien qu’il n’avait nullement besoin de la tenue des élections prévues pour réaliser ses objectifs. C’est dans ce contexte tendu que les présidents du Rwanda et du Burundi perdirent la vie dans un accident d’avion près de Kigali, à leur retour de Dar Es Salaam.

Accident ? Sabotage ? tir de missile ? La question demeure près de 30 années plus tard, toujours débattue. La certitude demeure que cette mort initia ce que l’on nommerait plus tard à travers le monde le génocide Tutsi par les milices Hutues dites interhamwe, contrôlées par la gendarmerie rwandaise, et enflammées par les discours haineux de la radio des Mille Collines. Elle marqua également le début de la conquête militaire du pays et de la capitale par les hommes de Paul Kagame. Et celle-ci fut à peine ralentie par la décision du président François Mitterrand d’envoyer des troupes aéroportées dans le cadre de ce qu’on appellerait Opération Turquoise, «pour des raisons humanitaires», afin de constituer une zone protégée accueillant les civils. Mais accusée par la presse anglo-saxonne de soutenir les génocidaires, la France allait rapidement rapatrier ses soldats.

En fait, il était très vite apparu aux Français que le FPR recevait une aide massive des Etats-Unis, et que rien ne pourrait changer le cours des événements. Paul Kagame, le militaire diplômé de Fort Worth, finit par prendre un pouvoir qu’il conserve toujours trente années plus tard, sans objection de ses protecteurs américains. Et quiconque aujourd’hui remet en cause la version des faits le présentant comme le sauveur miraculeux du Rwanda et des Tutsis, et l’homme de la réconciliation, et enquête sur des massacres contre les Hutus, se voit à son tour accusé de soutenir le génocide rwandais.

L’enquête du Tribunal pénal international se fit uniquement à charge contre les officiels hutus de l’ancien gouvernement rwandais, conformément aux souhaits de Washington, il faut bien le souligner. Il n’intéressait personne de savoir dans quelle mesure, des Hutus avaient également été massacrés.

L’honneur intact des casques bleus tunisiens

La récente reconnaissance par le président Macron de la responsabilité (morale) de son pays, dans le génocide des Tutsis, a certes consolidé la position de son collègue rwandais. L’Onu, ou la Belgique, qui avaient retiré leurs soldats, n’avaient pas eu ce courage, ou cette inconscience.

Il n’empêche, le livre du général canadien Dallaire a bien été écrit quelques années après les évènements, à un moment où il commençait psychologiquement et moralement à émerger des souvenirs des milliers de cadavres qu’il avait croisés au cours de ses pérégrinations rwandaises, et du terrible sentiment de culpabilité qui l’assaillait. Mais à le lire, il semble bien qu’il eût l’intuition que le diable avait été tous ceux issus de toutes les parties, avec qui il avait échangé des poignées de mains, y compris et surtout, les responsables de l’Onu qui l’avaient envoyé accomplir une mission en le privant des moyens nécessaires à sa réussite.

Dans ce sanglant méli mélo, l’armée tunisienne, à travers son modeste contingent, a, selon le propre témoignage du général canadien, gardé son honneur intact. Il y a un  grand sentiment de fierté à le rappeler.

* Médecin de libre pratique.

«Shake Hands with the Devil», Roméo Dallaire, éd. Random House Canada, septembre 2003, 562 pages.

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