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Avons-nous aujourd’hui en Tunisie de vrais hommes et femmes d’Etat ?

Une énième réunion entre le gouvernement et la direction de l’UGTT : pour quoi faire ?

Les hommes et les femmes d’Etat se reconnaissent à la détermination qu’ils montrent dans la défense de l’intérêt général contre les intérêts corporatistes et particuliers. Avons-nous vraiment aujourd’hui, en Tunisie, des hommes et des femmes d’Etat ? Qu’on nous permette d’en douter, avec tout le respect que l’on doit à Kaïs Saïed, Najla Bouden et tous les autres qui ont aujourd’hui la charge de l’Etat et qui se contentent de tourner en rond, en laissant le pays s’enfoncer chaque jour davantage dans la crise…

Par Ridha Kefi

Alors que la situation des finances publiques continue de se dégrader et que la crise des liquidités menace de bloquer l’économie tunisienne, la cheffe du gouvernement Najla Bouden continue à louvoyer en direction de la direction de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) dans l’espoir d’obtenir son très improbable accord sur les réformes structurelles que tous ses prédécesseurs étaient incapables de mettre en route et qu’elle est bien obligée aujourd’hui d’implémenter dans l’urgence. Car il y a péril en la demeure…

Dans ce cadre, Mme Bouden a présidé, vendredi 4 janvier 2022, une séance de travail entre le gouvernement et le bureau exécutif de l’UGTT, conduit par le secrétaire général de l’organisation syndicale, Noureddine Taboubi.

Improbables réformes structurelles

Au début de la rencontre, la cheffe du gouvernement a souligné l’importance du rôle social, économique et politique occupé par l’UGTT, réitérant la volonté du gouvernement de travailler conjointement avec toutes les organisations nationales et de respecter la tradition de concertation et de dialogue franc et responsable entre le gouvernement et le syndicat sur toutes les questions vitales qui préoccupent les Tunisiens. Voilà pour la langue de bois officielle, qui ne convainc ni n’endort personne, mais il reste l’essentiel, et c’est là ou le bât blesse.

Et l’essentiel, c’est, on l’a compris, le document préliminaire du programme de réformes structurelles préparé par le gouvernement, et qui doit être présenté au Fonds monétaire international (FMI) en appui de la demande d’un nouveau prêt présentée par la Tunisie, a été au centre de cette réunion. Ainsi, bien sûr, que les revendications sociales des travailleurs restées en suspens, eu égard la situation difficile actuelle des finances publiques.

Ces réunions entre un gouvernement aux abois et qui ne voit pas le bout du tunnel et une centrale syndicale dont la direction a la tête ailleurs, car elle est surtout soucieuse de faire réussir son prochain congrès prévu les 16, 17 et 18 février à Sfax et qui devait aboutir au maintien de l’actuelle direction, ne servent qu’à faire durer l’illusion d’un possible accord avec l’UGTT sur les réformes envisagées.

Or, à ce propos, rien n’est garanti. Et pour cause : la centrale syndicale a toujours exprimé son rejet catégorique de toutes les réformes proposées par le gouvernement, tout en réitérant ses revendications d’augmentations salariales.
Dans le même temps, le FMI et les autres bailleurs de fonds, qui ont perdu confiance dans les capacités du gouvernement tunisien à honorer ses engagements, exigent entre autres, un rééquilibrage des finances publiques grâce, notamment, à une réduction de la masse salariale de la fonction publique, une révision de la politique de compensation des matières dites de première nécessité et une restructuration des entreprises publiques en quasi-faillite et qui grèvent lourdement le budget de l’Etat.

Mme Bouden brasse du vent

Autant dire donc que l’accord désespérément recherché par le gouvernement avec l’UGTT est impossible à obtenir et que cette impossibilité que Mme Bouden et les autres membres de son gouvernement ont du mal à admettre
rendra hypothétique toute possibilité d’obtention de nouveaux prêts de la part des bailleurs de fonds internationaux et à leur tête le FMI.

La réunion de vendredi, qui a permis à Mme Bouden de brasser du vent en s’armant de sa plus belle langue de bois, n’aura finalement servi qu’à prouver s’il en est besoin l’impuissance du gouvernement à ouvrir une brèche dans la détermination de l’UGTT à bloquer toute tentative de réforme pouvant porter atteinte à ses intérêts corporatistes. Mais jusqu’à quand va se poursuivre ce dialogue de sourds qui ne dupe personne ?

En son temps, le président Zine El-Abidine Ben Ali, qui était entouré d’excellents économistes et non de rigolos, n’avait pas attendu l’accord de l’UGTT pour prendre les mesures nécessaires à la relance de l’économie et on ne peut pas dire qu’il a mal fait les choses, puisque, grâce au plan d’ajustement structurel conclu avec le FMI en 1986 et à l’accord d’association avec l’Union européenne, signé en 1996, il a permis, n’en déplaise à certains «révolutionnaires», à l’économie tunisienne de renouer avec la croissance et de réaliser un taux annuel moyen de 5 à 6% du PIB pendant une bonne vingtaine d’années. Et le pays a non seulement réussi à sortir la tête de l’eau, mais il a fait mieux : il a réalisé un début de prospérité dont les classes moyennes en général et les membres de l’UGTT en particulier ont beaucoup profité. Et cela était tellement apprécié des observateurs internationaux que la Tunisie est parvenue à se classer parmi les pays pré-émergents et, ainsi, attirer d’importants investissements extérieurs. (1)

Qui défendra l’intérêt général ?

C’est à ce genre de détermination dans la défense de l’intérêt général contre les intérêts corporatistes et particuliers que se reconnaissent les hommes et les femmes d’Etat. Avons-nous vraiment aujourd’hui des hommes et des femmes d’Etat? Qu’on nous permette d’en douter, avec tout le respect que l’on doit à Kaïs Saïed, Najla Bouden et tous les autres qui ont aujourd’hui la charge de l’Etat et qui se contentent de tourner en rond, en laissant le pays s’enfoncer chaque jour davantage dans la crise…

1- En signant l’accord d’association avec l’Union européenne, en 1996, Ben Ali n’a pas non plus demandé l’avis de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica). Dans un entretien que je lui ai fait alors dans «Jeune Afrique», le patron des patrons de l’époque, Hedi Djilani, a reproché au gouvernement ses «cachotteries» parce qu’il n’a pas jugé nécessaire de se concerter avec les chefs d’entreprises qui sont les premiers concernés par l’accord. Quelques jours après la parution de l’entretien, M.  Djilani m’a téléphoné pour me dire que ses propos ont fait grincer des dents, non pas à la Kasbah mais à Carthage, et qu’il voulait faire une déclaration pour nuancer ses propos et souligner l’intérêt que l’Utica accordait à l’accord d’association avec l’Union européenne. Autre temps, autres mœurs. Les choses ont changé, mais est-ce en bien ?

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