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Tunisie : Comment Fadhel Abdelkefi pourra-t-il décoller dans les sondages ?

Fadhel Abdelkefi a le droit, en tant que citoyen, de faire de la politique et de penser qu’il a un destin national qui l’appelle, une mission à accomplir ou une dette à honorer envers son peuple. Mais il est suffisamment intelligent pour comprendre que le parcours d’un homme politique n’est jamais balisé et que, dans la course d’obstacles qu’il a entamée depuis son entrée au gouvernement en 2016 et le goût qu’il prit pour le pouvoir cette course ne fait que commencer et que la route pour le palais de Carthage sera cahoteuse.

Par Ridha Kéfi

Dans le plaidoyer pro domo qu’il a publié hier, dimanche 30 janvier 2022, sur sa page Facebook, suite à son passage dans l’émission «Jaoueb Hamza» sur Mosaïque FM, Fadhel Abdelkefi a tenté de balayer d’un revers de la main, et sur un ton guoguenard et dédaigneux, les griefs que retiennent contre lui certains de ses compatriotes, notamment son inexplicable soutien à Nabil Karoui.

En tant qu’ancien ministre des Finances, M. Abdelkefi connaissait bien les pratiques illégales de cet évadé fiscal notoire, poursuivi en justice dans des affaires de corruption et de blanchiment d’argent, et qui n’a pas trouvé mieux pour donner raison à ses détracteurs que de fuir la Tunisie clandestinement.

Effacer les taches et faire oublier les erreurs

Cela pour dire que M. Abdelkefi aurait pu faire amende honorable et s’excuser auprès des électeurs dont il sollicite aujourd’hui le soutien pour cette grave erreur que, par manque d’expérience, il a commise.

Un homme politique authentique, ça se reconnaît à son courage intellectuel et à sa capacité à reconnaître ses erreurs et à les faire pardonner. Aussi M. Abdelkefi aurait-il pu s’excuser pour avoir soutenu son «ami» Nabil Karoui, contre vents et marées, et surtout contre l’intérêt supérieur de la nation qu’il veut aujourd’hui conduire vers le bonheur national.

Cela aurait juste demandé un peu de courage et d’honnêteté et les Tunisiens, amnésiques qu’ils sont habituellement, auraient bien pu lui pardonner une «erreur de jeunesse» et passer l’éponge, mais M. Abdelkefi, dont l’égocentrisme n’est pas le moindre défaut, à l’instar de la plupart des acteurs politiques tunisiens actuels, préfère la fuite en avant dans la dénégation. Et ce n’est pas la démarche la plus appropriée pour redorer son blason et corriger une image écornée.

Une précieuse fibre économique

Cela dit, M. Abdelkefi, ci-devant président du parti Afek Tounes, reste l’un des hommes politiques les plus crédibles en Tunisie et les plus à même de conduire l’étape actuelle, marquée par une profonde crise économique et qui exige un timonier connaissant les rouages des finances internationales et, surtout, capable de concevoir des politiques d’assainissement et de redressement, susceptibles de sortir la Tunisie de l’ornière de la crise et de lui impulser une nouvelle dynamique de croissance, comme celles qu’elle avait connues, dans les années 1970, sous la férule de Hedi Nouira, ou les années 1990, avec Zine El-Abidine Ben Ali.

Malheureusement, si le financier qui rêve de destin national a encore du mal à décoller dans les sondages d’opinion, c’est parce qu’il traîne des boulets de fer dont il peine à se défaire. Et parmi ces boulets, son image de fils de bonne famille à qui tout réussit, qui passe mal parmi le petit peuple. Ce n’est certes pas de sa faute, mais il est tenu de faire oublier cette image ou d’en faire plutôt un atout.

Par ailleurs, le langage de vérité qu’affectionne M. Abdelkefi, surtout quand il parle des enjeux économiques, et qui est censé être une marque d’honnêteté, passe mal auprès d’une grande partie des Tunisiens, qui préfèrent être bercés par les promesses soporifiques des populistes et trompés par les effets de manche des illusionnistes.

Dans son post d’hier, Fadhel Abdelkefi a beau pointer les «discours qui divisent et qui accusent les autres de trahison», sans apporter de vraies solutions aux problèmes des gens, faisant ainsi allusion au président de la république Kaïs Saïed. Il a beau aussi affirmer que «les citoyens cherchent aujourd’hui des personnes qui apportent des solutions rationnelles et réalistes pour améliorer leur vie et celle de leurs enfants», dans une limpide allusion à sa propre personne, le problème de la Tunisie, c’est que ce sont les premiers qui tiennent aujourd’hui le haut du pavé. C’est à croire qu’en démocratie, les gens adorent ceux qui les bernent et les roulent dans la farine.

Ecouter le pays profond

Cette réalité, Fadhel Abdelkefi semble l’avoir assimilée et en avoir tiré les conclusions qui s’imposent, notamment en cherchant à se rapprocher davantage des gens, dans les régions intérieures et les quartiers populaires des grandes villes qu’il sillonne, en jeans et blouson. Il ne cherche pas seulement ainsi le contact physique avec ses éventuels électeurs. Mais il essaie aussi de les écouter, de connaître leurs problèmes, de prendre note de leurs doléances et de leur expliquer sa vision d’un redressement national dont il estime posséder les clés.

L’homme a pris enfin conscience qu’en démocratie, un destin national ne se forge pas dans les beaux hôtels de la banlieue nord de Tunis, dans les salons de thé huppés des Berges du Lac, les belles demeures des quartiers chics de Tunis, les bureaux feutrés des lobbyistes faiseurs de rois autoproclamés ou encore les dîners arrosés dans les chancelleries étrangères… Et ce n’est là que le début : Habib Bourguiba l’avait compris depuis les années 1930. Kaïs Saïed lui a emboîté le pas en 2011 avec le résultat que l’on sait. Ainsi que la présidente du Parti destourien libre (PDL), Abir Moussi, l’héritière légitime du «bourguibisme», qui talonne le président dans les sondages, alors que son parti est donné vainqueur des législatives.

Le chemin est long et les marcheurs trop pressés trébuchent et se cassent la gueule avant la ligne d’arrivée…

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