Encore une fois, le président de la république Kaïs Saïed a parlé hier, jeudi 24 février 2022, en ouverture du conseil des ministres au palais de Carthage, des «traîtres», dont certains sont financés de l’étranger, qui complotent contre le peuple tunisien et menacent son gagne-pain. Mais qu’est-ce qui empêche l’Etat, avec tous les moyens dont il dispose, de mettre ces derniers hors d’état de nuire ? Et de redéployer ses faibles ressources de manière à mieux satisfaire les besoins de ses administrés ?
Par Samir Gharbi
Si la morale prévalait… la Tunisie ne serait pas dans cet état… Je me suis toujours interrogé sur l’impact des valeurs morales religieuses dans des pays qui se disent à 99% musulmans… Pourquoi dans ces pays, les adeptes de l’islam, ou une bonne partie d’entre eux, ne pratiquent pas, dans leurs actes quotidiens, les préceptes moraux, ne les appliquent dans leur vie familiale, amicale, professionnelle… car si la majorité le faisait, ça se saurait immédiatement : l’impact sera immédiat sur la qualité de vie au sein des familles, des quartiers et dans l’ensemble du pays, avec des effets positifs immédiats sur le commerce et l’économie en général !
Patriotes sincères ou fieffés hypocrites
S’ils ne se sentent pas responsables, alors qu’ils disent qui sont ceux et celles qui spéculent à longueur de journée sur l’alimentation des Tunisiens, qui montent des opérations pour s’enrichir aux dépens de leurs compatriotes ou pour saper la sécurité du pays, opérations qui coûtent des milliards de dinars en termes de fraude (manque à gagner) et de dépenses (défense et surveillance du territoire national)… Qui sont ceux et celles qui se lèvent chaque matin pour prier et qui ensuite échafaudent des «plans» contre les institutions et les personnes qui dirigent l’Etat…
N’ont-ils aucune conscience que ce qu’ils font est contraire à la morale préconisée par Allah et son prophète Mohamed ? Une morale écrite et maintes fois répétée tous les jours dans les mosquées : faites le bien, évitez le mal, ne mentez pas, ne trichez pas, ne colportez pas des racontars, ne trahissez pas votre famille, votre patrie !
Pensent-ils qu’en faisant cinq prières par jour et en ânonnant des sourates, Allah va leur pardonner leurs pêchés au Jour dernier ? Allah, dit, qu’Il ne pardonne jamais aux hypocrites…
L’Etat et la gestion du culte
L’Etat qu’ils veulent détruire consacre pourtant beaucoup d’argent chaque jour à «l’entretien» des lieux de prière et à la rémunération des employés du culte musulman, des écoles coraniques et des centres de recherches islamiques… Ce sont les contribuables qui paient pour tout cela… Le budget du ministère des Affaires religieuses est passé à 172,3 millions de dinars en 2022, en hausse continuelle depuis dix ans (149 MD en 2020, 164 MD en 2021).
Savez-vous que, pour l’année en cours, le budget consacré au culte musulman est supérieur à celui de la présidence de la République (170 MD), à celui du ministère du Tourisme (166 MD) ou à celui du ministère des Technologies de la communication (144,3 MD) ?
Savez-vous que l’Etat lui-même ne parvenait plus, de l’aveu du ministre titulaire, à payer les factures d’électricité des mosquées, dont les impayés s’élevaient à 18 MD au 28 mai 2021 (date de l’audition du ministre des Affaires religieuses à l’Assemblée) ?
Savez-vous que la Tunisie comptait, à la fin de juillet 2020, 4 833 mosquées, contre 3 595 en 2010, soit une augmentation moyenne de 120 nouvelles mosquées par an depuis 2011 ?
Savez que les privés construisent, mais que c’est l’Etat qui paie l’entretien, l’équipement et le personnel… jusqu’à la fin des temps !
Pourquoi l’Etat n’oblige-t-il pas ces «bienfaiteurs» à poursuivre leur action bienfaitrice («sadaka jariya») en finançant le fonctionnement de la mosquée qu’ils construisent, selon leur bon vouloir, pendant au moins cinq années… ?
N’est-il pas temps que les uns et les autres prennent leurs responsabilités devant Dieu.
Ceux qui financent la construction de ces «maisons d’Allah» de leurs deniers personnels espèrent être récompensés par une place au paradis… Mais, c’est l’Etat, et avec lui tous les contribuables, aujourd’hui confrontés à l’enfer de l’inflation et de la baisse du pouvoir d’achat, qui vont devoir continuer à casquer ad vitam aeternam.
Il y a là comme un problème de gestion publique qu’aucun responsable politique n’a eu le courage jusque-là d’affronter en essayant de trouver des solutions de financement du culte musulman plus adaptées et éthiquement plus acceptables, car la Nation, aujourd’hui dans le besoin (et c’est le cas de le dire), a beaucoup d’autres dépenses à honorer : éducation, santé, infrastructures… Sans parler des salaires d’une armada de fonctionnaires publics (y compris les imams et les prédicateurs).
Pour mémoire
En 1956, l’Etat bourguibien a dissous les associations habous pour reprendre en main les lieux de culte. Et c’était tant mieux à cette époque fragile. Mais les choses ont évolué depuis… La gestion de la foi musulmane est devenue un poids lourd dans le budget de l’Etat. D’un simple «service» rattaché à la Présidence ou au ministère de l’Intérieur, les affaires religieuses ont eu, en 1989, un secrétariat d’Etat et depuis 1992, un ministère à part entière.
Nombre de mosquées en Tunisie enregistrées officiellement à la fin juillet 2020.
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