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Guerre en Ukraine : Israël court deux lièvres à la fois

Poignée de main de Naftali Bennett et Vladimir Poutine.

En s’invitant comme médiateur potentiel dans la guerre entre la Russie et l’Ukraine, Israël ne cherche nullement à rétablir la paix mondiale ou à faire respecter le droit international qu’il piétine tous les jours sous ses pieds. Il ne cherche pas non plus à voler au secours d’un président juif, l’Ukrainien Volodymyr Zelensky en l’occurrence. Il cherche plutôt à garantir la venue dans l’Etat Juif de quelque centaines de milliers de juifs d’Ukraine et de Russie.

Par Dr Mounir Hanablia *

Le gouvernement de l’Etat d’Israël s’est retrouvé lors de cette guerre russo ukrainienne, ou de cette invasion russe si on veut se conformer au sens du vote de l’Onu, pris en tenailles entre les nécessités de respecter le droit International à l’instar des pays occidentaux très pressants sur ce dossier, dont il considère faire partie, et entre la volonté de ne pas prendre position vis-à-vis de deux pays avec qui il entretient des relations cordiales, dont l’élite de sa propre population, les Ashkénazes, sont originaires, et qui sont habités l’un et l’autre par deux importantes communautés juives.

L’Etat d’Israël entretient en effet une relation très ambiguë avec le droit International auquel il doit pourtant sa naissance et sa reconnaissance par les autres pays, et qu’il a souvent ignoré dès lors qu’il s’agissait du conflit israélo-palestinien ou israélo-arabe.

Le Premier ministre israélien Naftali Bennett, un haredim (juif religieux), a ainsi enfreint les règles du Shabbat en prenant l’avion pour Moscou puis Kiev, pour rencontrer les présidents Poutine et Zelensky. On a justifié cette entorse aux normes rabbiniques par un commandement impérieux et indiscutable, la nécessaire sauvegarde de la vie humaine.

La littérature talmudique est riche de ces questions que, depuis la dispersion du peuple juif, les fidèles n’ont pas cessé de poser à leurs rabbins relativement aux dérogations aux règles du Shabbat imposées par les nécessités de la vie chez les nations, les autres.

Selon le Professeur Israël Shahak, ce qui ne saurait être controversé est la définition de la vie humaine dans la littérature rabbinique, en tant qu’attribut réservé au seul juif, une réalité que les rabbins nient souvent en Israël, mais qu’on enseigne aux soldats.

La médiation israélienne entre Poutine et Zelensky

L’autre question épineuse dont le Talmud a sans aucun doute dû se préoccuper, sans justifier une suspension du Shabbat, est celle de savoir dans un conflit entre un juif et un goy, s’il serait licite, pour un autre juif dans une position d’arbitre, de statuer à l’encontre son propre coreligionnaire.

Eu égard à cela, on peut comprendre que dans sa médiation entre Poutine et Zelensky, pris en sandwich, Bennett ne se soit pas trouvé dans une position très confortable.

L’Ukraine est un pays qui assume un lourd passif historique avec les juifs depuis le soulèvement anti-polonais du héros national Bogdan Chmelnecki en 1648 et le grand pogrom qui en avait résulté. Les juifs avaient ainsi payé leur rôle de collecteurs d’impôts au profit des seigneurs polonais, contre les misérables serfs ukrainiens. Et durant l’occupation nazie des miliciens ukrainiens avaient activement participé à la «solution finale», en particulier à Babyn Yar.

Après la «révolution orange» il est apparu que le président Porochenko élu à la tête du pays était soutenu, pour ne pas dire commandité, par des groupes nazis ukrainiens violents entretenant la terreur dans le Donbass et ailleurs, avec lesquels la sous-secrétaire d’Etat américaine Barbara Nolan avait eu des contacts publics répétés. Ce sont ces groupes qui avaient été responsables de l’incendie de la Maison des Syndicats d’Odessa au cours duquel des russophones étaient morts brûlés vifs, de peur de tomber entre leurs mains.

M. Poutine n’a pas entièrement tort

M. Poutine n’a donc pas entièrement tort de parler de nazis comme il l’a fait. Pourtant l’argument qui est repris actuellement est que l’entente avec Poutine est nécessaire pour avoir «une liberté d’action» en Syrie, et que l’Ukraine est certes un pays au passé antisémite mais qui a cessé de l’être en devenant démocratique et en élisant un président juif, Zelensky.

Depuis l’invasion, celui-ci a certes acquis la stature d’un héros national ukrainien, en appelant à la résistance et en refusant de partir pour l’étranger. Cependant c’est la signification de son élection qui demeure controversée; le poids des réseaux sociaux se fait sentir désormais dans toute élection à travers le monde, ainsi que l’a prouvé celle de Donald Trump avec l’intervention de Cambridge Analytica, et on ignore dans quelle mesure Zelensky n’en a pas lui-même tiré profit.

D’autre part, les Ukrainiens lassés par la corruption de leur élite politique peuvent très bien avoir été convaincus de la nécessité de choisir une nouvelle personnalité, de surcroît juive, dans l’espoir d’attirer les bailleurs de fonds juifs avec le soutien américain.

Dans ces conditions ce serait plutôt un cliché antisémite qui aurait prévalu dans l’électorat, celle du rapport des juifs avec la finance internationale. Et la réalité est que même en Tunisie, l’idée que René Trabelsi eût été utile à la tête du gouvernement, pas seulement à cause de son indéniable sérieux et de son efficacité, procède de la même analyse.

Israël cherche toujours son intérêt

Seulement après leurs discussions, le président Zelensky a bien précisé que Bennett ne se drapait pas des couleurs ukrainiennes; il voulait sans doute se référer au refus israélien de lui fournir les armes défensives nécessaires pour la défense de son pays. Et en effet, relativement aux vies qu’il désirait sauver au point de gâcher son Shabbat, le Premier ministre israélien n’était pas en contradiction avec ses convictions, puisqu’ il y avait des juifs, 350.000 Ukrainiens et 500.000 russes, dont il désirait obtenir le départ vers Israël. On ne voit évidemment pas où il pourrait les accueillir, hormis dans les territoires palestiniens confisqués. Quant aux emplois qu’ils pourraient occuper, selon toute apparence, l’Etat Hébreu compte sur une forte croissance économique afin de les intégrer, et cela en période de récession globale est assez remarquable.

Il faut reconnaître qu’avec la hausse du prix du pétrole, qui a atteint 137 dollars le baril, et celui du gaz, dont il est devenu un grand exportateur, Israël est en passe de réaliser de fabuleux profits qui lui assureront la possibilité d’absorber une alyah de cette importance.

Mais mis à part le fait que tous les juifs candidats à l’immigration ne s’installeront pas forcément en Israël, la concentration des juifs sur un petit territoire, celui de la Palestine, ne les rend objectivement que plus vulnérables aux armes de destruction massives, alors qu’un conflit nucléaire entre la Russie et l’Occident devient une éventualité envisageable à court terme. Cela rend la thèse sioniste du petit pays où tous les juifs seraient en sécurité assez problématique.

Qu’à cela ne tienne, M. Bennett aurait demandé à M. Poutine son soutien dans le dossier de l’Iran, afin de prolonger l’embargo sur ce pays jusqu’à en obtenir la dénucléarisation complète, en contradiction avec l’actuelle politique américaine. En contrepartie de quoi, il faciliterait un accord de la Russie avec les Occidentaux sur l’Ukraine.

Autrement dit, le Premier ministre de l’Etat Juif s’apprêterait à sacrifier un pays dont le président élu est juif tout en donnant le change à la communauté internationale. Ce ne serait certainement pas très conforme aux enseignements des rabbins Hilal ou Chami, mais politiquement, il aurait de bonnes raisons de le faire : dans la logique sioniste, hormis en Israël, il n’y a pas de place pour des juifs à la tête de leurs pays, encore moins quand ils en deviennent les symboles, parce que cela met à mal l’image du juif éternellement persécuté dans le monde entier, si nécessaire pour déposséder les Palestiniens de leurs terres… avec le soutien de la communauté internationale.

* Médecin de libre pratique.

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