Kaïs Saïed, qui s’empêtre dans les sables mouvants de la période d’exception, processus qu’il avait lui-même initié il y a huit mois pour mettre fin à une situation politique marquée par l’instabilité et l’anarchie, doit s’en prendre à lui-même s’il n’est pas arrivé à transformer l’essai, malgré un soutien populaire qui n’a pourtant jamais faibli. S’il commence à faire douter certains parmi ses plus fervents partisans et à redonner de l’espoir à ses plus coriaces opposants, qui sortent peu à peu de leur léthargie et reprennent du poil de la bête, c’est parce que la situation générale en Tunisie, sous sa conduite ô combien personnelle, ne donne aucun signe d’amélioration. Au contraire, elle s’aggrave pratiquement dans tous les domaines, faisant apparaître de lourds nuages à l’horizon. Le président de la république est en train de donner du grain à moudre à ses détracteurs qui partent à l’assaut du palais de Carthage.
Par Imed Bahri
«Les activités du parlement sont suspendues. Quiconque rêve de revenir en arrière est délirant et ses chimères ne se réaliseront jamais», a déclaré le président Kais Saied lors de sa rencontre avec la Première ministre Najla Bouden, samedi 26 mars 2022.
Toute personne souhaitant se réunir (au parlement) doit «rejoindre un vaisseau spatial», a-t-il encore indiqué, rappelant que «toute décision émanant de ce parlement est nulle et non avenue. Elle n’appartient ni à cet espace, ni à l’histoire et à la géographie», a ajouté le chef de l’Etat avec ce style littéraire imagé qu’il affectionne tant.
Il répondait ainsi aux propos de Rached Ghannouchi, président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) dont les activités sont suspendues depuis le 25 juillet dernier, qui avait appelé à une session plénière, le lundi 28 mars, pour examiner l’ordre du jour du parlement pour la période à venir.
Saïed trahi par sa rigidité
Plusieurs députés, dont Walid Jalled, Mustapha Ben Ahmed, Noomen El Euch et Hassouna Nasfi, que l’on ne peut soupçonner d’être des sympathisants du dirigeant du parti islamiste Ennahdha, avaient récemment appelé à une session plénière pour discuter d’une alternative constitutionnelle qui mettrait fin aux mesures d’urgence et poserait les bases d’un dialogue national menant à des élections législatives anticipées et des élections présidentielles pour remplacer le président Kaïs Saïed.
On peut dire que la rigidité doctrinale et psychologique de M. Saïed a eu des conséquences négatives sur le processus politique qu’il avait inauguré le 25 juillet dernier, en limogeant le gouvernement conduit par Hichem Mechichi et en suspendant les travaux du parlement, qui étaient tous deux contrôlés par Ennahdha.
En refusant de dialoguer avec les organisations nationales et les partis politiques, tous les partis, y compris ceux qui ont soutenu dès le départ sa démarche réformatrice du système politique en place dans le pays, préférant poursuivre son cavalier seul dans une sorte de tête-à-tête avec le peuple, qui plus est dans un contexte d’instabilité politique, de crise économique et de malaise social, le locataire du palais de Carthage a fini par s’isoler sur les plans intérieur et extérieur, présentant l’image peu reluisante d’un président autoritaire qui cherche à imposer son projet politique personnel, un mélange détonnant de populisme, d’utopisme et de bolchévisme, en exploitant la haine que vouent une grande partie de la population à la partitocratie ayant accédé au pouvoir en 2011 et mis la Tunisie sur la pente descendante où elle trouve depuis quelques années.
Si les islamistes, qui avaient accusé le coup le 25 juillet dernier et vu les démissions de multiplier au sein de leur mouvement, reprennent aujourd’hui du poil de la bête, au point de multiplier les provocations en direction du président de la république, dont la dernière est l’appel à la tenue d’une session plénière du parlement dont les travaux sont suspendus, c’est parce qu’ils partent du constat que le locataire du palais de Carthage est dans une très mauvaise passe. Et pour diverses raisons.
Le retour du désespoir
D’abord, les mesures d’exception qu’il a mis en route sont incomprises et critiquées, y compris par les principaux partenaires internationaux de la Tunisie, notamment les Etats-Unis et l’Europe. Et si la feuille de route qu’il a proposée pour la sortie de la période d’exception a été accueillie avec une relative satisfaction à l’intérieur et à l’extérieur, en ce sens qu’elle permettra peut-être de revenir à la normalité constitutionnelle, le pouvoir personnel et solitaire qu’exercice M. Saïed, qui accapare tous les pouvoirs (exécutif, législatif et même judiciaire) fait grincer beaucoup de dents et, surtout, fait douter de ses véritables intentions, d’autant qu’il a neutralisé toutes instances constitutionnelles et est même en train d’imposer son contrôle sur les médias publics.
Dans cette même logique que l’on qualifierait d’autiste, en s’excusant auprès des personnes atteintes de ce syndrome, M. Saïed, qui n’écoute personne et n’entend que sa propre voix, refuse de dialoguer avec toutes les forces vives du pays, y compris celles qui le soutiennent : organisations nationales (UGTT, Utica…), partis politiques, acteurs majeurs de la société civile…, s’enfermant ainsi dans son cocon du palais de Carthage et s’entourant d’une poignée de béni-oui-oui sans envergure, des conseillés (avec un accent aigu) plutôt que des conseillers proprement dit (avec ‘er’), pour la plupart des perroquets, qui plus est, sourds et muets, soit le profil de collaborateurs qu’affectionnent généralement les dictateurs, en tous temps et tous lieux.
Par ailleurs, et alors que son pays a besoin d’emprunter plusieurs milliards de dollars pour financer son budget de l’Etat pour l’exercice en cours et maintenir son économie sous perfusion… étrangère, M. Saïed, président casanier et pantouflard, ne se démène pas outre mesure sur le plan diplomatique pour essayer de convaincre les principaux partenaires de la Tunisie de la justesses de ses choix et de solliciter leur aide pour sortir le pays de la mauvaise passe où il se trouve aujourd’hui. Au contraire, en s’isolant sur le plan extérieur, il ne se donne pas les moyens d’améliorer son bilan sur le plan intérieur. Pire encore, il redonne du grain à moudre à ses opposants, qui repartent à l’attaque. Et c’est, dirions-nous, de bonne guerre, même si de cette guerre-là, seul le peuple tunisien sortira vaincu.
Donnez votre avis