Qu’est ce que les Etats-Unis d’Amérique? la plus grande puissance mondiale qui ait jamais existé. Est-ce les hasards de l’Histoire qui l’ont conduite vers cette position unique, ou s’agit-il d’un cheminement inéluctable? Tout dépend en fait des critères retenus pour l’élaboration du récit narratif.
Par Dr Mounir Hanablia *
L’Histoire des Etats Unis écrite par un Mexicain ou un Indien d’Amérique sera certainement différente de celle rapportée par un Américain anglo-saxon protestant, dont les points de vue varieront sur un nombre important de questions, en vertu de son origine géographique, nordiste ou sudiste, ou de ses convictions politiques, républicaines ou démocrates.
L’ouvrage de Conrad Black préfacé, il ne faut pas l’oublier, par Henri Kissinger, l’ancien secrétaire d’Etat, reflète donc jusqu’à un certain point celle du gouvernement américain, du moins relativement à la présidence Nixon, et depuis les pères fondateurs jusqu’à la date de la publication de l’ouvrage, celle d’un nationaliste fier qui ne remet en général pas en doute le bien-fondé de la domination de son pays sur le monde.
Protéger la liberté dans le monde
Cette invocation de la divine providence ayant conduit le peuple américain à travers les vicissitudes de l’Histoire pour protéger la liberté dans le reste du monde procède de la même bible dont les puritains anglais débarquant du Mayflower ont puisé leur droit sur cette nouvelle terre promise.
Que Benjamin Franklin et le président Mc Kinley aient eu la prémonition d’un destin exceptionnel n’a donc en soi rien d’étonnant. Les colons anglais, grâce à l’armée britannique, se sont débarrassés de la présence française qui du Canada vers la Louisiane à travers l’Ohio les encerclait et les menaçait. Puis grâce à l’aide décisive de la monarchie française, ils se débarrassèrent de la présence britannique qui fiscalement les opprimait et la République qu’ils créèrent, marchande et libérale, issue de la philosophie des lumières, précéderait celle, régicide et sanglante, issue de la Révolution Française.
Il n’était pas évident à l’origine que la structure fédérale finirait par réunir les différentes colonies. Ce sont les personnalités persuasives et l’autorité des dirigeants issus de la guerre de libération, lors de la fondation de l’Etat, ainsi que l’intérêt commun, celui de l’allègement du fardeau de la dette, qui ont finalement prévalu.
L’extension du territoire américain se fit soit par la négociation et des arrangements financiers avec la France, la Grande-Bretagne et la Russie, soit par des guerres de conquête à l’instar de celles menées contre le Mexique et l’Espagne. La guerre de sécession augmenta considérablement la puissance militaire du pays et les Etats-Unis, conformément à la doctrine Monroe, en émergèrent comme la puissance exclusive du continent américain, en interdisant l’accès à toute autre puissance extérieure. Et l’essor considérable économique et financier qui lui fit suite accompagna celui de la marine américaine, lui assurant l’occupation de Cuba et de Porto Rico, du Panama avec l’ouverture du canal, dans l’Atlantique, et l’accès aux îles du pacifique, dont quelques une furent soit annexées comme Hawaii, soit occupées à l’instar des Philippines.
Une puissance américaine à la conquête du monde
L’arrivée en Asie de la marine américaine imposa au Japon l’ouverture du pays au commerce international et à la modernisation, et à la Chine, la politique dite de la porte ouverte accordant les mêmes droits de commercer à toutes les puissances.
Les deux guerres mondiales furent l’occasion pour les Etats-Unis de participer militairement d’une manière décisive à la défaite de l’Axe et de devenir les créanciers des puissances européennes, du Japon, de la Chine, et même de l’URSS.
Une première controverse émerge après la guerre, relative à l’abandon de l’Europe de l’Est à la domination soviétique et celui de la Chine aux communistes, cela semble avoir apporté des arguments aux tenants en Amérique du péril rouge et au Maccarthysme.
La deuxième controverse survient lors de la guerre de Corée entre 1950 et 1953 sur l’utilisation de la bombe atomique contre la Chine; elle suscite une querelle entre le président Truman et le Général MacArthur qui est limogé.
La troisième controverse porte sur l’abandon de la France en lutte contre le Vietminh par la puissance américaine, et la quatrième sur l’engagement américain dans la guerre contre le Vietnam au nom de la théorie des dominos que beaucoup ont contestée, à commencer par Winston Churchill.
La cinquième controverse est relative à la gestion de la crise des missiles à Cuba. Et la sixième s’il y a lieu ne peut porter après la croisade contre le terrorisme que sur le désengagement d’Afghanistan, mais elle n’est pas l’objet de ce livre.
Les normes américaines s’imposent partout
Il reste à dire que le principal justificatif de l’œuvre à postériori de la puissance américaine, à l’échelle mondiale, selon l’auteur du livre, c’est la paix, la démocratie, et la prospérité, apportées à l’Europe, à la Corée du Sud, au Japon, mais aussi l’accès de la Chine à l’économie de marché, la seule alternative étant la tyrannie et la misère.
Il n’empêche, ce sont les normes américaines qui partout s’imposent à travers un monde injuste au mépris des sentiments des différents peuples, complètement ignorés, à qui des guerres et des interventions armées sont souvent imposées au nom du progrès. Certains pays, inévitablement, réagiront toujours en fonction de leurs intérêts, et au mieux de leurs moyens. Et la crise climatique menace le monde de catastrophes sans précédent.
En réalité, l’historiographie de la conquête du monde par les Etats-Unis d’Amérique est celle de la prise de contrôle directe ou indirecte de territoires dont les habitants n’ont aucune importance, dans le cadre d’un affrontement planétaire manichéen contre des puissances maléfiques. Le fardeau que les pères fondateurs ont fait porter à leur pays, celui d’assurer sa prospérité au détriment du celle du monde, risque de le condamner au supplice de Tantale**.
* Médecin de pratique libre.
** Employée depuis le milieu du XIXe siècle, cette locution fait référence à la mythologie grecque. Tantale, fils de Zeus, était, suite à une punition de son père, condamné à supporter la faim et la soif pour l’éternité. En effet, lorsqu’il s’approchait d’un fruit ou d’une source, le premier se transformait en pierre, quant à la seconde, elle disparaissait. Cette expression symbolise la déception de quelqu’un qui voit ses projets s’envoler si près du but.
« Flight of the Eagle », Conrad Black, International Edition, 10 Mai 2013.
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