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Le poème du dimanche : «Allemagne-un conte d’hiver» de Heinrich Heine

En 1844, quand il écrit ce long poème-conte, devenu célèbre, dont voici des extraits, Heinrich Heine, né en 1797, vit en exil, en France. Il s’y est réfugié en 1831, pour échapper à la censure en Allemagne et écrire librement, gagné par les idéaux de liberté et de la Révolution française. «Nous avons le cœur cuirassé contre la mauvaise humeur de ces héroïques laquais», écrit-il, à propos des censeurs, dans le préambule au poème, tout en louant «le grand Œuvre de la Révolution française : la Démocratie Universelle».

En visionnaire, le poète allemand ressent monter dans son pays natal, le conservatisme agressif et le fanatisme religieux, qu’il dénonce et se fait chantre du patriotisme fraternel et universel.

Il meurt en 1856, en exil à Paris où il est enterré.

Tahar Bekri

C’était lors d’un novembre triste,

Les jours se troublaient et le vent

Arrachait les feuilles des arbres,

Je me rendais en Allemagne.

Lorsque j’atteignis la frontière,

Je sentis des battements plus forts

Dans ma poitrine, je crois même

Qu’en mes yeux commençaient des pleurs.

Quand j’ouïs la langue allemande,

Une étrange émotion me prit.

J’imaginai combien mon cœur

Avait du plaisir à saigner.

Une jeune harpiste chantait,

Si le sentiment sonnait vrai

La voix était fausse, pourtant

Le jeu me touchait grandement.

Elle chantait l’amour, sa peine,

Le dévouement, les retrouvailles

Là-haut dans un monde meilleur

Où toutes les peines s’effacent.

Elle chantait ce val de plaintes,

Les joies bientôt dissipées,

L’Au-delà où l’âme se grise,

Claire d’éternelles délices.

Elle chantait le vieux renoncement,

Le dodo-l’enfant-do céleste,

Lequel endort, dès qu’il pleurniche,

Le peuple, ce grand malappris.

Je sais la manière et le texte.

Je connais messieurs les faiseurs,

Ils buvaient du vin en cachette

Et prêchaient l’eau pour le vulgaire.

*Mes amis, je veux composer

Un chant nouveau, un chant meilleur !

Nous voulons déjà sur la terre

Bâtir le royaume des cieux.

Nous voulons être heureux sur terre,

O jamais plus crier famine,

Le ventre fainéant ne doit dissiper

Ce que font les mains diligentes.

Pour tous les enfants des humains

Suffisamment grandissent pain

Roses, myrtes, joie et beauté,

Les petits pois ne manquent pas.

Petits pois pour tout un chacun

Aussitôt que les cosses claquent !

A vous les anges et moineaux,

Nous laissons volontiers le ciel.

Si l’aile pousse après la mort

Nous irons vous rendre visite

Et nous mangerons avec vous

Les saints gâteaux, les saintes tartes.

Un chant nouveau, un chant meilleur

Sonne comme flûtes et cordes !

Le miserere se termine.

Les cloches de mort font silence.

La vieille Europe se fiance

Au beau génie Liberté,

Ils sont dans les bras l’un de l’autre,

Se grisent d’un premier baiser.

Foin des prières de curés,

Le mariage sera valable,

Vivent le promis, la promise

Et les enfants qui leur naîtront !

Mon chant est hymne d’épousailles,

Le meilleur chant, le chant nouveau,

Les étoiles des plus hauts sacres

Se lèvent au sein de mon âme.

Astres passionnés qui flamboient

S’écoulent en ruisseaux de flammes,

Je me sens magiquement fort,

Capable de briser des chênes.

Pied mis sur la terre allemande,

Des flux enchantés me traversent

Le géant bouge en sa mère

En lui croissent les forces neuves.

Ed. Orbes, Bruxelles, 2008.

Traduit de l’allemand par Jacques Demaude.

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