Un pétrolier transportant 750 tonnes de gazole, parti d’Egypte pour rejoindre Malte, a coulé samedi 16 avril 2022 dans le golfe de Gabès, au large des côtes sud-est de la Tunisie. Pour le moment, il n’y a pas de fuite du produit transporté, assurent les officiels tunisiens, qui ont déployé des moyens humains et logistiques pour parer à toute éventualité, tout en poursuivant l’enquête avec les 7 membres de l’équipage secourus par la marine nationale sur les circonstances du naufrage, la nature de l’activité du cargo et les raisons qui les ont amenés dans la zone. Mais cette affaire interpelle les autorités tunisiennes et souligne la nécessité de revoir leurs politiques en matière de préservation de l’environnement marin.
Par Hédi Chenchabi *
Si nous nous félicitons que l’équipage ait été sauvé et qu’il n’y ait pas de fuite à ce jour, cet accident est l’occasion de revenir sur plusieurs enjeux environnementaux souvent négligés dans notre pays et pour lesquels le principe de précaution écologique devrait prévaloir. Nous espérons avec cet événement que notre pays ne va pas vers une pollution des eaux territoriales nationales dans cette zone dont une bonne partie de la population vit de la mer?
L’urgence de préserver la richesse des fonds marins
L’histoire maritime de la Tunisie est millénaire et le patrimoine marin archéologique est considérable. La bio-diversité est certes forte mais elle est déjà menacée par une gestion du littoral inconséquente et la priorité donnée à un tourisme et à une industrie côtiers, prédateurs de ressources et pollueurs.
Le thon rouge, la tortue marine et le mérou, espèces emblématiques de la Tunisie, sont déjà en voie de raréfaction. Le golfe de Gabès où le navire a coulé offre l’un des plus importants herbiers sous-marin de la Méditerranée. Les activités de pêche occupent près de 100 000 personnes et contribuent à l’équilibre de petites villes côtières pauvres. Mais cette pêche rencontre des difficultés qui pénalisent les pêcheurs et leurs familles même si des techniques traditionnelles non destructrices perdurent et sont un exemple de développement durable : des pêcheries fixes de Kerkennah à la pêche aux éponges de Djerba.
Il est urgent de sauvegarder cette richesse de la Tunisie menacée de disparition et de tenir enfin compte de la situation que vit ce pays méditerranéen et de rappeler les apports de nombreux chercheurs de biologie marine de renommée mondiale dont certains d’origine tunisienne.
Sachons valoriser et défendre ce patrimoine inestimable important pour les régions et les populations touchées par la pollution et l’émigration clandestine dans des situations de plus en plus périlleuses. Nos fonds sous-marins doivent bénéficier d’un plan de sauvegarde et de prévention, il s’agit d’une richesse inestimable pour les générations à venir en Tunisie et en Méditerranée.
Défendre le climat et combattre les énergies fossiles
Hélas, la Méditerranée reste soumise à la domination du pétrole et du gaz. Avec seulement 1% de la surface des mers, la Méditerranée concentre à elle seule 30% du trafic pétrolier; il y a plus de 200 plateformes d’extraction pétrolière dans cette mer intérieure dont 40 sont au large des côtes tunisiennes. Le transit du pétrole brut représente une part conséquente du trafic. Avec 47 000 transits par an.
Evidemment, les ports sont un élément moteur de l’activité économique qui n’a cessé de se développer au cours des dernières années. Ainsi la création de ports capables d’accueillir des porte-conteneurs géants. Le cargo Xelo se dirigeait vers Malte qui a avec le port de Marsaxlokk, un des trente plus grands du monde pour les supers conteneurs. 220 000 navires de plus de 100 tonnes traversent la mer Méditerranée chaque année. Les voies internationales de navigation à travers la Mare Nostrum rendent la densité du trafic maritime exceptionnelle pour une mer semi-fermée.
Cette bataille pour capter le trafic entre l’Asie et le reste du monde ne s’est pas accompagnée d’un investissement équivalent en qualité environnementale ni dans la gestion des ports, ni dans la qualité des navires, ni dans la gestion écologique et concertée des trafics en Méditerranée.
Les questions soulevées par le naufrage du Xelo
Avec le Xelo qui contient 750 tonnes de pétrole, nous ne sommes pas dans le cas d’un porte-conteneur géant qui peut aller jusqu’à 15 000 tonnes mais chaque accident d’un pétrolier contient les ingrédients de ce sur quoi nous devons nous pencher et d’urgence.
En ce qui concerne le Xelo qui a coulé sur nos côtes tunisiennes, on peut s’interroger sur la qualité technique du navire et sa maintenance (bateau double coque, etc.). Le navire concerné est de 1977, il est passé entre les mains de 10 armateurs successifs en 25 ans. On peut s’interroger aussi sur la responsabilité des Etats : pourquoi un navire avec le pavillon de la Guinée équatoriale ? On connaissait bien les pavillons de complaisance de Chypre, Malte, Panama, il faut donc ajouter la Guinée à la liste. Comment dans ces conditions poursuivre l’armateur ou l’assureur pour les indemnisations que la Tunisie peut légitimement exiger ?
Le dernier accident maritime conrenant la Tunisie date d’octobre 2018, quand un navire tunisien, l’Ulysse, était entré en collision avec un porte-conteneur chypriote CLS Virginia à 28 km au large du Cap Corse, en France. A l’époque, une nappe de 600 tonnes de fioul de propulsion s’était échappée du porte-conteneur chypriote, qui avait nécessité l’intervention de navires français, italiens et de l’Agence européenne de la mer pour limiter la pollution marine. A quoi on peut s’attendre dans le cas tunisien ?
La préservation des ressources halieutiques, paysagère et humaines de l’environnement sous-marin de la Tunisie ne peut pas être un simple slogan. Nos gouvernements successifs n’accordent pas à la mer l’importance qu’elle mérite. Cet aveuglement est à relier à l’inaction climatique des gouvernements tunisiens depuis 2011. Alors que l’écologie fait partie des exigences de la révolution, très peu a été mis en œuvre dans ce domaine dans notre pays.
La société civile, les habitants des petites villes côtières, les pêcheurs artisanaux, les chercheurs ne cessent de se mobiliser pour alerter et réorienter cette politique prédatrice et extractiviste.
Pour sauver le climat et sauver les mers et océans nous devons absolument cesser de développer les énergies fossiles, et laisser 80% des ressources aujourd’hui connues sous les sols. Et l’urgence des urgences est de préserver les mers et les océans de cette exploitation destructrice.
La Tunisie est concernée par la défense de l’environnement marin
L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) appelle depuis longtemps à l’arrêt des forages pétroliers, mais la Tunisie vient de donner l’autorisation au groupe Toumi et à la société Topic de mettre en route un forage pétrolier de 570 km2 dans le golfe de Hammamet.
Les Etats doivent interdire toute nouvelle exploration de gaz et de pétrole en mer, prévoir la fermeture des exploitations actuelles, et décider de ne plus soutenir les compagnies qui continuent à investir dans la prospection et l’exploitation pétrolière et gazière autour du globe. Les subventions directes et indirectes doivent cesser. Et pour cause : la vie marine est essentielle à notre survie, celle de l’humanité, mais aussi d’autres espèces, puisque la mer fournit la moitié de l’oxygène que nous respirons. Elle est aussi essentielle à notre qualité de vie et à notre relation avec la nature.
Il est temps de nous alerter et il est humain de se sentir concerné par un problème qui touche toute l’humanité.
* Président du Printemps culturel tunisien.
NB : Le printemps culturel organisera, en juin 2022, une exposition-débat à Paris sur le thème : «La Tunisie sous-marine vers un écotourisme soutenable.»
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