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Retour sur la polémique à propos de la persistance de la polygamie en Tunisie

« Baraa », le feilleton qui crève l’abcès et lève les tabous.

Le discours de nos «progressistes» en réaction aux acquis des femmes qu’ils estiment menacés par le feuilleton ramadanesque de Sami Fehri («Bara’a» diffusé en soirée par Al-Hiwar Ettounsi) est franchement lamentable. Il démontre toute l’incurie intellectuelle dans laquelle ils croupissent et l’aridité de leur jugement concernant la question du mariage ôrfi (coutumier considéré comme illégal au regard de la loi tunisienne) les discrédite complètement.

Par Mohamed Sadok Lejri *

Au lieu de proposer une analyse fine et audacieuse de ce problème, nos «progressistes» se laissent emporter dans une frénésie de délires vertueux et opposent aux défenseurs de la polygamie un moralisme mou doublé d’un conformisme intellectuel paré des plumes du bourguibisme. Ils brandissent, telle une arme imparable qui s’apparente à du cléricalisme, l’étendard du Code du statut personnel (CSP).

Juguler le phénomène du mariage ôrfi

Or le CSP, révolutionnaire à sa promulgation en août 1956, contient maintes lois archaïques. Et ce n’est pas en sacralisant ce texte et l’institution du mariage, laquelle est à bout de souffle soit dit en passant, et en tenant un discours aux forts relents d’hétérodoxie que l’on parviendra à juguler le phénomène du mariage ‘orfi dont le référent légitimateur est très puissant : l’islam.

Le mariage ôrfi est, en réalité, une question de sexe. Hormis les femmes qui s’y soumettent (volontiers ou malgré elles) en vue d’améliorer leur condition matérielle, ceux qui recourent à ce type d’union veulent juste livrer leurs corps aux plaisirs sexuels.

Il s’agit le plus souvent d’hommes pieux qui vivent dans l’aisance et qui souhaitent avoir d’autres partenaires sexuels que l’épouse légale, de préférence plus «frais» que le premier, de jeunes étudiants bien trop dévots pour satisfaire leurs besoins sexuels en dehors du cadre charaïque du mariage…

Et, comme nous sommes prisonniers d’une culture moyenâgeuse à dominance religieuse, certains Tunisiens préfèrent couvrir leur union d’un voile islamique pour ne pas vivre dans le péché et s’envoyer en l’air avec la conscience tranquille.

Les limites du progressisme vite atteintes

Avec nos «progressistes», les limites du progressisme sont vite atteintes dès qu’il s’agit de sexualité. Sous nos cieux, le sexe hors mariage est encore interprété en termes de mauvaises mœurs. L’on estime que le sexe pratiqué en dehors du cadre légal du mariage est une appropriation sexuelle illégitime du corps de la femme.

Le sexe hors mariage se pratique, dans la quasi-totalité des cas, sans le consentement de la famille et de la société qui le considère sous l’angle d’une faute commise à son égard. Ceux qui franchissent le pas sans discrétion, sans user de quelques précautions, s’exposent à une double condamnation : pénale et morale. En effet, le corps du Tunisien ne lui appartient pas. Bien entendu, quand il s’agit des femmes de façon particulière, on est en présence du tabou suprême.

D’ailleurs, le lynchage dont Faten Fazaâ a été victime récemment à la suite de ses déclarations, ou, pour remonter à près d’une dizaine d’années en arrière, le tollé suscité par Amina Sbouï (ex-Femen) qui avait inscrit sur sa poitrine nue «mon corps m’appartient», illustrent parfaitement l’hystérie collective qui s’empare des Tunisiens lorsqu’un tel sujet est abordé sans fard et sans le moindre faux-semblant, lorsqu’une femme revendique ouvertement le droit à une sexualité libre hors des liens du mariage et des convenances.

Pour l’émergence d’un discours réellement émancipateur

Ainsi, inhibés par l’atmosphère conservatrice de la société, intimidés par les esprits sclérosés, apeurés par le déchaînement de haine et ne voulant pas être accusés de dérives morales, il devient difficile pour les «progressistes» tunisiens de favoriser l’émergence d’un discours réellement émancipateur. Ils se contentent alors de mettre en avant les acquis qui ont été enregistrés ou, offerts par Bourguiba ai-je envie de dire, à l’orée de l’indépendance.

Il faut dire aussi que, quand il s’agit de sexe, même nos «progressistes» ont du mal à s’inscrire dans la modernité et à pousser les libertés jusqu’à ce qu’elles englobent l’intimité et la réputation de leurs enfants.

En effet, en Tunisie, que l’on soit conservateur ou progressiste, nul n’a envie que sa fille soit dépréciée dans le marché des alliances et des transactions matrimoniales à cause d’une «mauvaise réputation» acquise par la pratique d’une sexualité libre.

Ainsi, pour éviter ce glissement inexorable vers la voie de l’obscurantisme et expédier définitivement la polygamie aux vieilleries islamiteuses, une vraie révolution doit s’opérer dans les mentalités. Il faut apprendre à dissocier le sexe du mariage, il faut que les Tunisiens puissent jouir d’une vie sexuelle équilibrée, sans honte ni contrainte, et sans être obligés de passer par la case mariage.

S’affranchir de la tutelle étouffante de la religion

Pour ce faire, il faut rompre avec rompre avec ce logiciel mental périmé qui façonne notre structure psychologique depuis des siècles et avec les valeurs qui orientent les comportements et les jugements des Tunisiens, notamment en cessant de conjuguer notre culture et nos mœurs au passé et en s’affranchissant de la tutelle étouffante de la religion.

Il ne suffit pas de condamner et d’appeler à la censure du feuilleton de Sami Fehri ou de refuser d’aborder cette question sous-prétexte que la Tunisie s’est définitivement prononcée sur la polygamie en 1956 pour clore le débat et empêcher la banalisation de cette pratique moyenâgeuse.

Pour juguler ce phénomène et éviter qu’il n’entre (de nouveau) dans les mœurs des Tunisiens, il ne faut pas se limiter à l’aspect juridique de la question car le problème est éminemment culturel, pour ne pas dire civilisationnel.

* Universitaire.

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