Etant donné les défis qu’il va falloir relever dans l’avenir sur le court et le moyen terme du fait du phénomène de la mondialisation et de l’ouverture du marché intérieur aux produits animaux venant de l’extérieur, la problématique de la filière lait et viande telle qu’elle est posée en Tunisie exige une action rapide, mais raisonnée et planifiée, pour remédier à toutes ses les insuffisances et répondre du mieux possible aux exigences des consommateurs, dont les besoins évoluent sans cesse.
Par Moez Ayadi *
La filière de production animale bovine (lait et viande) correspond à une chaîne complexe constituée de maillons multiples allant de la production jusqu’au marché de consommation.
Un développement lent et poussif
La Tunisie était au début des années soixante et pendant les trois premières décennies après l’indépendance (1960-1990) en déficit. Durant toute cette période, l’accent a été mis par les pouvoirs publics sur l’aspect quantitatif à travers l’intensification et la diversification des productions animales sans trop s’attarder sur des aspects non moins importants en l’occurrence la qualité des produits animaux, l’économie des productions (coûts et impacts) et l’organisation du marché.
Le secteur de l’élevage, au niveau du maillon de production, a pu ainsi se développer et surtout se diversifier particulièrement pour ce qui concerne les viandes blanches (poulet et dinde) et le lait de vache.
Cependant, ce développement n’a pas eu un impact sur les autres maillons de la filière qui sont restés au même niveau de qualité et d’organisation et ont été en quelque sorte un frein pour un développement plus harmonieux des productions animales.
Hiatus entre production et consommation
La situation actuelle de la filière des productions animales bovines pose un véritable problème sur presque tous les plans : (i) productivité insuffisante du cheptel, (ii) qualité initiale des produits animaux tout juste moyenne, (iii) coût de production souvent élevé, (iv) circuits de transformation insuffisamment adaptés, (v) circuit de commercialisation manquant de transparence et (vi) coût des produits finis souvent élevé.
Le consommateur a, entre temps, évolué considérablement dans ses habitudes alimentaires (durant les vingt dernières années) en consommant de plus en plus de lait et de produits dérivés (yaourt et fromage) tout en diversifiant sa consommation de viande (de plus en plus de viandes blanches aux dépens de la viande rouge).
Ainsi, partant de la problématique de la filière telle qu’elle est posée et étant donné les défis qu’il va falloir relever dans l’avenir sur le court et le moyen terme du fait du phénomène de la mondialisation et de l’ouverture du marché intérieur aux produits animaux venant de l’extérieur, il devient impératif d’agir rapidement d’une manière raisonnée et planifiée en mettant en œuvre une stratégie qui prendrait en considération toutes les insuffisances de la filière.
Stratégie de mise à niveau de la filière lait et viande
La stratégie à développer doit couvrir l’ensemble des maillons constituant la filière et préconiser dans la mise en œuvre de ses composantes d’adopter une approche participative de nature à mieux cibler les insuffisances relevées lors de diagnostic et à définir les priorités.
En effet, le diagnostic établi à partir de l’analyse de la filière des productions bovines (lait et viandes) a permis d’identifier les axes sur lesquels reposera la mise en œuvre de la stratégie de mise à niveau globale de cette filière.
Ces axes de développement concernent respectivement :
1- L’optimisation de l’appareil de production qui est constitué pour l’essentiel d’élevages de petites taille (83% des éleveurs avec moins de 5 vaches) et des éleveurs assez avancés dans l’âge (40% ont plus de 60 ans) ayant un niveau d’instruction très modeste ne dépassant pas souvent le niveau de l’enseignement primaire.
Ces éleveurs présentent un niveau de technicité limité et se trouvent le plus souvent en déphasage par rapport aux techniques et à la technologie de valorisation des ressources animales et alimentaires. De plus ils ne disposent pas de ressources financières suffisantes et d’un système d’information fiable pour développer leurs activités d’une façon durable. Cette situation leur rend, évidemment, l’accès au marché difficile et les expose de ce fait à la pression des intermédiaires.
Partant de ce constat, il devient clair que le système de production sur lequel repose toute la filière des productions bovines (lait et viande) souffre de multiples handicaps qui freinent en quelque sorte son développement et l’optimisation de son potentiel de production. La mise à niveau et l’optimisation de l’appareil de production doit se focaliser sur quatre axes qui nous semblent importants :
(i) Incitation au remembrement des exploitations agricoles qui doit permettre de réduire l’état de leur morcellement et augmenter d’une certaine manière leur taille (surface agricole utile);
(ii) Incitation à l’intégration de l’élevage dans les exploitations agricoles, particulièrement dans les régions à conditions climatiques favorables (étages bioclimatiques humide et subhumide) pour sécuriser le cheptel et le rendre moins dépendant du marché et ses fluctuations pour son approvisionnement en ressources alimentaires.
(iii) Appuis à l’amélioration du niveau de technicité des éleveurs à travers la formation professionnelle et un encadrement de proximité (utiliser un mode de vulgarisation adapté aux spécificités des éleveurs ciblés).
(iiii) Appuis à l’organisation professionnelle des producteurs autour des principales thématiques auxquelles ils sont confrontés tous les jours et qui conditionnent le développement de leurs activités, on pourrait citer l’identification du cheptel bovin (30% seulement des bovins identifiés en 2020); les programmes d’amélioration génétique; la préservation de la santé animale; la sécurité alimentaire et la traçabilité; le développement des ressources alimentaires; et la régulation du marché.
2- La mise à niveau et l’organisation de la filière par la restructuration du système de collecte du lait en impliquant à la fois les producteurs et les industriels directement dans le système; l’instauration et le renforcement du système de paiement du lait à la qualité; la révision de la subvention de la collecte afin de la lier au système de paiement du lait à la qualité; l’organisation de certains opérateurs du secteur de la transformation artisanale du lait; la diversification des produits laitiers et le renforcement de la traçabilité à travers la valorisation par des signes de qualité, notamment l’appellation d’origine contrôlée, l’élevage biologique et la production du lait sans allergie (Lait A2).
3- La mise à niveau et l’organisation de la filière des viandes par la mise à niveau des abattoirs (organisation et fonctionnement, normes d’hygiène, taux d’abattage…); la mise à niveau des marchés aux bestiaux (lieu d’implantation, mode de fonctionnement, contrôle sanitaire, suivie du flux d’animaux…); la mise à niveau du commerce et du transport des viandes (circuit de distribution, réglementation du transport de viandes et produits dérivés…); la mise à niveau de la découpe et le conditionnement des viandes (cahier des charges régissant les ateliers de découpe et d’emballage…); et la mise à niveau de l’industrie de l’emballage et de la transformation des viandes (étude de marché pour l’exportation, normalisation des produits transformés…).
4- L’optimisation de l’encadrement en repositionnant l’Office de l’élevage et des pâturages (OEP) et en renforçant l’interprofession dans la filière des productions bovines (Givlait).
5- La formation professionnelle doit cibler les faiblesses et les insuffisances constatées au niveau de savoir-faire des éleveurs. Elle doit s’appuyer sur un diagnostic et une analyse de terrain à travers lesquels, il devient possible d’identifier le besoin réel et d’organiser, en conséquence, une formation professionnelle qualifiante en adaptant le plus possible les programmes et les cours à dispenser. Les actions à mener dans ce cadre doivent concerner les trois segments de la filière à savoir la production, la transformation et la commercialisation. Par exemple : créer un centre sectoriel de formation professionnelle dans le domaine des métiers des viandes rouges et un centre sectoriel de formation professionnelle dans le domaine de l’industrie du lait et de fromagerie.
L’Etat a un rôle important à jouer dans la mise à niveau de la filière lait et viandes, et ce à travers une politique d’appui volontariste qui doit mettre l’accent sur l’accompagnement en cédant d’une manière progressive le rôle d’encadreur aux organisations professionnelles. En effet, le plan d’action nécessite l’adhésion totale des professionnels et aura des impacts positifs sur la santé du consommateur, la protection de l’environnement contre la pollution par les abattoirs après sa mise en œuvre.
Également, ce plan d’action aura des effets sur la qualité du produit final, la normalisation et la transparence des circuits de distribution et du commerce du détail et enfin sur le renforcement du secteur industriel lait et viandes rouges et la création de nouveaux emplois
* Docteur ingénieur agronome, maître de conférences en production animale à l’Institut supérieur de biotechnologie de Béja, expert international (FAO).
Article du même auteur dans Kapitalis :
Stress hydrique et élevage bovin en Tunisie
Donnez votre avis