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Tunisie – Politique : Temps de mettre le holà?

Kaïs Saïed a pris goût au pouvoir et entend ne le céder qu’à son corps défendant.

La tournure prise par les événements depuis le 25 juillet 2021 et la tendance de fond qui en ressort, à savoir le démantèlement progressif des institutions de l’Etat , par le président  de la république Kaïs Saïed, ainsi que l’appropriation arbitraire de ce qui n’est pas encore démantelé, sous couvert d’un état d’exception abusivement prolongé et ce, de manière de moins en moins voilée et de plus en plus hardie, tel un illuminé se sentant investi d’une mission de droit divin qu’il évoque de plus en plus dans ses discours, ne peut indéfiniment repousser les questions essentielles qui se posent, à savoir jusqu’où et jusqu’à quand? 

Par Faik Henablia *

La question vient d’être posée d’une autre manière par Mohamed Abbou, homme politique et ancien ministre, certes pas le plus qualifié pour le faire, mais qui n’en a pas moins eu le mérite de mettre sur le tapis le problème de fond, en appelant l’armée et la police à cesser d’exécuter les ordres d’un apprenti dictateur, en d’autres termes à mettre le holà.

Kaïs Saïed a l’air de traiter la Tunisie comme sa propriété

Force est de constater en effet que ce président a l’air de traiter le pays comme sa propriété privée dans laquelle il se considère habilité à faire ce que bon lui semble, fort d’une légitimité populaire qu’il croit déceler dans les «zargouniades» (par allusion à Hassen Zargouni, patron du cabinet Sigma Conseil, Ndlr) de sondeurs politiques aux méthodes et à la démarche, pour le moins, curieuses et dont j’avais eu l’occasion de parler dans ces colonnes, lors d’une tribune précédente.

D’aucuns nous disent qu’il faudrait le suivre aveuglément sous prétexte qu’il a été élu; certes mais le peuple a élu un président aux pouvoirs limités non un monarque absolu!

Bien évidemment, il faut laisser le temps au temps et un redressement ne se fait pas du jour au lendemain. Mais enfin, avons-nous assisté, depuis le 25 juillet dernier, ne serait-ce qu’à l’ébauche du commencement d’un début d’amélioration dans quelque domaine que ce soit ? Assurément non même si certains ont cru voir le pouvoir venir à bout de la pénurie alimentaire, oubliant, sans doute, les 20 millions d’euros de don exceptionnel de l’Union européenne (UE) destinés à assurer l’approvisionnement durant Ramadan. Autrement dit, néant absolu, tant sur le plan domestique qu’à l’international, et descente aux abîme, descente, il est vrai, amorcée par d’autres mais allègrement poursuivie. Pour être juste, reconnaissons, malgré tout, quelques entreprises au jour le jour, le plus souvent en réaction, dont l’improvisation et l’amateurisme les rapprochent davantage du bêtisier que de la gestion rationnelle d’un pays, le comble du ridicule ayant été atteint lors du fameux épisode du tunnel de la Marsa. 

La goutte qui peut faire déborder le vase

Ceux qui ont cru naïvement que Saïed allait en finir avec l’islam politique ont dû en être pour leurs frais tant il se révèle que son combat est une lutte personnelle, pour le pouvoir, contre Rached Ghannouchi et nullement contre l’islamisme. Les seules actions, à peu près réfléchies à mettre à son crédit sont, au contraire, un grignotage méthodique et régulier de prorogatives qui ne lui appartiennent pas. Se sent-il si sûr de lui pour nous annoncer d’ores et déjà, avant même le référendum-plébiscite qu’il projette et dont le caractère bidon le dispute à celui de la récente consultation électronique, le mode de scrutin choisi ainsi que les partis qu’il voudra bien autoriser à concourir?

 A propos de mode de scrutin, comment se fait-il que des élections municipales se soient récemment tenues dans le pays sous l’empire de la loi actuelle et sous l’égide d’une Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) dans sa composition non moins actuelle? Est-ce parce que les résultats ne peuvent remettre en cause son projet personnel?

Pour en revenir à l’Isie, c’est sa récente «reprise en main» par la décision arbitraire d’en limoger le président et d’en désigner un autre, probablement aux ordres, qui constitue la goutte qui peut faire déborder le vase.

La Tunisie sombre et le président Saïed n’en a cure

Les intentions de cet homme sont désormais claires, si tant est que qu’elle ne l’aient jamais été : il a pris goût au pouvoir et entend ne le céder qu’à son corps défendant. Les arguments utilisés par certains professeurs de droit constitutionnel dont on frémit à l’idée de savoir ce qu’ils peuvent bien enseigner à leurs étudiants, dans le but de donner un semblant de légalité à cette entreprise totalitaire ne feront pas longtemps illusion.

Le pays sombre et le président n’en a cure, lui qui ne craint, paraît-il, que Dieu; encore un, décidément! Les Talibans avaient eux aussi, en leur temps, fait sauter les bouddhas de Bamiyan par crainte de comparaître devant Dieu sans pouvoir se justifier. Saïed ne fait pas sauter des statues mais détruit méthodiquement un État et ses institutions au nom d’une soi-disant lutte contre la corruption, entraînant, dans son sillage, blocage, paralysie et, à terme, faillite. 

Peut-être, pour son salut personnel et surtout pour le bien du pays, serait-il plus sage de craindre un peuple qui n’acceptera certainement plus trop longtemps d’être ainsi roulé dans la farine et les «zargouniades» n’y changeront rien.

Le temps de mettre le holà approche à grands pas car le pire serait que le pays bascule des mains d’une secte moyenâgeuse, à celles d’un apprenti dictateur, fût-il Monsieur Propre.

* Docteur d’Etat en droit, ex-gérant de portefeuille associé.

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