Tunisie – Politique :  Abir Moussi doit cesser de lâcher la proie pour l’ombre

L’auteur répond ici aux réactions de certains lecteurs à un précédent article (Mohamed Zine El Abidine Ben Ali au pouvoir? ) où il a évoqué Mohamed Zine El Abidine Ben Ali en tant que possible recours à la tête du Parti destourien libre (PDL), justement pour que sa présidente actuelle, Abir Moussi, rectifie le tir et cesse de lâcher la proie pour l’ombre, si elle veut constituer l’exception dans le marigot politique tunisien.

Par Dr Mounir Hanablia *

Beaucoup semblent considérer toute critique contre Abir Moussi, la présidente du Parti destourien libre (PDL), comme un soutien à celui qui il n’y a pas si longtemps j’avais qualifié de «Vieux de la Montagne» (Rached Ghannouchi, président du parti islamiste Ennahdha). Ceci ne ferait que refléter une vision manichéenne des choses, mais les choses sont rarement ou noires ou blanches.

Georges Walker Bush avait dit, au début de la guerre contre le terrorisme, qu’on était ou avec, ou contre lui, et le résultat en avait été après le refus de Jacques Chirac de participer à l’invasion de l’Irak, qu’à Washington, on ne mangeât plus de fromage ni ne bût de vin français, du moins durant un certain temps.

L’autre résultat dont on ne parle pas fut l’achat quelques années plus tard, dans des circonstances s’apparentant au roman policier noir, de la société Alsthom par la société Général Electric, avec l’assentiment du président François Hollande conseillé par un certain Emmanuel Macron, faisant perdre à la France son indépendance énergétique.

Ghannouchi, Makhlouf, Karoui et les autres

Je récuse Rached Ghannouchi parce qu’il a prétendu être un bon musulman et en fin de compte il n’a été qu’un mauvais politicien de plus qui continue de se croire indispensable alors qu’il n’a absolument rien apporté à son pays, et c’est peu dire. Je ne l’accuse pas de soutenir le terrorisme, uniquement parce que tous ceux qui l’ont fait en Angleterre ont été condamnés par la justice.

Je suis contre Seifeddine Makhlouf qui, à mon avis, aurait dû aller en Palestine se faire martyriser puisqu’il en avait exprimé publiquement le désir; et de cela, nul ne me fera grief.

Quant à Nabil Karoui, président du parti Qalb Tounes, aujourd’hui en fuite à l’étranger, c’est lui qui, il ne faut pas l’oublier, avait permis à Rached Ghannouchi de devenir le président du parlement. Mais M. Karoui s’est révélé aussi un vrai disciple de l’ancien président Béji Caïd Essebsi et du Nidaa Tounès, qui, ainsi que tout le monde le sait, considéraient les promesses électorales comme n’engageant que ceux qui y croyaient. Le secrétaire d’Etat américain Anthony Blinken exige aujourd’hui la réouverture du parlement dissous; il faut ainsi comprendre l’ampleur du problème dans lequel le parti Qalb Tounès a plongé le pays.

Mme Moussi se trompe de cible

Concernant Mme Moussi, je rends hommage à sa combativité, son courage et sa ténacité. Elle, qui prétend restituer au bourguibisme ses lettres de noblesse afin de rendre sa prospérité à la Tunisie, et qui lutte pour une société débarrassée des nuages de l’obscurantisme amassés sur le pays depuis le départ du dictateur Ben Ali, avait à juste titre choisi de frapper la coalition au pouvoir présidée par le parti Ennahdha dans le défaut de la cuirasse, la branche tunisienne de l’Union internationale des oulémas musulmans (UIOM), l’organisation du prédicateur égyptien Youssef Qaradawi. Mais depuis le gel puis la dissolution du parlement, l’action entreprise contre cette organisation n’a de toute évidence plus la même urgence.

Néanmoins Mme Moussi s’est retrouvée confrontée à une procédure judiciaire ouverte du temps de l’ancien chef de gouvernement Hichem Mechichi, et dont elle accuse le président Kaïs Saïed de l’avoir opportunément activée, pour l’empêcher de participer aux élections, ce qui en soi est possible; en tous cas rien n’empêche de le penser, et ses adversaires du parti Ennahdha sont tout aussi menacés que son propre parti par les projets présidentiels. La quadrature du cercle pour Mme Moussi, c’est donc bien évidemment de s’opposer à la dissolution de son parti, tout en se démarquant de ses adversaires, dans la même situation.

La vraie fausse connivence de Saïed avec Ennahdha

Cependant Mme Moussi accuse aussi le président Saïed d’être de connivence avec Ennahdha, et cela, après la dissolution du parlement qu’elle même avait réclamée, relève plutôt de la chimère; ce serait la première fois dans l’Histoire qu’un pouvoir serait accusé d’être de connivence avec ceux qu’il a éventuellement supplantés.

Dans ces conditions si le «sit in» devant l’organisation de Qaradawi a repris, c’est dans un environnement politique différent, nettement plus partisan; il s’agit désormais moins de débarrasser le pays du terrorisme et de ceux qui le couvrent, un projet auquel tout tunisien normal ne pourrait qu’adhérer, que d’une lutte politique entre Mme Moussi et le président de la république. Et les images en provenance des réseaux sociaux nous montrent les grévistes de la faim du PDL devant le siège de l’organisation de Qaradawi, déshydratés, exténués dans la chaleur véritablement estivale, et bénéficiant de la part de leur présidente d’une distribution d’essence de jasmin ou d’oranger pour se rafraîchir le visage et la tête.

Tout cela relève certes de l’héroïsme, mais celui issu de la plume de Cervantès.

Mme Moussi démontre en tous cas ainsi que les militants de son parti sont prêts à mourir pour une cause, eux aussi, mais bien sûr d’une manière différente de celle de ses adversaires.

Cependant, il y a d’autres questions qui pour le citoyen lambda semblent plus urgentes, à commencer par l’augmentation vertigineuse du coût de la vie, du carburant, et des commodités domestiques, mises sur le compte du Covid et de la Guerre en Ukraine.

Les véritables priorités des Tunisiens

Le président Bourguiba avait basé sa légitimité non seulement sur son combat contre le colonialisme, mais sur le bien-être de son peuple, en particulier la gratuité des soins, de l’enseignement, et la modicité du coût des produits alimentaires. Tout cela a disparu avec la mondialisation et aujourd’hui, les hausses surviennent comme cela, sans que nul ne les remette en cause, les gens meurent faute de disposer des fonds nécessaires pour se soigner, et les compétences émigrent vers d’autres cieux réputés plus cléments.

Durant plus de 11 ans, les partis politiques soi-disant démocrates se sont souciés du bien-être du peuple comme d’une guigne et l’écart entre riches et pauvres n’a fait que croître, les classes moyennes ont été laminées. Ces partis sont désormais discrédités et ils ont été chassés du parlement comme les marchands le furent du temple.

C’est pour cela qu’on attendait d’un parti se réclamant de la pensée du grand Bourguiba qu’il se situe en première ligne des préoccupations quotidiennes des Tunisiens, et celles-ci ne sont heureusement pas le terrorisme, complètement marginalisé, même si cette série d’incendies démontre que la vigilance doive demeurer de rigueur. 

En l’occurrence un grand parti d’opposition gagnerait plus à encadrer les revendications populaires, plutôt qu’à les laisser ainsi insatisfaites faire le lit du terrorisme, du banditisme, et du «mauvais» syndicalisme auxquels nous sommes devenus coutumiers.

Que faire et par quoi commencer ?

Pourtant, pas plus que les autres partis le PDL ne le fait, et le président Saïed a ainsi beau jeu de se présenter comme le seul recours des petites gens contre les difficultés de la vie, que dans les faits, il se révèle incapable d’endiguer. Comme les investissements promis ou attendus ne sont jamais venus depuis 2011, comme l’argent emprunté a été dilapidé en ruisseaux et en rivières sans qu’on en connaisse exactement la destination.

Il faudrait peut-être commencer par ce qu’on aurait dû faire depuis longtemps: développer le solaire, pour l’habitat et la dessalaison de l’eau de mer, faire appel à la technique du fracking pour exploiter le gaz et le pétrole de roche, investir dans les cultures les plus économes en eau, rendre les hôpitaux (et les cliniques) accessibles, et n’importer que le strict indispensable, le temps nécessaire, s’attaquer aux problèmes structurels générés par les monopoles et les cartels: il n’est pas normal qu’un appartement de moyen standing à Tunis coûte plus cher qu’une maison avec premier étage… à Marbella.

Si les peuples à travers le monde, désabusés des fausses promesses électorales des politiciens ambitieux, en sont venus à faire accéder au pouvoir les enfants des dictateurs par le biais d’élections démocratiques, c’est dans l’espoir que ces derniers leur assurent tout comme le faisaient leurs pères, une toute relative aisance économique que la «démocratie» se révèle incapable d’apporter. J’ai évoqué Mohamed Zine El Abidine Ben Ali en tant que possible recours à la tête du PDL, justement pour que Mme Moussi rectifie le tir et cesse de lâcher la proie pour l’ombre, si elle veut constituer l’exception dans le marigot politique local.

* Médecin de libre pratique.

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