A l’orée des examens du baccalauréat 2022 , l’on est sidéré par le rythme infernal que notre système éducatif et notre corps enseignant imposent à des milliers de candidats. Un rythme éreintant résultant de la conjugaison des cours particuliers, couvrant la quasi-totalité des disciplines, à ceux officiellement dispensés dans les établissements scolaires. Une montagne d’efforts à laquelle nos élèves sont astreints, sans que pour autant leur niveau général ne s’améliore. Si ce n’est qu’il périclite, chaque année un peu plus. Pourquoi de ce hiatus? Le paradoxe n’est qu’apparent…
Par Adel Zouaoui *
Il y a quelques années, on avait recours à des cours de rattrapage seulement pour les matières dont le coefficient est élevé. A titre d’exemple, les mathématiques ou les sciences physiques pour les élèves préparant un bac scientifique, et l’arabe ou la philo pour ceux du bac littéraire. Le phénomène s’est amplifié d’une année à une autre pour s’étendre à toutes les matières. Désormais, on prend des cours de rattrapage tous azimuts, même les cours d’éducation physique ne déroge pas à cette règle absurde. Conséquence, c’est l’effet inverse qui se produit. Il n’y a qu’à voir les résultats de fin d’année. Et surtout le nombre de zéros dans plusieurs matières qu’on s’amuse, d’une façon goguenarde, à comptabiliser et à afficher sur les médias et les réseaux sociaux.
Et pour cause, l’excès de cours ne favorise point la compréhension et l’assimilation à bon escient de toutes les informations transmises. Souvent, l’élève se trouve exposé à un véritable gavage. Il n’a pas le temps de tout digérer. Le cerveau est un organe pareil à un estomac. Si on ne lui laisse pas le temps d’une digestion paisible, il vomit tout ce qu’il ingurgite.
Autre conséquence, et non des moindres, est celle de l’impact psychologique. Ce rythme effréné inflige aux élèves une forme d’épuisement psychologique, un surmenage, quand il ne les conduit pas à une dépression.
Des gains considérables des «études»
Derrière cette machine infernale des cours de soutien, vulgairement désigné «études» par le commun des mortels, il y a des gains considérables. Une séance de rattrapage coûterait jusqu’à 70 DT. Imaginez un tant soit peu les bénéfices juteux tirés de plusieurs groupes d’élèves sur une seule journée.
Pour la circonstance, des appartements, des villas et même des locaux sont loués au vu et au su des autorités publiques. Face à l’impuissance du ministère de l’Education nationale et parfois à son mutisme complice, le phénomène a pris des allures disproportionnées. Il s’est tellement enraciné dans la conscience collective à telle enseigne qu’il est devenu presque anormal de ne pas y recourir. D’ailleurs, les parents ont fini, par acquit de conscience, de les revendiquer mordicus auprès des enseignants.
Plusieurs ministres de l’Education ont vainement tenté d’enrayer ce phénomène. Sauf que la machine est tellement rodée qu’il est devenu presque impossible de la freiner. Un cercle vicieux dont il est difficile de s’échapper.
Notre enseignement archaïque et à la traîne
Force est de constater que l’archaïsme dans lequel est empêtré notre système éducatif est responsable du cafouillage actuel. Et pour cause, les programmes ne répondent plus aux exigences de la modernité, ni aux préoccupations des élèves, ni à leurs aptitudes. Ils sont, toutes disciplines confondues, très longs, très denses et truffés de surcroît de mille et un détails superfétatoires
Quant aux approches pédagogiques, elles sont de plus en plus désuètes. Elles favorisent plus le bourrage que la créativité et l’esprit critique.
Un autre archaïsme persistant est celui des coefficients. On continue bon gré mal gré à privilégier certaines disciplines à d’autres à travers l’attribution d’une série de coefficients allant de 1 à 4. C’est comme si on donnait l’impression que certaines matières valent plus que d’autres. Des apprentissages bancals en sont une conséquence directe. Combien de fois sommes-nous tombés des nues face à des ingénieurs bac plus six incapables de rédiger une simple lettre de motivation.
Des expériences efficaces et moins coûteuses
Dans plusieurs pays du monde, on mise sur le ralentissement du développement chez l’élève. En Norvège, au Suède, en Finlande et au Canada pour ne citer que ces pays-là, les élèves n’ont cours que durant les matinées. Les après-midi sont entièrement consacrés à des activités récréatives, en l’occurrence le sport, la musique, le théâtre. Et pour cause, les programmes scolaires sont élagués. C’est comme si on avait renoué avec la célèbre phrase de Montesquieu : «Une tête bien faite vaut mieux qu’une tête bien pleine».
Les résultats sont époustouflants. Les élèves de cette partie du monde occupent les premières places dans le classement Pisa, le programme international pour le suivi des acquis des élèves qui vise à mesurer les performances des systèmes éducatifs de par le monde.
Pour conclure
Certes, une réforme de l’enseignement serait très onéreuse pour l’Etat tunisien, surtout par les temps qui courent. Au demeurant, entreprendre des actions, ne serait-ce que modestes, pour aérer les contenus des programmes est toujours possible pour l’intérêt général de nos enfants.
Toutefois le seul obstacle demeure celui du refus de toute réforme par une partie du corps enseignant, de peur de perdre ses privilèges.
Enfin, en attendant une véritable modernisation tant espérée de notre système éducatif, souhaitons à tous nos bacheliers beaucoup de courage, de chance et surtout de succès.
* Ancien haut fonctionnaire du ministère de l’Enseignement supérieur.
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