Tunisie : Le douteux combat des juges

Par ses douteuses motivations, la nouvelle grève des magistrats n’a rien d’honorable. En prenant la défense des éléments les plus corrompus parmi eux, les magistrats se lancent dans un combat d’arrière-garde qui prêterait à sourire si ses conséquences ne sont pas graves sur le présent des justiciables attendant d’être jugés, souvent dans des conditions déplorables d’incarcération, et l’avenir de la nation tout entière, qui attend des juges qu’ils aident à son assainissement, et non qu’ils participent de la gangrène générale que constituent le népotisme et la corruption.

Par Imed Bahri

En brandissant la menace de prolonger la grève dans les tribunaux et les institutions judiciaires pour une deuxième semaine en cas de maintien du décret présidentiel n°516 portant révocation de 57 magistrats, le président de l’Association des magistrats tunisiens (AMT), Anas Hmaidi lance un défi hasardeux au président de la république Kaïs Saïed.

S’exprimant, jeudi 9 juin 2022, lors d’une conférence de presse organisée par la coordination des structures judiciaires, Anas Hmaidi a pressé le président de la république d’annuler le décret présidentiel en question, estimant qu’il s’agit d’un «texte injuste, illégal et contraire à la constitution». «Les magistrats sont disposés à reprendre leur travail à partir de demain pourvu que cette injustice soit levée et une reddition de comptes soit instaurée», a-t-il promis. Et le président de l’AMT d’expliquer que «l’objectif sous-tendant cette vague de révocation est de créer des vacances au niveau des postes de responsabilité judiciaires et de punir les magistrats qui ont refusé de se plier aux injonctions contraires au principe de la souveraineté de la loi.» «Les magistrats rejettent toute forme de révocation de leurs collègues», a-t-il martelé, soulignant qu’il s’agit d’un «mécanisme attentatoire à l’indépendance de la justice et ne fait qu’amplifier la corruption dans le secteur.»

Les justiciables pris en otages par les juges

Pour le président de l’AMT, plus des deux tiers des magistrats cités dans le décret présidentiel ont été révoqués «sans nul motif juridique», ajoutant que leur révocation a été décrétée au moyen de rapports sécuritaires secrets et d’écoutes téléphoniques opérées hors la loi.

Outre le fait que le mouvement de grève des magistrats est très impopulaire dans l’opinion, car les justiciables se sentent ainsi, et à juste titre, pris en otage, et pour la seconde fois après la grève d’un mois de 2020, par une corporation qui outrepasse ses missions, le corps de magistrature prouve par ce mouvement qu’il refuse de se réformer et d’assainir ses rangs des éléments les plus corrompus qui nuisent énormément à sa réputation.

Au moment où des voix s’élèvent pour ajouter le corps judiciaire parmi les corps constitués auxquels la grève est interdite par la loi, au même titre que les militaires, les agents de sécurité et les douaniers, la menace de poursuivre la grève lancée par M. Hmaidi et ses collègues vient durcir encore la position du pouvoir exécutif, qui semble déterminé, cette fois, à faire appliquer la loi, y compris aux magistrats, qui ne sont pas au-dessus des lois qu’ils sont censés veiller à faire appliquer : les jours non-travaillés ne seront donc pas payés.

Finis donc les traitements de faveur dont ce corps bénéficiait jusque-là… injustement.

Un combat d’arrière-garde qui ne trompe personne

Par ailleurs, les pressions exercées sur les juges qui veulent reprendre le travail ne plaident pas en faveur de la cause des magistrats dont l’image continue ainsi de se détériorer et de donner raison aux décisions présidentielles visant à remettre ce corps sur la voie de la légalité et de la normalité.

Le corporatisme de mauvais aloi, qui anime certains magistrats, va rejaillir très négativement sur tout le corps judiciaire et retarder sa réforme rendue nécessaire voire urgente par l’état lamentable de la justice dans le pays, dont l’écrasante majorité des citoyens n’a pas fini de se plaindre.

En se mettant au service des personnalités influentes de la scène politique et des lobbys d’intérêts, et ce un demi-siècle durant, les magistrats ont détruit eux-mêmes leur image auprès de l’opinion. Et en refusant de faire amende honorable, de se réformer et d’assainir leurs rangs des éléments les plus corrompus, ils n’améliorent pas cette image. Au contraire, ils confirment tout le mal qu’une grande partie de l’opinion pense de leur mouvement. Leur «militantisme» actuel ne trompe personne. C’est un combat d’arrière-garde qui prêterait à sourire si ses conséquences ne sont pas grave sur le présent des justiciables qui attendent d’être jugés et l’avenir de la nation tout entière.

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