Nous publions ci-dessous la traduction d’une synthèse du rapport «Economics and Country Risk Tunisia» publié en mai 2022 par IHS Markit, filiale de S&P Global, qui se définit comme une «source d’informations et de connaissances dans les domaines critiques qui façonnent le paysage commercial d’aujourd’hui.» Le rapport analyse les différents risques que notre pays encourt dans tous les domaines. C’est le genre de document de référence qu’examine tout décideur étranger pour se faire une idée sur la situation d’un pays donné avant de prendre des décisions ou des engagements de types économique, financier ou autres. C’est ainsi que la Tunisie est vue à l’étranger et le tableau est peu reluisant.
Le président Kaïs Saïed a dissous le parlement tunisien le 30 mars 2022, huit mois après l’avoir suspendu le 25 juillet 2021, et suspendu partiellement la constitution tunisienne le 22 septembre 2021.
La décision de Saïed était en réponse à la tenue, la veille, par le parlement d’une session plénière en ligne, défiant la décision de suspension, pour voter la levée de l’état d’urgence et des mesures introduites par Saïed depuis juillet 2021 et introduisant un nouvel ordre en Tunisie. Les parlementaires réunis voulaient aussi dénoncer la tentative du président Saïed d’étendre définitivement ses pouvoirs au-delà de la politique étrangère et de la conduite des forces armées, et ce dans le but apparent de modifier la Constitution et de faire passer la Tunisie d’un régime parlementaire à un régime présidentiel.
Saïed a amendé, en février 2022, la loi réglementant le fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature, un organe chargé de préserver l’indépendance des juges. La décision laisse effectivement les trois branches du pouvoir sous contrôle de l’exécutif.
La prise de pouvoir de Saïed est susceptible d’éroder sa base de soutien et d’aliéner davantage l’opposition et l’essentiel du soutien international. Peu avant la dissolution du parlement, le budget provisoire américain pour l’exercice 2023 avait déjà proposé de réduire de près de moitié l’aide financière et militaire américaine à la Tunisie.
Avec l’incertitude quant à la conclusion de l’accord avec le FMI et compte tenu de l’escalade politique et des défis macroéconomiques et financiers, l’économie tunisienne connaîtra une reprise modeste avec une croissance du PIB réel de 2,4% en 2022.
Un taux de chômage élevé à 15,5%, un taux d’inflation annuel de 8,1% et des mesures d’austérité restent des déclencheurs de manifestations violentes. Des troubles sociaux sont probables dans les principaux secteurs publics et privés, tels que comme les phosphates et les transports, pesant sur les investissements étrangers.
L’orientation politique de Saïed et l’incapacité à obtenir le financement du FMI (4 milliards de dollars) font peser des inquiétudes sur le risque de défaut de paiement de la dette, la Tunisie étant incapable de respecter son échéancier de remboursement et de financer ses déficits budgétaires pour 2022.
Un programme de prêts du FMI signifie que le gouvernement devra mettre en œuvre des réformes politiquement sensibles pour libérer son potentiel d’exploitation des marchés internationaux et restaurer la confiance des investisseurs en améliorant la cote de crédit.
Au-delà des troubles sociaux, les principales menaces terroristes proviennent des sympathisants de l’État islamique et ses combattants tentant d’infiltrer le pays depuis la Libye et ceux de la Katibat Uqba Ibn Nafaa, groupe affilié à Al-Qaïda.
Le retour des djihadistes tunisiens de Libye est susceptible de contribuer à un risque élevé d’attaques terroristes ciblant les bâtiments du gouvernement.
Les risques politiques :
Le président Kaïs Saïed a annoncé le 22 septembre 2021 une suspension partielle de la constitution tunisienne et une nouvelle prolongation des mesures exceptionnelles qu’il avait annoncées pour la première fois le 25 juillet. Les mesures introduisent un nouvel ordre constitutionnel en Tunisie et prouvent la tentative de Saïed d’étendre définitivement ses pouvoirs au-delà de la politique étrangère et de la conduite des forces armées, dans le but apparent d’amender définitivement la constitution et de changer la Tunisie d’un régime parlementaire à un régime présidentiel. Cela est susceptible de pousser les partis politiques qui, au départ, ont tacitement soutenu Saïed, à défier le président et aligner leurs positions sur celles de ses opposants.
Les risques économiques :
Les négociations ont repris avec le Fonds monétaire international (FMI) pour obtenir des fonds, alors que des inquiétudes sur le risque de défaut de paiement de la dette se profilent à l’horizon, la Tunisie étant incapable de respecter son échéancier de remboursement et de financer ses déficits budgétaires pour 2022.
Pour bénéficier de prêts étrangers, qui dépendent en partie de la garantie d’un accord du FMI, et du soutien substantiel des pays du Golfe, restant encore à confirmer, la Tunisie sera obligée de faire des compromis pour espérer avoir un nouvel accord avec le FMI.
Compte tenu de l’incertitude entourant l’accord avec le FMI et compte tenu de la montée des tensions politiques et macroéconomiques et des défis financiers, nous avons abaissé la prévision de croissance du PIB réel de la Tunisie de 2,9% à 2,4% pour 2022. Des niveaux accrus d’instabilité sociale auront également un impact négatif sur les investissements étrangers.
La monétisation à court terme du déficit pour couvrir des déficits budgétaires béants, conjuguée à une hausse les prix des matières premières exacerbés par la guerre russo-ukrainienne, maintiendront l’inflation à un niveau élevé en 2022.
Les risques sur l’environnement des affaires (cadre juridique):
La lourdeur et la lenteur de la bureaucratie tunisienne restent un obstacle à l’investissement. Le président Kaïs Saïed, après avoir déclaré des pouvoirs d’urgence le 26 juillet 2021, a promis de réduire les retards bureaucratiques et d’améliorer conditions d’investissement. Toutefois, les progrès vers un système réglementaire plus transparent et une justice indépendante sont susceptibles de s’enliser davantage, car le système judiciaire risque de perdre encore plus d’indépendance.
Les risques sur l’environnement des affaires (fiscalité) :
Le gouvernement devrait continuer à opter pour des impôts indirects plutôt qu’à une augmentation de la fiscalité directe des entreprises. Les individus plutôt que les entreprises sont susceptibles de porter le fardeau le plus lourd.
La Tunisie a fait des progrès rapides dans la réduction de la lourdeur de son système fiscal jusqu’en 2019 et 2020, et les procédures ont été considérablement rationalisées, entraînant une réduction substantielle du temps et des démarches nécessaires pour satisfaire aux obligations fiscales.
Pour promouvoir et maintenir une relance durable des exportations, la tendance devrait se poursuivre vers la simplification de la fiscalité et des procédures douanières.
Les risques opérationnels sur l’environnement des affaires :
Les restrictions sur les investissements étrangers devraient être réduites conformément aux recommandations du Fonds monétaire international (FMI). Le niveau accru de risque opérationnel provoqué par le soulèvement populaire de 2011 a persisté, y compris une augmentation substantielle des grèves, affectant principalement le secteur public et celui de l’énergie.
L’infrastructure est généralement de bonne qualité, mais la corruption et l’inefficacité bureaucratique restent un obstacle pour les opérateurs étrangers qui veulent investir dans des projets spécifiques, notamment ceux impliquant des travaux publics.
Le gouvernement devra probablement faire face à d’importantes résistances bureaucratiques à toute amélioration dans ces domaines.
Les risques de guerre :
Les relations de la Tunisie avec les pays voisins sont généralement bonnes et une guerre interétatique est extrêmement improbable dans une perspective de cinq ans. Suite au démantèlement de l’ancien appareil de sécurité de l’État, l’armée a pris un plus grand rôle dans la sécurité intérieure de la Tunisie. Cela comprend le maintien de l’ordre dans les zones frontalières désertiques contre les passeurs et les combattants djihadistes; le maintien de la sécurité à des endroits stratégiques tels que les ports, les aéroports et les ambassades; et la prévention des agitations et des saccages des installations énergétiques lors des flambées de troubles politiques et sociaux.
La faible taille de l’armée fait qu’il est mal outillé pour faire face de manière concluante à l’activité djihadiste persistante près des frontières algérienne et libyenne.
Les risques terroristes :
Le cadre sécuritaire de la Tunisie a été considérablement affaibli par la révolution de 2011 et n’a été que lentement restauré. L’armée a eu du mal à couvrir le déficit de capacité de sécurité qui en a résulté. Une préoccupation particulière demeure : le contrôle des frontières poreuses avec l’Algérie et la Libye. Les réseaux de combattants nationaux, les petites cellules et les individus auto-radicalisés ont bénéficié d’un accès facile à l’expérience des djihadistes étrangers basés en Irak, en Libye, et en Syrie. Les infiltrations de djihadistes tunisiens depuis la Libye restent probables, entretenant le risque élevé d’attentats terroristes tout au long de 2022.
Les risques sur la stabilité sociale :
Il existe un grave risque de flambées de protestations à motivation économique, en particulier dans l’intérieur et le sud du pays (gouvernorats de Ben Guerdane, Gafsa, Kasserine, Kef, Médenine, Sidi Bouzid et Tataouine). Bien que la plupart les incidents sernt probablement en grande partie pacifiques, il est possible que les manifestations soient détournées par des éléments perturbateurs, provoquant des combats de faible intensité avec la police et la destruction de biens urbains.
Il y a moins de risque de violentes manifestations de masse dans les grands centres urbains, y compris Tunis, où les manifestations sont généralement pacifiques.
Les risques sur les personnes
La contrebande d’armes et de combattants en provenance de Libye augmente l’effet potentiel de toute attaque par des djihadistes tunisiens.
Les établissements touristiques de Tunis et des stations balnéaires de Monastir, Djerba et Sousse restent des cibles ambitieuses pour militants djihadistes, malgré des capacités limitées.
Il existe un risque modéré d’attaques contre les bâtiments gouvernementaux et le personnel de sécurité dans les gouvernorats frontaliers de l’Algérie et de la Libye, notamment Ben Guerdane, Le Kef, Médenine, et Kasserine, ainsi qu’à Tunis.
Il existe un risque modéré d’enlèvement pour les étrangers dans le désert du sud, en particulier les ressortissants français, italiens, britanniques et américains.
Les risques sur le fret et le transport:
Les risques pour les cargaisons sont les plus grands autour de la région minière de Gafsa, Tataouine et Kebili, où des manifestations ouvrières perturbent fréquemment les transports terrestres.
La saisie de navires suspectés de contrebande dans les eaux tunisiennes est vraisemblable.
Les risques sur les biens :
Des manifestations violentes sont probables à travers le pays contre les propriétés du gouvernement, le commerce et les bureaux des partis politiques.
Les bâtiments gouvernementaux et les magasins risquent d’être endommagés et vandalisés lors des manifestations, avec des avant-postes ruraux vulnérables aux attaques terroristes.
Les risques sur la cybersécurité :
Les principaux acteurs tunisiens de la cyber-menace sont des groupes transnationaux de cybercriminalité ciblant les institutions financières, les opérateurs de télécommunications et les utilisateurs privés.
Les fournisseurs de services internet tunisiens, par exemple, étaient ciblés en novembre 2021 par le groupe iranien de menace persistante avancée (APT) Lyceum.
La Tunisie a adopté une stratégie de cyber-sécurité en 2019 et créé une unité chargée de formuler des politiques judiciaires de cyber-sécurité dans le secteur public et une division de prévention et d’investigation de la cybercriminalité.
Une petite partie de l’infrastructure nationale tunisienne est gérée par ordinateur et les capacités pour la protéger restent insuffisantes.
La sensibilisation aux cyber-risques et les pratiques de sécurité numérique se multiplient parmi la population utilisatrice de l’informatique, tandis que les campagnes de sensibilisation du public et du secteur privé sur la cyber-sécurité se sont développées ces dernières années.
Traduit de l’anglais par I. B.
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