«Narconomics» : légaliser le cannabis, pour lutter contre la criminalité, et équilibrer la balance commerciale?

Dans des pays faisant face à des difficultés économiques insurmontables tels que la Tunisie, la légalisation du cannabis entraînerait des rentrées d’argent non négligeables à l’Etat, décongestionnerait les prisons, diminuerait le nombre de crimes horribles commis sous l’effet du «manque», et porterait un coup décisif aux réseaux de la corruption qui tirent profit de sa distribution semi-clandestine et néanmoins protégée dans les quartiers populaires et devant les lycées. Elle équilibrerait même notre balance commerciale, vis-à-vis des pays dont nous sommes les débiteurs, suivant en cela l’exemple marocain.

Par Dr Mounir Hanablia *

Et si les idées communément partagées sur les drogues étaient fausses? et s’il fallait accorder la primauté à la dimension économique de la question afin d’en combattre les répercussions criminelles?

On compterait près de 250 millions de drogués dans le monde générant un marché annuel d’au moins 3 milliards de dollars US au prix de 160.000 morts.

En fait, l’auteur prend acte de la dimension d’un phénomène planétaire, et de son extension, sans que les législations, les systèmes judiciaires différents et les pratiques répressives limitées par les frontières nationales n’arrivent à le freiner. Et à travers les expériences des différents pays ayant tenté la libéralisation des drogues synthétiques telle la Nouvelle Zélande ou du cannabis à l’instar de l’Etat américain du Colorado, l’auteur arrive à cette conclusion paradoxale, celle que la légalisation des stupéfiants soit à même de ruiner les cartels de la drogue et de leur porter le coup fatal que la destruction des plantations de coca dans les Andes et du cannabis la Sierra mexicaine et les dizaines de milliers de soldats déployés et d’incarcérations dans les prisons surpeuplées, pépinières des gangs criminels, n’ont pas pu obtenir.

Un site neutralisé, des dizaines d’autres prennent le relais

Aucun cartel mexicain ou colombien ne pourra jamais abaisser ses prix en-dessous de ceux pratiqués au Colorado dans la légalité.

En Hollande où c’est la communauté qui supporte le coût financier de la distribution gratuite et où les addicts sont répertoriés, les agressions liées à la drogue ont diminué de plus de deux tiers et à Amsterdam le nombre annuel de nouveaux drogués a diminué de près de 600%.

Le livre aborde également la transformation de la distribution clandestine de la drogue qu’a entraînée l’usage du Dark Web, et surtout l’apparition de la concurrence et de la publicité sur le réseau informatique.

Désormais les vendeurs reçoivent leurs commandes en ligne, distribuent la marchandise à l’instar de ce que fait Amazon, parfois par le biais de simples colis postaux, sans aucun contact avec l’acheteur, et se font payer en Bitcoin. Evidemment, tout ceci diminue le niveau de violence et de risques encourus, et dès qu’un site est repéré et neutralisé par la police, après une traque généralement longue et difficile, des dizaines d’autres prennent le relais.

Cela ne fait non plus pas l’affaire des cartels de la drogue qui jusque-là avaient le monopole de la production et de la distribution et qui se trouvent ainsi soumis à une concurrence éparpillée et dématérialisée à laquelle ils sont incapables d’opposer le niveau extrême de violence assurant leur prééminence.

Avec la diminution de la consommation de la cocaïne aux Etats-Unis (mais pas en Europe) un problème particulier se pose par la recrudescence d’une drogue souvent mortelle, l’héroïne, la consommation ayant doublé en 6 ans, aux Etats-Unis, pour toucher environ 700.000 personnes. Beaucoup d’Américains sont devenus addicts du fait de leur dépendance médicale à certains antalgiques opioïde commercialisés dans les pharmacies, après des blessures entraînant des douleurs chroniques, tels l’Oxycontin.

La séparation des fumeurs et des non fumeurs

La consommation de la drogue est le plus souvent initiée par le biais des amis, 54% aux Etats Unis et 70% au Royaume-Uni, et cela minimise le rôle des dealers. Il y a donc toute une culture de l’amitié qui est à revoir, imposant des nouvelles règles et des pratiques identiques à celles ayant déjà cours avec le tabac, à savoir la séparation des fumeurs et des non fumeurs, en particulier dans la partie de la population qui est peu exposée au contact avec les consommateurs réguliers.

A ce propos il semble que le marché des drogues dites douces, si jamais elles sont  légalisées sur tout le territoire américain, risque d’être occupé par le cartel du tabac, assurant alors la majeure partie de sa production au Mexique. Mais on n’en est pas encore là; aujourd’hui le marché américain du cannabis représente pour le crime organisé toujours environ 2,5 milliards de dollars annuels, et celui de la cocaïne 2 milliards, transitant majoritairement par le Mexique.

On regrettera cependant que l’auteur du livre puisse considérer le cannabis comme une drogue dénuée de danger. En fait, comme toutes les drogues, il entraîne de véritables états psychotiques qui peuvent durer plusieurs heures, en particulier  lorsqu’il est consommé à des doses importantes par des personnes peu prévenues, et même s’il est prétendu qu’il n’ait jamais entraîné des conséquences mortelles, on n’a véritablement jamais la garantie de revenir indemne d’un «voyage» sous l’emprise des stupéfiants. Evidemment, dans le Colorado cela a poussé les producteurs à limiter les dosages de leurs produits pour limiter le risque médico-légal, après certains incidents graves, mais le risque est là.

Malgré tout, dans des pays faisant face à des difficultés économiques insurmontables tels que le nôtre, la légalisation du cannabis entraînerait des rentrées d’argent non négligeables à l’Etat, décongestionnerait les prisons, diminuerait le nombre de crimes horribles commis sous l’effet du «manque», et porterait un coup décisif aux réseaux de la corruption qui tirent profit de sa distribution semi-clandestine et néanmoins protégée dans les quartiers populaires et devant les lycées. Elle équilibrerait même notre balance commerciale, vis-à-vis des pays dont nous sommes les débiteurs, suivant en cela l’exemple marocain.

Cette piste mérite certainement une réflexion sérieuse de la part des autorités. Ce livre est en tous cas dérangeant parce qu’il remet en question des certitudes établies.

  • Médecin de libre pratique.

Narconomics: How to Run a Drug Cartel Paperback, de Tom Wainwright, éd. PublicAffairs, 288 pages, 23 février 2016.

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