Les lois conçues sur mesure ont permis aux grandes surfaces d’être un acteur essentiel dans la fixation des prix et la politique commerciale en Tunisie en raison de la position dominante qu’elles occupent dans les circuits de distribution. Il est temps que cette situation change et que les lois défendent plus les intérêts de l’Etat et des citoyens.
Par Imed Bahri
La marge arrière que les grandes surfaces commerciales obtiennent auprès du producteur lors de l’achat contribue à la hausse des prix en Tunisie, à hauteur de 35% en moyenne, affirme Lotfi Riahi, le président de l’Organisation tunisienne pour l’orientation des consommateurs (Otoc).
Une marge arrière est une ristourne de fin d’année exprimée en pourcentage du prix de vente initial qui est obtenue auprès d’un fournisseur sur un produit. La pratique des marges arrière se fait surtout dans l’univers de la grande distribution entre les grandes enseignes et leurs fournisseurs. Les conditions et modes de calcul des marges arrière sont normalement précisées dans le cadre des négociations commerciales annuelles.
C’est toujours le consommateur qui trinque
M. Riahi, qui parlait lors d’un séminaire organisé par la Fondation Temimi pour la recherche scientifique et l’information, samedi 18 juin 2022, sur la réalité de l’inflation des prix en Tunisie, a expliqué que «la marge bénéficiaire arrière, fixée dans le cadre d’un contrat entre le producteur et les grandes surfaces, donne à celles-ci le droit à une réduction du prix du produit acheté au producteur oscillant entre 35 et 40% sans que le consommateur en profite.» Par exemple, «lorsque le producteur fixe le prix du produit à 10 dinars, le client (grande surface) emploie une marge bénéficiaire arrière et l’achète pour 7 dinars, puis le producteur augmente le prix du produit, c’est-à-dire qu’il le vend au client pour 15 dinars au lieu de 10. En fin de compte, c’est le consommateur qui trinque», explique M. Riahi, qui en conclue que«les grands espaces commerciaux contrôlent les prix grâce à l’application de la marge bénéficiaire arrière.»
Selon lui, la marge arrière s’ajoute à la marge avant, obtenue par différence entre le prix de vente hors taxe au consommateur et le prix de vente hors taxe facturé par le fournisseur, et bénéficie essentiellement aux grandes surfaces. Le grand perdant dans tout cela c’est le consommateur qui achète des produits et des services à des prix irréalistes. A cet égard, le président de l’Otoc a appelé à une rupture complète avec ce mécanisme qui affecte la structure des prix et contribue au taux élevé d’inflation.
Des lois sur mesure pour les grandes surfaces
De son côté, Taïeb Souissi, le président de l’Association tunisienne pour la défense et la protection des entreprises économiques, a souligné que les grandes surfaces réalisent une marge bénéficiaire brute pouvant atteindre 70% (la marge bénéficiaire arrière ajoutée à la marge bénéficiaire avant). Selon lui, «les lois conçues sur mesure ont permis aux grandes surfaces d’être un acteur essentiel dans la fixation des prix et la politique commerciale en raison de la position dominante qu’elles occupent dans les circuits de distribution».
M. Souissi a aussi insisté sur la nécessité de d’activer le rôle du Conseil de la concurrence et de lui donner le pouvoir de décision, d’appliquer la loi et de contrôler les situations d’entente sur les prix, car ses décisions doivent être contraignantes pour limiter la domination d’une partie ou d’une minorité sur le marché.
De son côté, le président de l’Institut tunisien des conseillers fiscaux, Lassaad Dhaouadi, a imputé à l’Etat la responsabilité de la hausse des prix, en plus des facteurs mondiaux échappant à son contrôle, comme la hausse du prix du carburant. «L’État refuse de réglementer les activités économiques en adoptant des lois avancées conformes aux normes internationales, en particulier les directives des Nations Unies relatives à la protection des consommateurs», a-t-il expliqué, en déplorant que la loi sur la protection des consommateurs n’ait pas été modifiée depuis 1992.
«Toutes les lois économiques que le ministère du Commerce est censé appliquer sont mauvaises et non conformes aux normes internationales», a souligné M. Dhaouadi, expliquant qu’«en plus d’être dépassées, ces lois sont au service des lobbys économiques».
Tout en appelant à modifier ces lois pour qu’elles répondent aux exigences de l’étape actuelle, le conseiller fiscal a estimé que le décret présidentiel visant à lutter contre les monopoles et la spéculation est très important, mais pas suffisant, étant donné que la moitié de l’économie en Tunisie est de type rentier ou informel, échappant à l’économie officielle. Il a, dans ce contexte, insisté sur la nécessité d’élargir le champ des réformes à l’institution judiciaire afin de mettre fin aux pratiques frauduleuses et de servir les intérêts de l’État et des citoyens et non ceux des groupes d’intérêt.
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