L’Union générale tunisienne du travail (UGTT) a refusé de participer au dialogue national initié par le président de la république Kaïs Saïed pour discuter des réformes politiques devant être mises en œuvre en Tunisie, mais cela ne l’empêche pas de présenter sa propre vision de la réforme du système politique dans le pays au cours d’un colloque qu’elle a elle-même organisé jeudi 23 juin 2022 à Tunis.
Par Imed Bahri
Il n’y a peut-être pas de contradiction dans cette position : les dirigeants de l’UGTT ont voulu, à la fois, se désolidariser du projet de réforme politique du président Saïed, pas assez inclusif à leur goût, tout en revendiquant leur droit de proposer leur propre projet d’une réforme politique plus inclusive, vision que personne ne leur a demandée et que certains observateurs estiment en nette contradiction avec la vocation syndicale de l’organisation sise à la place Mohamed Ali.
Taboubi en mode leader de l’opposition
Il faut dire que l’UGTT, depuis sa création, a toujours outrepassé sa vocation syndicale et revendiqué un rôle national. Au lendemain de la révolution de 2011, alors que le pouvoir était à terre, elle a cherché à s’imposer comme un acteur important de la scène politique, au point d’endosser aujourd’hui le costume de leader de l’opposition au président Saïed, d’autant plus que les dirigeants de beaucoup de partis, incapables de faire entendre leur voix, comptent sur l’organisation syndicale pour la porter et la rendre plus audible.
Prenant la parole à l’ouverture dudit colloque, le secrétaire général de l’UGTT Noureddine Taboubi a déclaré que la vision réformiste du système politique en Tunisie élaborée par son organisation a été présentée à travers des propositions d’amendements à la constitution de 2014. Traduire : on n’a pas besoin d’une nouvelle constitution comme le préconise le président Saïed, il suffit de retaper l’ancienne.
M. Taboubi a ajouté que le gouvernement n’a pas le droit de tirer les choix du peuple tunisien pour les quarante prochaines années, tout en annonçant la présentation prochaine par l’UGTT de son propre programme de réforme économique et sociale. C’est-à-dire qu’il dénie au gouvernement, qui est dans son rôle de planificateur et de gestionnaire, ce qu’il accorde à, son organisation, qui ne finit pas d’outrepasser le sien.
A chacun ses références
M. Taboubi se prend-il pour Ahmed Ben Salah, l’un de ses prédécesseurs à la tête de l’UGTT, qui, au lendemain de l’indépendance en 1956, avait élaboré un programme économique et social que l’ancien président Habib Bourguiba avait adopté, tout en le nommant ministre du Plan avec la mission de mettre en œuvre ce programme à connotation socialisante ? *
On peut répondre par l’affirmative. D’autant que, dans les conflits de pouvoir qui déchirent aujourd’hui la Tunisie, chaque petit chef y va de ses filiations et de ses références. Kaïs Saïed ne se prend-il pas lui aussi, tantôt pour Omar Al-Khattab, tantôt pour Habib Bourguiba, se donnant pour mission de doter la Tunisie d’une constitution idéale, prélude à l’instauration d’une nouvelle république, plus démocratique et plus juste, dont les contours sont définis par une poignée de professeurs de droit constitutionnel. Il ne dialogue avec personne; il se parle à lui-même et pose devant l’Histoire, la main sur le cœur.
Dans cette foire d’empoigne qu’est devenue la Tunisie, tout le monde délire, pourquoi renier à M. Taboubi son droit de faire son Don Quichotte et de guerroyer, lui aussi, contre des moulins à vent?
Gesticulons et brassons du vent, le mur de la banqueroute générale n’est pas loin !
* C’était la fameuse politique «coopératiste» dont les plus anciens se souviennent encore des dégâts.
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