«Bourguiba et autres choses» de Aicha  Filali :  à quoi bon des poètes en temps de détresse ?

L’exposition «Tunisie, Bourguiba et autres choses : mémoire en raccourci» de l’artiste Aicha Filali, qui se tient à la galerie Elmarsa (14 mai – 8 juillet 2022) nous intéresse au plus haut point quant au contexte actuel en période de stasis. 

Par Faouzi Said Ben Amor *

Nous ne pouvons comprendre cette évocation laudative et d’apparence nostalgique mais ô combien critique sans les événements douloureux et pesants en notre temps de détresse.

Aicha Filali a ce courage de se lancer dans un défi quand on sait le risque et le danger de solliciter la mémoire. Sur un fil de rasoir, avec l’humour et l’énergie nécessaires saurait-elle affronter, non seulement les démons actuels, et réveiller les monstres d’une époque pourtant idyllique et dorée.

Dans ce programme, opérant à partir d’archives où les objets et les choses, les mots et les images sont activés par un effort inouï d’une mémoire active, invitant un regard pénétrant, une très fine sensibilité et une imagination active. S’agissant d’un dispositif, comment l’artiste Aicha Filali arrive à avoir la capacité de capturer, d’orienter, de déterminer, de contrôler, de remodeler nos regards,  et de nous proposer des conduites, des postures et des gestes libérateurs ?

«Bonne année à tous avec un espoir aussi tenace»                                                                                                                             

Il y a dans cette image tirée de la page facebook de l’artiste un je ne sais quoi de mystérieux et d’énigmatique. Elle est à la fois un constat, un appel, et un vœu, son intitulé «Bonne année à tous avec un espoir aussi tenace», tenace effectivement, tel est le mot qui la résume et la subsume.

Cette image est la quintessence d’une sensibilité et d’une pensée que l’artiste adresse à notre intelligence.

L’image est pourtant simple mais si puissante dans ses effets. Un mur, une porte de garage, et qui nous met dans une voie de  garage, cette porte si fragile se dresse encore, sa verticalité menacée est sauvée par une fragile et minuscule fleur des  champs, feu la cendre, tel est le message et le signe d’espoir qu’elle nous adresse.

Cette image prémonitoire et réquisitoire signale la détresse que nous traversons pour notre époque et celle non moins désenchantée qui  la précède.

Ce point rouge va se dilater dans la mémoire «bourguibienne»  pour nous raconter la genèse de la stasis qui s’est diffusée dans le corps social et les institutions, enchantement, désœuvrement, désaccord total et dissolution, telles sont les étapes d’intoxication par les actes et les discours; si les réminiscences du  passé sont réjouissantes arriveraient-elles à nous faire surmonter les déboires du présent ?

Humour, dérision et travail de la mémoire active

Cette porte de garage qui se maintient et continue à se dresser contre les intempéries dit assez le courage et la résistance de l’artiste, le travail sur la mémoire n’est pas une délectation ou un confort mais une exigence qui demande un effort insoutenable, un sacrifice et un don  de soi au péril de réveiller frustrations, douleurs et désirs inassouvis.

À travers cet effort de mémoire l’artiste semble dresser un bilan de la  stasis qui puise en des origines lointaines et dont les retombées marquent encore notre présent.

En puisant dans les événements, l’artiste prend la distance nécessaire pour  nous adresser des clins d’œil furtifs, non pour nous engager, mais pour nous mettre en situation, ébranler notre regard, notre comportement et notre passivité.

Dans la plasticité des images, il s’agit donc d’une micropolitique et non d’une politique dans le sens où ce qui est visé est le démontage des équipements du  pouvoir dans ce qu’ils ont de plus pernicieux pour modeler notre psyché et nos corps jusqu’au plus profond de notre chair.

Dans la démarche de Aicha Filali, il s’agit donc d’une suite d’images paradoxales, tournées en même temps vers le passé et le présent, qui  déclinent plusieurs facettes dont il faut relier les codes et les signes, c’est ce dont l’artiste exploite les possibilités, introduisant une étrangéité et une fine poésie. 

S’agissant de mémoire, le propre du travail artistique est d’être doublé d’un travail mnémonique, où il s’agit de faire le tri dans les archives  des images pléthoriques et les arranger de la manière dont elles agissent sur notre sensibilité et sollicitent notre intelligence.

L’artiste telle Mnémosyne est sommée de réinventer les mots et le langage, sauver de l’oubli les traces et donner un nom à chaque chose.

Créer en temps de détresse 

Regardant l’œuvre de Aicha  Filali, la question de Hölderlin : «À quoi bon des poètes en temps de détresse ?» devient lancinante; en poète, ses images se détachent sur l’horizon de notre finitude, en ce temps de non sens  elle nous rappelle que ce dont il faut avoir peur n’est pas le soleil ou le désespoir mais la peur du soleil et l’angoisse devant l’avenir.

Si les images  de Aicha Filali ne peuvent être abordées que sous l’angle politique, leur contenu ne peut être saisi qu’en référence à la stasis, en amont et en aval, où il s’agit de querelles de pouvoir et de conflits d’intérêts insurmontables, un entêtement et un désaccord total. 

À partir de cette situation, quel sens donner aux objets et aux choses qui peuplent le dispositif d’images que nous montre l’artiste. Ainsi le sous-titre وأشياء أخرى accolé au titre تونس بورقيبة prend un autre sens où la chose n’est pas déterminée, il va de soi qu’elle renvoie à la chose publique ou politique mais elle peut suggérer un éventail de possibilités liées à l’effort de mémoire que l’artiste et le spectateur tentent de reconstituer pour donner consistance et sens à l’image.

Si pour le spectateur, l’artiste semble glorifier le passé, Aiha Filali introduit les codes et les moyens plastiques qui le transgressent et en même temps le désacralisent.

Ces images ne sont nullement laudatives ni réprobatrices ni une litanie pour surpasser une certaine douleur et amertume mais un effort de compréhension , de com-préhension, dans le sens de prendre avec, prendre sur soi, un ressaisissement dans ce qui arrive du plus lointain au plus proche de nous.

Pour cela, Aicha  Filali a des armes secrètes, la distanciation et l’humour imprègnent aux images qu’elle nous donne à lire et à voir une fine analyse d’un passé qui éclaire la tourmente que nous traversons aujourd’hui même, là où les maux du passé n’arrêtent pas de ressurgir pour affecter le présent.

Ces images sont paradoxales  car même si elles évoquent la joie de vivre du passé, elles dénoncent la naissance du totalitarisme qui va enfanter ses pires représentants pour notre époque actuelle.

Dans cette archive d’images pléthoriques, traces d’une époque relativement lointaine où l’artiste puise, et où il s’agit d’un travail de la mémoire, il y a celles qui imposent d’emblée leur présence, ce sont celles appartenant au registre de la mémoire passive, contrairement à celles que seul le travail de l’art impose et qui  sollicitent une mémoire active.

Ces images involontaires  font signe; elles deviennent insistantes et forcent l’artiste à faire un travail supplémentaire, là où intervient la mémoire active qui oblige l’artiste à faire retour sur lui-même , à puiser dans les plis de sa mémoire, l’impondérable et l’imprévisible pourraient surgir indépendamment de sa volonté de l’artiste, mais qui  lui permettent de transfigurer  les objets en leur donnant une couleur, une saveur, un rythme , une vie et un sens. 

Travaillant sur une archive mnésique, l’artiste nous avertit, ajoutant à notre attention وأشياء أخرى, comme pour nous dire qu’il y a des vérités cachées dans et entre ces objets.

Les objets, contrairement aux choses, sont toujours rassurants, et on a tendance à transformer les choses en objets, on élimine tout ce qui ne peut être transformé en objet.  La chose nous inquiète car on ne peut pas la maîtriser et on a tendance à appeler chose quand une réalité que nous ne comprenons pas et que nous ne contrôlons pas.

La chose nous inquiète car elle porte souvent en elle une énigme, un mystère, un danger et notre langage en témoigne, il se passe des choses, il y a des choses dont on ne parle pas, ce sont les choses de la vie, etc.

Si Aicha Filali insiste tant, c’est qu’elle sait que la chose a partie liée avec la matière et c’est pourquoi on veut la transformer en objet, y compris la parole. Cette chose a partie liée avec la parole  et qu’en temps de détresse, la forme suprême de la parole est commandement, injonction, exhortation, et menace, pour compenser le vide de ce qu’on dit par l’assurance avec laquelle on le dit.

Réalisant son œuvre, Aicha Filali, en nous transportant vers une autre époque dorée, ne manque pas de nous avertir que la dorure ne doit pas cacher certaines choses, certaines vérités, les imperfections et les tares liées au commandement suprême.     

Objet, chose, et faire artistique

Remarquons d’emblée que dans son effort de nous restituer la splendeur d’une période de notre histoire, l’artiste agit en regard de notre décennie actuelle, l’une et l’autre renvoient à des événements où les objets et les choses qui les régissent, en bien et mal sont leur expression.

Aicha Filali intitule en effet son expositionتونس بورقيبة وأشياء أخرى, que  l’on peut traduire Res gestae Bourguiba à l’instar du Res gestae divi Augusti, la geste ou les actes de Bourguiba, et osons dire le divin Bourguiba.

Paradoxalement, l’œuvre oscille entre la sacralisation amusée et la désacralisation enjouée, une fine démystification non seulement du leader mais de sa cour et les équipements de son pouvoir pour modeler ce peuple de poussière.

Dans cette république de Bourguiba il y a des objets et des choses, les objets comme dans  la Chine impériale appartiennent à l’Empereur, ici elles sont la possession du raïs, mais qu’en est-il des choses?  أشياء أخرى, traduire littéralement autres choses, la chose, la res, un mot ouvert et indéterminé, la chose n’est pas de l’ordre de la physis, vivante et mouvante, elle n’admet pas de mesure, comme on dit les choses de la vie ou la part des choses.

Dans ce travail testimonial et testamentaire, les images sont incomplètes et demandent à être complétées, revisitées et ressuscitées.

Résurrection de la res publica, la chose publique, qui faut-il le rappeler se réfère à un Etat gouverné en fonction du peuple, qu’en est-il de la Tunisie Bourguibienne? 

Dans ce destin et cette destination à quel dessein l’artiste dresse cette panoplie d’objets et à travers lesquels elle nous suggère bien de choses.

On est dérouté devant les images de l’artiste, se jouant des codes de l’art, les objets qu’elle nous donne à voir ont de fortes connotations mais bien contradictoires, à bon escient car l’artiste a la malice de brouiller le message et frapper notre esprit.

Deux éléments majeurs rythment les images qu’elle nous propose, j’en citerais essentiellement le cadre et le masque, les deux  fonctionnent d’une façon paradoxale dans la mesure où ils se jouent de notre attente. Le cadre tantôt assure la sacralisation et aussitôt la désacralisation; le masque est tantôt négation de l’acteur qui le porte ou le confirme dans le rôle qu’il joue et assume.

Le cadre doré et la structure polyptique des images rappelle les images sacrées de l’Occident chrétien, comme les icônes et les histoires de la passion du Christ, s’il donne à l’image une aura et une sacralité qu’encadre-t-il?  Bien qu’encadrant des objets et des gestes banals, ce cadre doré semble en même temps cadrer une époque dorée et la glorifier, les événements dont la mémoire semble se délecter et tirer même une certaine jouissance.

Si le cadre marque la glorification du pouvoir, les objets qu’il encadre signalent les équipements du pouvoir et les moyens dont celui-ci se sert pour aliéner ses sujets..

Face à la pléthore des objets qui se donnent immédiatement dans la période heureuse, d’autres objets, en contre-point, imposent à l’artiste une attitude de dégoût et même de révolte, ce sont les objets apparus et liés à notre actualité, objets offensants qui reviennent sans cesse dans les images que l’artiste ne cesse de recueillir dans son environnement quotidien et de partager sur sa page facebook, ces images sont en quelque sorte une esquisse, une ébauche, et un négatif travaillant en creux celles de l’exposition.

Ces objets apparus le long de la dernière décennie disent la superstition, la pénurie et le mauvais goût suscités par la nouvelle idéologie, ces étals de produits  et d’accessoires  de parfum et de guérison miraculeuse venus d’un autre âge et d’autres contrées, ces étals à même le sol d’ustensiles de cuisine usagés, cabossés et poussiéreux qui disent l’arrêt de production, ces objets kitch et de mauvais goût (sous-vêtements féminins), ces armoires remplies de viande séchée (qadids) en prévision d’une inévitable pénurie.

Tous ces objets ne peuvent laisser indifférents et leur vue répétée ne pas provoquer certaines douleurs. Ces images que l’artiste tourne en dérision sont les reliques vivantes, reflets de croyances obscures et de consommation de fétiches venus d’un autre âge.

Aicha  Filali a raison de dire «mémoire en raccourcis» tant cet effort est périlleux et astreignant, en se faisant violence la mémoire et l’objet qu’elle vise ne cessent de se dérober, dans cette exigence seules ses stratégies artistiques doivent lui donner les moyens efficaces pour nous restituer les images qui disent expressément le secret des choses, ces choses qui traduisent sa désolation devant les ruines du présent  et le regret d’une période dorée.

Ces choses que l’artiste évoque que sont-elles?  Les objets qui dénotent la splendeur d’un monde révolu disent paradoxalement, en sourdine, celles qui les ont remplacées, elles traduisent la stupeur, la désolation devant l’étalage des objets qui sont la marque de notre dernière décennie décadente, rétrograde, un bouleversement des valeurs où le charlatanisme et la superstition religieuse ont remplacé la foi dans la science et le progrès.

Paradoxalement ces objets du désastre ont été utiles, malgré la volonté de l’artiste, elles l’ont forcée à nous proposer des images purificatrices.

Dans la  censure qui essaye de gommer la mémoire d’un passé glorieux, l’artiste essaye d’imposer ce qui est interdit en le glorifiant et lui restituer à la manière de Proust cette saveur et cette senteur, les objets de la Tunisie de Bourguiba transfigurés, leur banalité serait enveloppée d’une aura et d’une force poétique.

Dès lors, le taxi rouge 2 CV  d’antan, la bouteille de Dinol ou de vin Koudiat, vestiges d’un passé éloigné, acquièrent une nouvelle vie et disent la gloire d’une époque, une résurrection où le passé rejoint le présent.

Ces objets ne sont plus que les reliques du passé mais disent la persistance de notre héritage dans la perpétuelle transformation biologique; ils ne cessent en interagissant de modeler notre conditionnement psychique, notre histoire individuelle et collective.

Le travail de l’artiste consiste  donc en cet effort de mémoire de recueillir dans les archives, dans ce fleuve tumultueux, les objets perdus et de les polir pour déceler dans les événements du passé les choses qui leur sont accolées et de les rattacher à des temporalités et des paysages qui leur sont correspondants.   

La chose est le parergon du cadre

Il y a les objets qui sont enclos dans le cadre, mais hors du cadre, il y a ce qu’on peut appeler à la suite de Derrida le parergon (ce qui s’ajoute par la suite à une œuvre) et qui donne lieu à l’œuvre, ce  sont les choses dont l’artiste parle, c’est ce qui émane de l’objet et qui réveille nos facultés sensibles et imaginatives, réelles ou fictives. C’est ce dont l’artiste se saisit dans l’exercice de la mémoire pour la mettre à l’épreuve. Les objets émettent alors des signes et ne sont plus des ob-jets jetés devant notre regard mais des subjets, et proprement choses vivantes douées de couleur, de senteur, de goût, bruyantes, murmurantes, évoquant des temporalités, des lieux et des rythmes dont l’artiste se saisit pour les envelopper dans des images authentiques où il ne s’agit plus de représentation mais de présence, c’est l’appel des choses, dans la pureté de leur essence.

Ironiquement, l’artiste rappelle la parole de Bourguiba «J’ai fait d’une poussière d’individus une nation»; mais ne serait-ce pas de cette essence que le raïs a moulé de l’accumulation de la poussière et de la cendre ce peuple dont il est fier.   

Masque et Parrhésia

Si le cadre doré sert à sacraliser, il n’en demeure pas moins un objet qui dit l’aliénation et les abus liés au pouvoir. Les activités dont l’artiste fait l’énumération, l’enthousiasme pour le sport et la culture, la frénésie de la production et de la consommation, disent aussi la naïveté et la passivité des masses et l’opportunisme du pouvoir.

Le chef suprême, sûr de sa vision, son aura lui permet de subjuguer ses collaborateurs si bien même que ces derniers n’ont plus qu’un statut de figurants. Le masque dans ce sens les réduit à l’anonymat, ils deviennent des objets parmi l’ensemble des objets de l’équipement du pouvoir. Chosifiés, ils deviennent l’instrument passif dont se sert le pouvoir. Et Aicha Filali a raison de déclarer: «Seul le visage du président est discernable; tous les autres sont couverts d’une broderie qui les transforme en  mannequins costumés, méconnaissables… Nous voici livrés à une foule sans visage et donc sans qualités, des hommes qui sont là pour se taire, écouter et applaudir.»

D’ailleurs, le rafistolage ou le tricotage dont ces masques sont faits en fait des personnages usés ou de fortune, des pièces de rechange. 

Le masque, ceux qui le portent sont des persona d’apparence anonymes et neutres, ils jouent un double rôle, non des Janus, dieu des commencements et des fins, des choix, et des prédictions, ils sont de simples exécutants des directives du leader suprême. Sont-ils si automates? De quoi peut-on les accuser? Le  floutage, s’il sert à préserver l’intimité des témoins, il les dénonce en même temps. Dès lors, on peut se demander si ces figurants sont coupables, sont associés au complot?  En vérité, ce qui leur manque c’est la Parrhésia, la liberté de parole, la parole de franchise, celle opposée aux arabesques de la flatterie et aux subtilités rhétoriques. Il leur manque cette parole de vérité, le courage du dire-vrai où pour celui qui l’énonce s’ouvre un espace de risque.

Dans une période marquée par la croyance au progrès et à la frénésie consumériste, pourquoi courir le risque, que faire de la liberté de parole et de la démocratie, laquelle n’est pas une priorité pour le chef suprême. Il faut savoir tourner à son avantage et à son profit, le plus souvent aux dépens d’autrui, ce que «Bourguiba dit»

Dans cette cécité le savoir de la diké, la justice n’a plus cours, «Si le leader le dit, c’est qu’il faut le suivre…», même quand il est frappé de sénilité.

Si Bourguiba le dit

Cette image est le témoignage d’un testament légué par le leader et de sa prémonition visionnaire  quant au destin et au retournement de l’histoire.

Dans cette image, il y a une mise en abyme subtile car discrète : Bourguiba brandit triomphalement le fruit et la quintessence de son combat, la reconnaissance de la libération de la femme.

La mise en scène, le clair obscur, à droite Bourguiba triomphant et lumineux, à gauche des spectres sont toujours à l’affut mais pitoyables et vaincus. 

Le  document que le leader  brandit fièrement n’est rien d’autre que le flyer d’invitation à l’exposition de l’artiste وأشياء أخرى تونس. C’est la trace indélébile et le testament de son œuvre.

Ce document que Bourguiba brandit tient lieu et place de l’auréole qui l’entourait, de ce transfert de gloire l’artiste s’atteste et confirme son propre pouvoir; pouvoir de l’image, pouvoir de l’art. La galerie Elmarsa devient un temple sacré, un lieu de communion et d’ascèse, dans son espace et sur les cimaises on assiste à la passion du leader et la passion de la femme. 

Que dit cette image sinon le retour de l’espoir et l’éclosion de cette minuscule fleur des champs et le jaillissement de la lumière? La mise en abyme se comprend: l’artiste et son œuvre ne sont que le miroir de l’œuvre de Bourguiba, l’identification et la réalisation parfaite.

L’œuvre de Aicha Filali nous dit que quelque chose manque au pouvoir, ce que les choses de l’art essayent de combler, une éthique et une esthétique, la transfiguration où les choses ouvrent leurs faces à la parole poétique et à la pureté de l’image.  

Travaillant sur les reliques du passé, l’artiste Aicha Filali tel Epiméthée tire de l’accumulation des objets une sagesse pour en apporter des prothèses et sauver de l’oubli ce qui fut réellement, l’être des choses, que celles-ci sont toujours présentes dans le monde, et qu’elles sont le legs d’une humanité et d’une communauté ouverte et non d’une tribu fictive et figée; son œuvre dès lors est une projection vers le futur nous rappelant haut et fort qu’il faut penser le temps  à partir de l’avenir. 

* Docteur en esthétique et théories de l’art, ancien enseignant de l’ISBArts Sousse.

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