Tunisie : Obligeons Kaïs Saïed à faire marche arrière !  

La mascarade politique a trop duré en Tunisie et il faudra y mettre fin avant le 25 juillet courant, date prévue pour le référendum sur la nouvelle constitution. Pour cela, tout doit être fait pour obliger Kaïs Saïed à faire marche arrière avant le référendum. Ce qui a été fait en 2013 pour faire échec à la constitution d’Ennahdha doit servir de leçon à ce qui doit être fait aujourd’hui, en urgence.

Par Mohamed Chérif Ferjani *

Le processus d’élaboration d’une nouvelle constitution pour la Tunisie s’est terminé par deux coups de théâtre, trois semaines avant le référendum prévu pour son rejet ou son adoption :

– le camouflet que Kaïs Saied a infligé aux commissions mises en place par lui-même pour lui proposer un projet dans ce sens, en jetant à la poubelle le fruit de leur travail pour publier son propre projet de constitution;

– puis le désaveu opposé par Sadok Belaïd et Amin Mahfoudh, les principaux rédacteurs du projet refusé par Kaïs Saïed, en publiant leur projet et en dénonçant l’attitude du président à leur égard et à l’égard de leur commission.

Un nouveau tournant tragi-comique

Cette situation burlesque donne un nouveau tournant à la tragi-comédie que vit la Tunisie depuis la fin du règne de la dictature mafieuse de Ben Ali. Après une décennie marquée par l’amateurisme, l’incompétence, la corruption, le terrorisme et la volonté des islamistes d’imposer leur projet, transformant le pays et les deniers de l’Etat en butin spolié par leur confrérie et ses alliés, Kaïs Saïed a profité du rejet des islamistes pour poursuivre le démantèlement de l’Etat et de ses acquis afin d’instaurer une nouvelle dictature mariant populisme et nationalisme conservateur instrumentalisant à sa façon la religion.

Les deux coups de théâtre de ce début du mois de juillet 2022, moins d’un an après le coup de force de Kaïs Saïed conduisant par la suite à la suspension de la constitution de 2014 et à la dissolution du parlement et de toutes les institutions pouvant limiter son projet de réunir entre ses mains tous les pouvoirs, montrent, à ceux qui en doutent encore, que le chef de l’Etat est déterminé à aller jusqu’au bout, et par tous les moyens, pour réaliser ce qu’il avait annoncé depuis son «entrée par effraction» en politique, selon l’expression de Hamadi Rédissi.

J’ai attiré à plusieurs reprises l’attention sur le danger du projet de M. Saïed et sur les similitudes qu’il présente avec les conceptions du juriste conservateur Carl Schmitt qui avait défendu le fascisme et servi le nazisme, avant de devenir une référence pour les populismes rejetant l’Etat de droit et la démocratie représentative. Son projet de constitution, et sa volonté de ne tenir aucun compte de tout avis qui n’est pas totalement conforme à ce qu’il veut, même quand il vient de ses plus proches collaborateurs et de ceux qui l’ont servi à l’instar de Sadok Belaïd et Amin Mahfoudh, montrent qu’il est déterminé à imposer son projet quel que soit le résultat du référendum.

Cette mascarade n’a que trop duré

Ce n’est ni une erreur ni un hasard si le texte de la nouvelle constitution publié dans le Jort le 30 juin prévoit l’entrée en vigueur de celle-ci dès la proclamation des résultats du référendum par l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) qui est à la solde du palais de Carthage. Même si le NON l’emporte, il n’en tiendra pas compte.

Il me semble que cette mascarade n’a que trop duré et qu’il faudra y mettre fin avant le 25 juillet. Pour cela, tout doit être fait pour obliger Kaïs Saïed à faire marche arrière avant le référendum. Ce qui a été fait en 2013 – à moitié, et ce fut une erreur –, pour mettre fin au règne de la Troïka conduite par le parti islamiste Ennahdha et de l’aventure de la constituante, doit servir d’exemple et de leçon à ce qui doit être fait aujourd’hui, en urgence.

La mobilisation la plus large des forces sociales et politiques attachées à la démocratie et aux objectifs de la révolution – société civile, organisations nationales (dont surtout l’UGTT et l’Utica), partis politiques s’opposant au projet de Kaïs Saïed tout en refusant le retour à l’avant 25 juillet 2021 et à l’avant 2011 –, doit déboucher rapidement sur la multiplications des actions et des pressions pour arrêter à temps une mascarade qui a déjà coûté trop cher au pays.

* Professeur honoraire de l’Université Lyon2, président du haut conseil scientifique de Timbuktu Institute, African Center for Peace Studies.

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.