Tunisie : le prophète Kaïs Saïed et son bâton magique

En tant que chef de l’exécutif, le président de la république Kaïs Saïed croit régler les problèmes simplement en les évoquant avec les membres du gouvernement qui en ont la charge, sauf que ces derniers n’ont à offrir que leur perplexité, leur impuissance et leur soumission aux diktats du prince.

Par Imed Bahri

En recevant hier, mercredi 6 juin 2022, à Carthage, la Première ministre Najla Bouden, le chef de l’Etat l’a appelée à mettre en œuvre immédiatement des décisions garantissant l’accès à l’eau potable à tous les Tunisiens.

Lors de sa rencontre, le même jour, au Palais de Carthage, avec le ministre des Transports Rabie Majidi et le Pdg de Tunisair Khaled Chelly, M. Saïed a appelé à assurer les vols aériens à l’heure, à garantir de meilleures conditions aux passagers et à mettre fin au chaos qui s’est produit dans plusieurs aéroports, et notamment à l’aéroport de Tunis-Carthage où, la veille, des voyageurs, exaspérés par le retard de leur vol, ont attaqué des agents de sécurité.

Haro sur les saboteurs !

«La première impression faite sur le voyageur est le service rendu par l’Office de l’aviation civile et des aéroports (Oaca) et Tunisair», a cru devoir rappeler le chef de l’Etat au cas où cela nous aurait échappé, ajoutant que «tout retard impactera ce service public» (ah bon, on n’y avait pas pensé !) et en soulignant «la nécessité de s’opposer à tous ceux qui tentent de perturber le trafic normal du secteur des transports» (sic !).

Il y a donc des saboteurs ? Puisque c’est le chef de l’Etat lui-même qui le dit, on peut présumer qu’il a de bonnes raisons de le dire. N’est-il pas censé être l’homme le mieux informé dans le pays ?

Les problèmes de la flotte aérienne défectueuse, des avions cloués au sol faute de pièces de rechange, des retards induits par la désorganisation générale du trafic aérien mondial, qui affectent plusieurs aéroports à travers le monde…, tous ces problèmes dont parlent les médias n’existent donc pas.

A en croire le président de la république, il y aurait des saboteurs qui empêcheraient les avions de décoller dans le temps. Il suffit donc de mettre ces derniers hors d’état de nuire pour que tout revienne à l’ordre. Aussi est-on en droit de se demander pourquoi M. Saïed ne désigne-t-il pas clairement ces présumés saboteurs et ne lance-t-il pas les poursuites administratives ou judiciaires nécessaires à leur encontre ?

Les prodiges de la pensée magique

Pour revenir à la question des coupures de l’eau qui se sont multipliées en cette période estivale habituellement chaude et sèche, rappelons que le président Saïed avait déjà ordonné, lors de sa rencontre du 27 juin avec le ministre de l’Agriculture Elyes Hamza, le raccordement des Groupements de développement agricole (GDA) au réseau de distribution de l’eau dans toutes les régions, tout en mettant en place des mécanismes de rééchelonnement de leurs dettes envers la Société tunisienne d’électricité et gaz (Steg) et de la Société nationale d’exploitation et de distribution des eaux (Sonede), deux sociétés publiques en grande difficulté financière, tout comme Tunisair du reste, en raison notamment des grosses factures impayées des établissements publics (hôpitaux, écoles, entreprises, etc.).

Comme pour le transport aérien, M. Saïed n’a que faire de ces détails fastidieux et sur lesquels, en dépit des apparences, il n’a point de pouvoir. D’ailleurs, il ne les comprend pas et ne cherche même pas à les comprendre. Grand populiste devant l’Eternel, il est un fervent adepte de la pensée magique, puisqu’il croit posséder le bâton de Moïse qui lui permet de réaliser des prodiges par le seul pouvoir de la parole. Pour preuve, malgré un bilan pour le moins maigre, il continue de plafonner dans les sondages d’opinion. Il pourra donc continuer à parler. Et le pays… à sombrer dans le chaos.

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