La comparution de Ghannouchi devant le parquet suivie de son maintien en liberté semble une manifestation envers et contre tout de l’indépendance de la justice à un moment où la nouvelle constitution proposé au référendum du 25 juillet est accusée de remettre en cause de supposés acquis démocratiques et des garanties dont le pays n’avait en réalité goûté aucun des bienfaits durant la décennie écoulée.
Par Dr Mounir Hanablia *
Rached Ghannouchi comparaît devant la justice dans le cadre de l’affaire dite Nama Tounès, et il est accusé de blanchiment d’argent, lié au terrorisme et au transfert des milliers de jeunes tunisiens partis se battre en Syrie. S’il y a une personne dont tous les Tunisiens s’accordent à dire qu’elle est liée à tous les actes de terrorisme qui ont eu lieu dans ce pays depuis l’accession du parti Ennahdha au pouvoir, ce ne peut être que lui. Seulement jusqu’à présent la justice n’avait jamais apporté l’ombre d’une preuve à ces accusations et c’est justement cela qui a servi de justificatif au président Kaïs Saïed pour la mettre au pas.
Doute sur le sérieux des poursuites engagées
Certes les arrestations de Noureddine Bhiri et de Hamadi Jebali avaient démontré que les dirigeants du parti islamiste n’étaient plus à l’abri des poursuites judiciaires. Seulement leurs relaxes ultérieures avaient sérieusement semé le doute sur le sérieux des poursuites engagées. Le président du parti Ennahdha avait même mis au défi publiquement les autorités de le traduire en justice si telle était bien leur volonté. Mais depuis lors, il y a eu le limogeage de la cinquantaine de magistrats, la grève de protestation durant quatre semaines de leurs collègues, et surtout le projet de constitution soumise à référendum dans quelques jours, et déniant à l’institution judiciaire un quelconque pouvoir régalien.
En fin de compte les magistrats ont repris le travail mais avec les poursuites judiciaires engagées contre Ghannouchi, le pays est inévitablement passé d’un Etat de justice, à un autre. D’autres, à l’instar de Fadhel Abdelkefi, parleraient avec une certaine pertinence d’une justice d’Etat, ce serait en effet oublier que Youssef Chahed, à l’ombre de la peu glorieuse constitution démocratique de 2014, avait déjà faussé la balance de Thémis afin d’écarter de sa route tous ceux qui ne lui seyaient pas, à commencer par le controversé Nabil Karoui.
D’un parti corrompu à l’autocrate intégral
Le maintien en détention de Ghannouchi durant l’instruction, si telle avait été la décision du parquet, n’aurait pas signifié pour autant sa culpabilité juridique (tout comme sa mise en liberté provisoire, finalement décidée, ne signifie pas non plus qu’il est innocenté des accusations portées contre lui). Mais avant le référendum sa mise en détention aurait constitué quand même un signal politique fort relativement au transfert irréversible du pouvoir en cours, d’un parti politique décrédibilisé usé par l’affairisme et la corruption, entretenant des accointances suspectes (Ennahdha), vers l’autocratie intégrale (Kaïs Saïed).
En ce sens la détention de Ghannouchi aurait eu un sens politique indéniable puisque beaucoup semblent redouter plus que tout son retour au pouvoir. Néanmoins, peu pourraient douter encore que le président Kaïs Saïed n’eût pas définitivement remporté la mise.
Cependant, ce qui intéresserait la population serait d’établir la vérité, de dévoiler formellement l’identité des commanditaires des assassinats de Belaid et Brahmi, et de démonter les réseaux qui avaient permis le transfert et le rapatriement des jeunes partis se battre dans les rangs de l’Etat islamique en Syrie et en Irak.
Omerta sur le financement du terrorisme
Force est de constater que la Tunisie ne détient pas l’exclusivité en la matière et peu de pays occidentaux peuvent se targuer de ne pas avoir vu quelques uns de leurs ressortissants prendre la route de Raqqa et du Califat. Pour autant, mis à part quelques condamnations ou contrôles administratifs, aucun Etat n’a pu expliquer comment des milliers de radicalisés ont pu passer autant de frontières, traverser la Turquie, un pays de l’Otan, jusqu’à la frontière syrienne, et en revenir sans encombres.
Prétendre que la Tunisie serait la seule à déroger à la norme relèverait du vœu pieux.
Il y a eu trop de pays et de services de renseignements impliqués dans de sales guerres, à l’instar de l’affaire Iran Contras impliquant le Colonel Oliver North dans les années 80, pour espérer qu’un jour le gouvernement de la vaillante Tunisie puisse décider comme cela de lever le voile sur l’un des sujets les plus tabous de l’histoire contemporaine, celui des accointances internationales de Daech.
Rached Ghannouchi sait donc que de ce côté là aucune preuve ne sera jamais produite contre lui et tous les procès qu’il a intentés en Grande-Bretagne contre ses détracteurs lui avaient déjà en ce sens donné raison.
Quant aux financements occultes transitant par des ONG, le parti Ennahdha ne serait certainement pas le seul à avoir bénéficié par ce biais des largesses de ses amis étrangers, et il est significatif à cet effet que l’enquête ne porte jusqu’à présent pas sur toutes les irrégularités électorales, sur lesquelles l’Isie n’avait jamais voulu faire la lumière, ainsi d’ailleurs que tous les parangons du printemps arabe.
La comparution de Ghannouchi devant le parquet suivie de son maintien en liberté semble donc une manifestation envers et contre tout de l’indépendance de la justice à un moment où la nouvelle constitution est accusée de remettre en cause de supposés acquis démocratiques et des garanties dont le pays n’avait en réalité goûté aucun des bienfaits durant la décennie écoulée. Elle n’en constitue pas moins une invite éminemment politique adressée au peuple tunisien à prendre acte des nouvelles réalités du pouvoir en leur conférant l’onction du plébiscite référendaire, dont peu mettent paradoxalement en doute le déroulement régulier et le respect des résultats. La vérité sur le terrorisme, elle, pour ne rien changer, est une nouvelle fois renvoyée aux calendes grecques.
* Médecin de pratique libre.
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